Par Ahmed Cheniki Cela fait dix-sept ans que le grand Abdelkader Alloula, un authentique homme de th��tre, nous a quitt�s, laissant un extraordinaire vide dans un univers culturel o� l�opportunisme le dispute � la m�diocrit�. Jamais l�Alg�rie n�a atteint un stade de d�liquescence aussi avanc� au niveau culturel. Alloula, qui �tait d�une profonde culture, a laiss� une �uvre immense, m�me si contrairement aux gens d�aujourd�hui, d�cid�ment trop press�s, il ne produisait qu�une pi�ce tous les deux ans, comme d�ailleurs les vrais auteurs et metteurs en sc�ne. Il savait que l��criture dramatique et l�univers sc�nique sont deux mondes, certes compl�mentaires, mais diff�rents. Perfectionniste � l�extr�me, grand liseur devant l�Eternel, il estimait que l��criture �tait une adaptation qui n�en finissait pas, rejoignant ainsi Borges, Brecht et Barthes. Ses d�tracteurs, aujourd�hui, qui ne manquent, d�ailleurs, pas l�occasion de se revendiquer de lui ou de le mettre en avant dans leurs �crits, cherchent, on ne sait par quelle hypocrisie manifeste, � en faire une sorte de reproducteur de textes ant�rieurs. Tout texte, comme le disent si bien Barthes et Borges, emprunte aux autres, cultivant dans le patrimoine litt�raire et artistique sa singularit�. La relation avec Tewfik el- Hakim pour El-khobza ? Il se trouve que les deux auteurs sont partis du m�me fond litt�raire, un texte fran�ais classique que l�auteur a puis� dans d�autres sources. Mais contrairement � Abdelkader Alloula, Tewfik el- Hakim a �t� pris en flagrant plagiat en reproduisant un op�ra de Vanloo et de Busnach (1867), Ali Baba, reprenant les m�mes erreurs du texte initial. Alloula �tait d�une autre trempe, un remarquable homme de th��tre. Ceux qui le d�nigrent en cachette, tout en n�arr�tant pas de profiter de son nom, l�exhibant dans des livres ou des conf�rences, sont encore trop petits pour arriver � cette force tranquille d�un homme qui n�arr�tait pas de partager avec les autres. Ce sont souvent de petits intrus dans un art o� la critique devient inexistante et le th��tre r�duit � sa portion congrue, sans public, avec trop peu de connaisseurs. Quand Alloula parlait, il �tait �cout�. Il �tait surtout un homme de principe qui refusait toutes les compromissions, il aimait, pardessus tout, sa patrie et le th��tre qu�il connaissait sur le bout des ongles. Le grand Antoine Vitez m�avait dit un jour qu�il admirait cet homme de th��tre et, bien entendu, Kateb Yacine. C�est vrai que Vitez a interpr�t� le r�le de Lakhdar dans Le Cadavre encercl� dans une mise en sc�ne de Jean-Marie Serreau. Alloula a, depuis longtemps, consid�r� l�organisation de l�entreprise th��trale obsol�te, trop peu op�ratoire, alors qu�il a contribu� � faire avancer les choses en 1974, avec une mesure ponctuelle de r�gularisation de la question des salaires. En 1982, o� nous �tions, lui et moi, invit�s � un colloque sur le th��tre afro-asiatique � Damas, il avait pr�sent� une brillante communication, insistant sur la n�cessit� de la mise en �uvre de r�formes radicales, projet qu�il avait repris en 1990 alors qu�il �tait membre du Conseil national de la culture. Mais ce qui le tenait le plus � c�ur, c��tait la question de la citoyennet� et des libert�s. C��tait un homme qui refusait toute compromission, refusant l�exclusion, se battant pour les autres, � tel point qu�on se pose des questions sur le fait que quelques anciens membres de son �quipe soient devenus aussi amorphes, trop peu performants, parfois gagn�s par les jeux de la rente. Mais il y a de belles choses faites ici et l� : quelques unes de ses pi�ces sont �dit�es, notamment � Actes Sud et un remarquable travail de m�moire entrepris par notre amie Raja Alloula, avec la publication aux Editions Les 3 pommes de toute l��uvre dramatique de l�auteur, en arabe populaire. Ce qui est un travail fantastique m�ritant tous les �gards. Alloula avait toujours cherch� � aider et � former les autres. Je me souviens de ces soir�es interminables qu�il consacrait, avec nous, M�hamed Djellid et moi, � l��coute de jeunes lui lisant leurs textes, � des heures tr�s recul�es de la nuit. Il a toujours cherch� � interroger le th��tre et les espaces sociologiques et anthropologiques nationaux pour pouvoir construire une exp�rience th��trale singuli�re. Les traces de Alloula sont manifestes dans les textes de nombreux auteurs d�aujourd�hui. Comment a-t-il pu mettre en forme son th��tre ? Quels sont ses �l�ments fondamentaux ? On ne peut parler de son exp�rience sans �voquer cet extraordinaire int�r�t qui a marqu� le choix d�une sorte de �mixage� de l�exp�rience th��trale et des formes populaires. Il ne faudrait pas n�gliger dans ce choix l�apport d�Artaud, de Meyerhold, de Grotowski et de Mnouchkine, Brook et les formes populaires, sans oublier Ksentini et Allalou. De nombreux hommes de th��tre arabes ont commenc� ces derni�res d�cennies � s�interroger sur leur propre pratique, � tenter de nouvelles exp�riences, � remettre en question le discours th��tral conventionnel et � se tourner vers les formes dramatiques populaires. Dans les pays du Maghreb, les exp�riences de Alloula, Kaki, Saddiki, Berrechid et bien d�autres dramaturges et metteurs en sc�ne ont permis en quelque sorte le �rep�chage� de formes populaires condamn�es � une disparition certaine. Cette op�ration de �remise � flots� de ce type de jeux est souvent le r�sultat d�une r�flexion th�orique prenant comme lieu d�interrogation et d�investigation les diff�rentes strates de la repr�sentation dite classique jug�e trop herm�tique et statique. Ainsi, les dramaturges investissent les signes de la repr�sentation populaire pour les mettre en accord avec le syst�me dramatique europ�en. Cette op�ration n�est en fait qu�une sorte de mise en �vidence de signes culturels extraits du substrat culturel populaire appel�s � servir d�espace de l�gitimation du discours th��tral dominant. Ces exp�riences, marqu�es parfois par un parti pris th�orique et les vell�it�s d�une pratique souvent travers�e par le sch�ma brechtien, ont mis en question les lourdeurs et les inad�quations du lieu th��tral conventionnel. Le public (ou le r�cepteur) d�termine s�rieusement cette mani�re de faire. Abdelkader Alloula, qui d�buta sa carri�re avec des pi�ces classiques ( El- Ghoula ou L�ogresse de Rouiched, 1964, Essoultane el-hair ou Le roi inquiet de Tewfik el- Hakim et Monnaie d�or de Chu Su Sen, 1967) et un regard conventionnel, entreprit avec Homk Selim (adapt� du Journal d�un foude Gogol), en 1968, une int�ressante exp�rience consistant en une tentative de mettre en forme une sorte de th��tre total, une synth�se de deux structures dramatiques. Ainsi, Alloula cherchait � se lib�rer des carcans et des normes d�une pratique qui lui semblait en porte-�-faux avec les besoins d�un public accoutum� � une mise en espace de la parole et � une attentive �coute des p�rip�ties et des rumeurs d�un r�cit associant humour et situations r�p�titives. Homk S�lim permettait � Alloula d�utiliser certaines techniques du conte et � se familiariser avec la n�cessaire th��tralisation de la parole. S�lim devenait une sorte de cr�ateur d�espaces et de temps pluriels, le porteur de signes qu�il convertit dans un autre syst�me. Cette paradoxale r�appropriation des signes de l�univers culturel populaire entra�ne une autre mani�re d�appr�hender la repr�sentation th��trale. Le signe th��tral, mouvant, se d�place vers l�instance d�une parole qui favorise les structures fig�es, fixes. C�est autour de la parole de S�lim que s�organise le r�cit et s�articulent les diff�rents �l�ments de la repr�sentation sc�nique. D�j� commen�aient � poindre � l�horizon les premiers signes de la contestation de la pratique dramatique conventionnelle. Tout allait basculer d�finitivement lors de la pr�sentation de deux pi�ces �crites et mont�es collectivement par une �quipe du th��tre r�gional d�Oran (dirig�e par Alloula) en 1972 et en 1974. L�auteur s�exprimait ainsi � propos de cette exp�rience dans un entretien qu�il m�avait accord� en 1986 : �Il y a d�abord une exp�rience qu�on a entam�e il y a quelque temps et qui a pour origine un type d�activit� qui a longtemps exist� dans notre pays : la halqa, le meddah. Toute cette r�flexion sur notre patrimoine n�a pu conna�tre le jour, qu�apr�s la r�alisation d� El-Meida (La table, pi�ce qui traite de la n�cessit� de l�application de la r�volution agraire. (�) Nous sommes partis � Aur�s el-Meida (un village situ� dans l�Oranie, � l�Ouest de l�Alg�rie) avec un camion-d�cor, c�est � dire un d�cor qui correspond � celui utilis� sur les sc�nes de th��tre. Parti d�une r�flexion th�orique, notre travail initial se voyait mis en question sur le terrain. Les spectateurs nous recevaient sur le plateau. Nous jouions en plein air ; nous nous changions en public. Les spectateurs s�asseyaient autour des com�diens, ce qui faisait penser � la halqa (cercle). Cette r�alit� nous obligeait � supprimer progressivement certains �l�ments du d�cor (surtout l� o� le public nous regardait de dos). Certains spectateurs nous regardaient avec un air hautain. Une attitude gestuelle ou verbale rempla�ait tout �l�ment ou objet enlev�. A la fin de chaque repr�sentation, on ouvrait un d�bat avec les paysans.� Deux exp�riences ( Homk S�lim et El-Meida) constituent les �l�ments centraux autour desquels s�articule toute la r�flexion sur la n�cessit� de transformer l�univers th��tral dominant. Le lieu th��tral, le mode d�agencement du r�cit, le jeu des com�diens et le dispositif sc�nique sont autant d�espaces appel�s � �tre remis en question, remodel�s et transform�s. La question du lieu th��tral demeure le sujet essentiel autour duquel se mobilisent de nombreux hommes de th��tre qui veulent en finir avec un lieu clos qui ne correspondrait pas, selon eux, � la r�alit� actuelle. Peter Brook parle d��espace vide�, Lucien Attoun de �th��tre ouvert�. Le Living Theater occupe la rue. Dans les pays arabes, le Marocain Abdelkrim Berrechid (qui a collabor� � un moment donn� avec Tayeb Saddiki) utilise le syntagme �th��tral c�r�moniel �, le Libanais Roger Assaf �voque un retour au Hakawati (sorte de conteur), d�autres dramaturges et metteurs en sc�ne comme le Syrien Sa�dallah Wannous, l��gyptien Youssef Idriss, le Tunisien Azzedine Madani ou Th��tre nouveau de Tunis et bien d�autres ont emprunt� cette voie. La sc�ne � l�italienne est ainsi s�rieusement contest�e. En Alg�rie, c�est surtout Abdelkader Alloula, fort d�une exp�rience concr�te r�alis�e dans un village, Aur�s el-Meida, qui s�insurge contre un lieu clos qui alt�re la communication et la rend inefficiente. Ainsi, la sc�ne � l�italienne a �t� l�objet de tr�s s�rieuses contestations et critiques d�autant plus qu�un large public ne s�y reconnaissait pas, favorisant ainsi la remise en question du mode d�agencement conventionnel. Le travail �labor� par Alloula dans Legoual (Les dires), Lejouad (Les g�n�reux) et Litham (Le voile) allait naturellement se heurter � la question du lieu th��tral. O� jouer ? Telle �tait la question-cl� qui taraudait l�esprit de Alloula qui savait pertinemment qu�interpr�ter ces textes dans des salles conventionnelles n�apporterait rien de nouveau et neutraliserait tout simplement toutes les possibilit�s de transformation sc�nique. La halqaest avant tout un cercle, c�est-�-dire une forme qui sugg�re la pr�sence d�une structure circulaire, mais paradoxalement ouverte. Il y a une entreprise de communication directe qui favorise l��change pluriel. L�exp�rience a parfois montr� ses limites. Les salles du Th��tre national alg�rien (TNA, Alger) ou des th��tres r�gionaux, ferm�es et excluant toute possibilit� de participation, ne pouvaient correspondre au discours d�velopp� par Abdelkader Alloula. Le pi�ge se refermait ainsi tout bonnement sur cette exp�rience qui se d�finissait �galement comme une sorte de continuit� de l�entreprise brechtienne. D�ailleurs, Brecht, lui-m�me, malgr� la pr�sence d�un extraordinaire appareillage technique et la disponibilit� du Berliner Ensemble, ne r�ussit pas � r�aliser ses desseins, �tant prisonnier du primat de l�appareil sc�nique conventionnel. Alloula s��tait mis, � l�instar du dramaturge allemand, � s�interroger sur sa propre exp�rience et sur ses propres limites. Comment s�en sortir ? Faut-il revoir les instances sc�nographiques ? Faut-il multiplier les espaces de jeu ? Toutes ces questions posaient essentiellement le probl�me de l�espace physique de la repr�sentation et de la relation avec le public, univers catalyseur de la plupart des recherches dramatiques et th��trales. Le r�ve de l�auteur �tait de jouer ses pi�ces dans des espaces ouverts qui permettraient aux spectateurs de participer au spectacle, et d��viter l�identification factice et l�illustration de l�action. Les march�s populaires et les places publiques s�duisaient �norm�ment l�auteur. Ces lieux constituaient les univers privil�gi�s du conteur populaire. Cette participation du spectateur donnait au signe th��tral une densit� et une capacit� de mouvement extraordinaires. Alloula se r�signa malgr� lui � transporter le gouwal(conteur) et la halqa dans des sc�nes � l�italienne qui �touffaient ainsi la repr�sentation populaire condamn�e � ob�ir � la structure conventionnelle. L�exp�rience �tait donc vid�e d�une partie de ses �l�ments fondateurs. Le gouwal op�rant dans un espace clos devenait tout simplement un simple com�dien du th��tre dit �aristot�licien� et perdait certains traits pertinents . On tombait ainsi dans le carcan du th��tre dans le th��tre. Deux structures s�entrem�lent, s�entrechoquent et, parfois, se neutralisent. La structure europ�enne et la structure populaire ob�issent � des sch�mes particuliers. Chacune d�elles porte et produit ses propres signes et comporte sa propre logique. Ainsi, le fait de d�placer la structure du conte d�un espace ouvert vers un univers clos, c�est condamner celle-ci � ob�ir aux signes de la repr�sentation conventionnelle. Le dispositif sc�nique, mis en place dans une structure � l�italienne, ne co�ncide nullement avec les accessoires �mouvants� du spectacle populaire. D�ailleurs, Alloula a d�couvert cette r�alit� lors de la pr�sentation de sa pi�ce sur la r�volution agraire ( El-Meida) dans �un village socialiste�. Les spectateurs, des paysans, entouraient le plateau. Kateb Yacine a v�cu la m�me situation dans un village de l�est alg�rien, pas loin de Sedrata, Kh�missa. La question du d�cor est intimement li�e � l�instance sc�nique. Les d�cors construits par Boukhari Zerrouki, un d�corateur alg�rien qui travailla beaucoup pour Alloula, se caract�risaient par une certaine lourdeur et ne correspondaient donc pas au discours initial de l�auteur. Dans Laalegue (Les sangsues), nous avons affaire � un d�cor � deux niveaux. Lejouad se caract�rise, certes, par la mise en place d�un dispositif simple et plus sobre, mais ne pourrait nullement �tre admis par le public vis� par Alloula. Le probl�me du d�cor restait s�rieusement pos� et marquait la r�flexion de l�auteur qui cherchait � l�all�ger de mani�re significative pour pouvoir le d�placer dans les lieux recul�s de l�Alg�rie et communiquer ainsi avec le public souhait�. Abdelkader Alloula s�int�ressait, en premier lieu, aux formes populaires et aux performances de l�acteur. Le gouwalet la halqa �taient les deux structures autour desquelles s�articulaient la recherche et la r�flexion de cet auteur qui tenta de transformer radicalement la structure th��trale. L�int�r�t port� pour le conteur n�est nullement une sorte de lecture arch�ologique de formes populaires d�valoris�es et marginalis�es, mais une tentative de mettre en �uvre un th��tre total qui donnerait � la parole et au verbe une fonction essentielle, celle de th��traliser les faits et les actions. Le conteur investit toute la repr�sentation, prend en charge les instances spatio-temporelles et r�partit les diff�rentes vari�t�s de la parole qui structure les contours imm�diats de la sc�ne. Il d�limite les lieux de la repr�sentation et esquisse les traits pertinents des personnages. Sa fonction fondamentale est de narrer et de raconter � un public des histoires et des r�cits qui captivent son attention et qui l�incitent � �tre partie prenante du proc�s narratif. Il se confond avec le com�dien ou plut�t engendre un double, un personnage syncr�tique, ambivalent. Il est � la fois narrateur et acteur. Il raconte tout en jouant. C�est un double regard qu�il porte sur les faits et les choses, du dedans et du dehors. Cette double entreprise suscite une sorte de distance ente le personnage et le com�dien, le spectateur et le personnage, la sc�ne et le public. Sirat Boumediene, un excellent com�dien aujourd�hui disparu, interpr�te souvent dans les pi�ces de Alloula ce r�le extr�mement dur et complexe. Dans Lejouad, il joue le r�le d�un travailleur de la sant� tout en faisant la jonction entre les quatre tableaux qui exposent diverses situations. Djelloul Lef�haimi, ce personnage quelque peu exceptionnel, prend le parti des pauvres en racontant, avec un humour caustique, leurs malheurs tout en portant la blouse blanche d�un simple employ� d�h�pital. Djelloul est � la fois un narrateur qui raconte des �v�nements pass�s et pr�sents et un acteur qui joue sa propre situation. Le conteur met en sc�ne l�acteur qui produit ses propres signes et illustre le discours du narrateur qui utilise la troisi�me personne avant de transposer sa propre personne dans le corps de l�acteur. Le �je� et le �il� vivent constamment une paradoxale m�tamorphose et dessinent les contours de l�espace sc�nique. Le th��tre de Alloula pr�suppose la pr�sence de com�diens talentueux qui connaissent plus ou moins le projet th�orique de l�auteur. Ce n�est d�ailleurs pas pour rien qu�il choisit souvent de travailler avec les m�mes com�diens : Sirat Boumedi�ne, Azzedine Medjoubi, Brahim et Fad�la Hachemaoui, Hamid R�mas, Ha�mour, Belkaid, Mohamed Adar� Dans les trois principales pi�ces, Sirat est � la fois acteur et conteur, c�est-�-dire celui qui met en branle les espaces lib�rateurs de la parole et qui en illustre les contours tout en d�limitant l�univers sc�nique et en provoquant le jeu des com�diens qui font souvent appel � l�expression gestuelle et aux prouesses corporelles. Le gouwal ou le meddahse transformait et �pousait graduellement certains traits de l�acteur de type moderne. Il y a une sorte de fusion de deux r�alit�s, de deux personnes qui donnent vie � un personnage, synth�se de deux paroles apparemment diff�rentes. Alloula s�expliquait ainsi dans l�entretien pr�cit� : �Nous nous rapprochions graduellement du meddah. Celui-ci est, dans la tradition, un personnage seul, solitaire qui raconte une �pop�e en utilisant la mimique, le geste, la phonation. On refaisait la jonction avec un type d�activit� th��trale interrompue par la colonisation. A partir de l�, nous avons pu comprendre le type de th��tre dont a besoin notre peuple, et c�est une chose tr�s importante.� L�acteur qui devait, en quelque sorte, constituer le centre de la performance spectaculaire �tait oblig� de se familiariser avec l�exp�rience du conteur populaire et de ma�triser les aspects essentiels du com�dien classique. On avait affaire � un incessant va-et-vient entre deux univers dramatiques, deux exp�riences dramatiques et deux modes d�agencement narratif. Contrairement � certains metteurs en sc�ne et dramaturges arabes et africains, Alloula n��tait nullement s�duit par un hypoth�tique retour aux sources, mais tentait de d�velopper une expression qui rassemblerait dans une seule attitude dramatique les attributs et les fonctions des deux exp�riences dramatiques. Il s�expliquait ainsi dans un autre entretien qu�il nous avait accord� en 1982 : �Nous avons d� comprendre, gr�ce � notre exp�rience, les multiples fonctions de l�art th��tral qui nous permet d�expliquer plusieurs ph�nom�nes complexes. Nous avons aussi remis en question tout le dispositif sc�nique. Dans notre travail, Brecht, Piscator et Meyerhold occupent une importante place. Nous ne rejetons aucun acquis sc�nique. Des hommes comme Allalou, Ksentini et Bachetarzi ont beaucoup donn� au th��tre alg�rien.� Sirat Boum�di�ne prenait en charge le personnage complexe (double) dans la plupart des pi�ces de Alloula. Il employait gestes et mimiques et jouait, de mani�re extraordinaire de son corps. L�expression corporelle occupait une importante place dans le travail des com�diens. Le corps se transformait en un catalyseur de l�action et servait �galement � d�limiter les diff�rents lieux de la repr�sentation. Le personnage-narrateur organisait l�espace, portait et produisait les signes de sa structuration et contribuait � la mise en relation des autres personnages. Il �tait le centre de l�exp�rience dramatique et un espace m�taphorique. Porteur et producteur d�images, le personnage-narrateur construisait et d�construisait continuellement l�univers de la repr�sentation, fragment� et morcel�, mais qui offrait, une fois tous les �l�ments rassembl�s, une certaine unit�, une certaine logique et une r�elle coh�rence. Dans Laalegue (Les sangsues), Azzedine Medjoubi, en virtuose, �tait tant�t acteur, tant�t conteur. Il se d�doublait, faisait et d�faisait les divers �l�ments du r�cit et construisait/d�construisait l�univers sc�nique. Alloula faisait ici appel � plusieurs proc�d�s dramatiques qui para�traient contradictoires au premier abord : la distanciation brechtienne, le meddah, le coryph�e et des techniques emprunt�es � la commedia dell�arte. Ce patchwork n�est souvent en fait qu�une sorte de montage syncr�tique. La mise en sc�ne, prisonni�re du lourd dispositif sc�nique, reste limit�e et parfois sans profondeur et r�duit consid�rablement les mouvements des acteurs. Le d�cor sur�lev�, � deux niveaux, ne permet pas souvent de mettre en relief le discours originel de l�auteur ni l��criture sc�nique ouverte.