Par le professeur Abderrezak Dourari, chercheur en socios�miotique Partout dans le monde, la pens�e a �volu� en rupture avec des cat�gories rendues obsol�tes par l�histoire et la philosophie. L�avanc�e de la pens�e s��nonce par le changement des concepts et des grilles de lecture des faits. La nahdha arabe, au XIXe si�cle, quant � elle, subjugu�e par la prodigieuse avanc�e de l�Occident, mais incapable de rupture, s�est pi�g�e dans la tentative de conciliation des p�les antinomiques ! On conna�t les fameuses dichotomies conceptuelles de cette pens�e scl�ros�e : modernit�/tradition, �aql (raison)/naql (imitation des anciens)� Au nom d�une sp�cificit� mythique, la pens�e dominante voulait que l�on puisse avancer tout en restant immobile, et m�me en r�gressant vers un pass� mythique ! L��chec est patent, et les principaux �pigones de la pompeusement d�nomm�e nahdha arabe s��taient vite recroquevill�s dans la tradition. Le mouvement des Fr�res musulmans na�tra en �gypte et se propagera sous la forme de l�islamisme, plus orient� vers l�autodestruction, qui a creus� davantage la sp�cificit� en tentant d�achever ce qui filtrait encore comme lumi�re dans le clairobscur de la raison dite arabe dominante. La pens�e dominante revendique d�sormais la sp�cificit� �rig�e en �pist�mologie g�n�rale et fera une guerre assidue contre le savoir scientifique et la raison qu�elle finit par contenir dans la marge tout en l�chant la bride � la pens�e traditionnaliste religieuse au lieu de la circonscrire � la sph�re priv�e. En r�sultera de cette cl�ture dogmatique la non-autonomisation du champ du savoir, caract�ristique commune des soci�t�s dites arabes, et le sous-d�veloppement culturel, cognitif et social. Les soci�t�s arabes partagent aussi le m�me mode n�opatrimonial de gouvernement. Leurs dictateurs sont dans la posture de celui qui poss�de en toute propri�t� les biens et les hommes. Les r�gimes ont les m�mes principes de fonctionnement : - non-s�paration des pouvoirs et h�g�monie de l�ex�cutif ; - r�pression brutale et corruption syst�matis�es ; - impunit� totale du pouvoir et de ses agents ; - interdiction totale d�expression � l�opposition. Ce sont l� les traits de ce que Karl Popper appelle la soci�t� ferm�e. Face � l�avanc�e de l�Occident � qui avait syst�matis� la pens�e cart�sienne, qui posait que ce n�est ni dans la tradition ni dans les autorit�s existantes que la v�rit� se fonde, mais dans le sujet universel de la science, que la lumi�re naturelle est sup�rieure � l�exemple et � la coutume �, la raison arabe dominante a oppos� la sp�cificit�, le retour aux vieilles v�rit�s et au figement de l�ordre cognitif et social. La g�n�ralisation de la violence islamiste autodestructrice et pr�tendument antioccidentale offre � l�inamovibilit� des dictateurs arabes l�alibi de la protection des int�r�ts de l�Occident pour que ce dernier ne leur demande pas de comptes sur leur brutalit� ; et celui de la lutte contre l�Occident impie et imp�rialiste qu�ils servent � leurs peuples, � la moindre tentative de lib�ration de leur tutelle. Cette ruse (duplicit�) ne semble plus payer et l�Occident abandonne ces dictateurs dans leur chute les uns apr�s les autres. L�Occident s�est rendu compte que ces dictateurs, tout en pr�tendant lutter contre l�islamisme, ne prenaient aucune mesure politique, sociale et juridique pour ancrer et d�velopper la d�mocratie. Des mesures sont prises, au contraire, pour renforcer la domination islamiste de la soci�t� (syst�mes �ducatifs, code p�nal, statut personnel, mass-m�dias�). Aucune libert� individuelle n�est tol�r�e. Aujourd�hui, gr�ce � la mondialisation de la communication �lectronique, non encore int�gr�e par la pens�e dominante, les soci�t�s arabes redeviennent les acteurs de leur histoire et s�affirment face � leurs dictatures qui les maintenaient dans un �tat de minorit�. Mais voil� la panne d�imagination des dictateurs. Le discours du pr�sident libyen, quand son tour fut venu, d�clare sans craindre le ridicule � l�endroit de l�Occident, bien apr�s la chute de ses voisins tunisien et �gyptien qui en avaient abus� sans convaincre, qu�il m�nerait une lutte contre Al-Qa�da en Libye, comme le fait Isra�l � Ghaza ! et qu�il prot�gerait l�Europe en lui garantissant l��nergie et en emp�chant les hordes d��migration qui la noirciraient (Le Pen ferait-il mieux ?). Dans le m�me �lan, � l�adresse des peuples dits arabes, il d�clare qu�il serait en train de mener une lutte contre l�imp�rialisme occidental antiislamique (les croisades) qui voudrait piller le p�trole libyen et r�tablir sa domination coloniale territoriale ! Contre le pr�sident fran�ais, dont il assure qu�il a perdu la raison, il demande la restitution de l�argent du peule libyen que lui-m�me lui aurait donn� en soutien de sa campagne �lectorale ! Tiens donc ! Le roi des rois d�Afrique s�av�re raciste anti-Noirs, et avoue avoir donn� l�argent du peuple libyen (sans l�accord de celui-ci) pour soutenir la candidature d�un pr�sident qu�il savait �fou� et de surcro�t l�un des plus anti-Africains et anti-Maghr�bins d�Europe ? En voil� un acte anti-imp�rialiste dans l�int�r�t bien compris des peuples ! Surtout quand on conna�t ses amiti�s avou�es avec le tr�s musulman Berlusconi ! Le plus �poustouflant, c�est quand on nous sugg�re ailleurs que la lutte anti-imp�rialiste ne peut �tre men�e que par ces �ternels dictateurs qui n�auraient pas ruin� leurs pays mais auraient, au contraire, sous leur autorit� ��clair�e�, garanti que le p�trole profite au d�veloppement de l��conomie et aux peuples arabes qui vivraient mieux, seraient plus instruits et plus heureux, avec des syst�mes �ducatifs performants ! L�analphab�tisme, la d�sesp�rance sociale, ces vagues humaines d��migration humiliantes vers l�Europe (harraga), les immolations par le feu, ne seraient pas symptomatiques de cette gestion honteuse qui ach�te le silence complice de l�Occident en contrepartie de fortes largesses et de vils services ! Ces pays riches aux populations pauvres, gr�ce � leurs dictatures, ne seraient pas vid�s de leurs �lites, et transform�s en enfers que tout le monde tente de fuir ! Au contraire, ils attireraient m�me l��migration des pays occidentaux environnants �ruin�s� par une gestion d�mocratique ! Voil� ce qui arrive quand on abandonne la pens�e critique cons�quente et qu�on reprend nonchalamment et inlassablement les poncifs anticoloniaux et anti-imp�rialistes poussi�reux ! Voil� le raisonnement politique indigent, produit d�une �ternit� de dialogue des dictateurs face � leur miroir o� l�opposition est r�duite � l��cho de leur propre voix tonitruante et �th�r�e ! La sp�cificit� est convoqu�e pour dire que s�il est vrai que partout les r�gimes doivent changer pour que la vie des gens s�am�liore � le r�gime d�mocratique s��tant av�r� le meilleur mode de gouvernance �, dans les soci�t�s arabes ce sont les dictatures moyen�geuses brutales qui sont le meilleur garant des int�r�ts et du bien-�tre des peuples ! Les prestidigitateurs de la raison s�amusent : � la souverainet� des peuples on substitue celle des r�gimes! au peuple tunisien, au peuple �gyptien, au peuple libyen, qui souffraient le martyre sous la r�pression d�mesur�e de r�gimes autoritaires chancelants qui les r�duisaient en esclavage, il ne faut, au nom de la lutte antiimp�rialiste et de la sacro-sainte souverainet� nationale, demander nulle aide : ni aux organisations internationales (l�ONU) dont ils sont membres pourtant ni aux fantomatiques organisations arabes, m�me avec leur incapacit� d�action constitutive connue ! Non-assistance � peuple en danger ! C�est quoi cette attitude permissive qui cautionne qu�un chef d�Etat traite son peuple de rats (djirdhane) � nettoyer et utilise pour ce faire l�aviation, la marine, les blind�s et les lance- roquettes ? O� l�a-t-on vu sinon en Afrique et dans le monde arabe ? Mais de l� � lui trouver des charmes de nationalisme anti-imp�rialiste, il faut bien du cynisme ! L�attitude de la �Ligue arabe� t�moigne, en plus des int�r�ts sordides des dictatures qui la composent, de la persistance de cette posture vell�itaire de la pens�e arabe dominante, qui n�est toujours pas parvenue � s��manciper des vieilles dichotomies �tradition et modernit�, �croyances et savoir scientifique�, �rite et humanisme�... Elle demande une intervention du Conseil de s�curit� de l�ONU pour prot�ger les populations libyennes de la vengeance de son dictateur sanguinaire, mais elle-m�me ne participe pas et voudrait m�me que l�ONU n�intervienne cependant pas ! Incapable d�imagination, d�autres revendent � l�Occident et � l�opinion les m�mes vertus antiterroristes non av�r�es de ce chef rejet� par son peuple et la stabilit� du r�gime face au d�sordre occasionn� par la d�mocratisation ! Quel int�r�t anti-imp�rialiste sert la destruction de l�arm�e libyenne et de ses moyens ainsi l�gitim�e par le comportement autoritariste, patrimonialiste et irresponsable de ce chef ? En quoi la passation des pouvoirs � un gouvernement �lu par le peuple libyen (l�opposition libyenne) serait-il dans l�int�r�t des imp�rialistes ? S�il y a bien une sp�cificit� arabe, outre l�arri�ration intellectuelle, sociale, �conomique et politique, c�est bien la pens�e vell�itaire dominante qui charrie toujours toutes les contradictions du Moyen-Age et des si�cles pass�s que l�humanit� a d�pass�es, sans jamais se pr�occuper de filtrer et changer de grille d�analyse. La modernit� et la d�mocratie, la pens�e arabe dominante n�est ni pour ni contre, bien au contraire ! En dehors de tout cela bien s�r, la Tunisie n�est pas l��gypte ; l��gypte n�est pas la Libye ; la Libye n�est pas le Y�men ; le Maroc n�est pas le Bahre�n� Et bien s�r, l�Alg�rie n�a absolument rien � voir avec tout cela r�uni ! La pens�e arabe a ceci de commun avec le gruy�re : elle compte plus de trous que de mati�re !