Annonc� comme exceptionnel par les organisateurs de �Tamaghra Ouamane�, la f�te annuelle de l�eau de Toudja, le concert du chanteur Djamal Allam en cette premi�re semaine d��quinoxe de printemps, le fut assur�ment et, surtout, de bout en bout. Tout au moins au niveau des symboliques multiples que les organisateurs de cette manifestation ont voulu cultiver en ce vendredi 25 mars, sur les hautes et nourrici�res terres gorg�es d�eau d�Aghvalou, qui b�nissent de leur baraka mill�naire la luxuriance �cologique du lieu et saluent une fois par an les retours cycliques des mont�es de s�ve et de vie. La premi�re suggestion all�gorique du logo en forme d�arc-en-ciel, bleu (pour l�eau) vert (pour la biodiversit�) et jaune (pour l�humain) dont s�est dot�e cette ann�e la f�te de l�eau, semble avoir �t� sp�cialement con�ue pour c�l�brer le retour de Djamal sur les terres qui l�ont vu na�tre. Un lieu de naissance, en effet, est toujours porteur de magie et de folles l�gendes : enfant vous l�habitez, adulte, il vous habite et pour le restant de vos jours. Apr�s avoir savour� l�ivresse de la c�l�bration de pr�s d�un demi-si�cle de chansons � Paris, capitale mondiale de l�art, avec les plus grands noms de la chanson alg�rienne parmi lesquels l�immense Khaled, l�oiseau migrateur bien de chez nous qu�a toujours �t� le �bellaredj� Djamal, a d�cid� en ce d�but de saison de grandes migrations, de se ressourcer � Toudja, lieu favori de ses enfantines randonn�es hors de la ville lumi�re qui l�a vu na�tre : B�ja�a. Le p�lerinage fut, � n�en point douter, salu�, voire b�ni par les 99 saints de l�gende de Vgaieth auxquels Yemma Gouraya assure une vigilante d�fense avanc�e. Normaaal ! comme diraient nos jeunes aujourd�hui. C�est le retour de l�enfant prodigue. Artistiquement parlant, bien �videmment ! Les r�surgences furent multiples et les renaissances plurielles. En commen�ant par la premi�re : la sienne. A soixante ans et des poussi�res, notre glob-trotter-chanteur affiche en effet une fra�cheur physique, une verve m�lodique et une audace artistique qui lui permettent d�envisager d�autres travers�es et chevauch�es, en ce troisi�me mill�naire naissant. C�est incontestablement l��ge de la maturit� artistique. Au sens plein du terme. C�est en effet en 1967, � vingt ans, que Djamal embarqua pour �el ghorva� avec une carte de l�Onamo, dans un �vavour� cinglant vers Marseille, premi�re escale d�un parcours artistique couleur arc-en-ciel, que beaucoup de ses pairs lui envient aujourd�hui. Djamal, modeste fils de p�cheur, r�ussit par la seule force de ses bras � se forger une personnalit� artistique � g�om�trie variable (po�te, animateur, compositeur, chanteur, acteur de cin�ma�), qui vient d�atteindre son rythme de croisi�re et la pl�nitude de son envol. Dans le cas du �bellaredj� Djamal, l�envol est toujours celui de l�albatros, le f�tiche oiseau de Baudelaire des Fleurs du mal. C�est en permanence celui d�un envol qui �hante la temp�te et se rit de l�archer�. Le deuxi�me albatros qui habitait ce soir la temp�te de la cuvette gorg�e d�eau de Toudja a pour nom Bazou, le talentueux et exigeant maestro b�jaoui, tant couru aujourd�hui par tous les chanteurs et vrais artistes soucieux d�obtenir des arrangements musicaux o� l��motion artistique l�emporte sur le bricolage et la malfa�on. Oui, Bazou, d�s la tomb�e de la nuit et les premi�res notes de la mise en �quilibre de la balance des sons, en ce d�but de soir�e et d��closion de la saison des amours, le deuxi�me albatros sur sc�ne, c��tait toi. Tout simplement. Et je sais en plus que c�est ton initiatique et f�tiche texte po�tique. En �ternel et unique complice bougiote de Djamal, tu r�ussis � diriger pour deux un spectacle, dont vous vous souviendrez longtemps et qui marquera certainement � jamais les centaines d�enfants de ce village agglutin�s au c�ur et autour de la cour du CEM, lieu de domiciliation du gala. Mais deux acolytes seuls, aussi talentueux et en verve qu�ils pouvaient �tre ce jour-l�, ne suffisent pour �faire la f�te�. Il leur fallait un troisi�me complice derri�re les rideaux, anonyme, celui-l� et dont on n�aper�oit que le pinceau furtif en mouvement, la d�licate touche : c�est le grand peintre Arezki Larbi. C�est lui qui imagina dans le tourbillon de la s�quence finale des pr�paratifs, le nid de la sc�ne qui permit au couple artistique hors du commun Djamel et Bazou de donner au concert son plein r�gime de gr�ce. Arezki y mit toute son exp�rience de grand peintre connu et reconnu, de sc�nographe confirm� et d�incontestable magicien des couleurs. Les moyens ? Ils furent du bord, tout naturellement, en ces lieux o� la nature fut, est et demeurera pour longtemps encore, le premier et le plus somptueux des d�cors. Du tissu noir � profusion pour habiller les in�l�gants serre-joints et autres �chafaudages de fortune, dessinant par-ci et soutenant par-l� l�architecture aux �quilibres suspects de la sc�ne, d�tourn�s en d�but d�apr�s-midi seulement du chantier d�en face, avec la complicit� f�brile et active de leur propri�taire consentant. Pour donner de la couleur au noir du costume sombre de la sc�ne, trois cravates bleu, vert et jaune aux couleurs du logo de la f�te furent � la h�te tir�es en guirlandes chatoyantes, destin�es � communiquer aux musiciens la fra�cheur des tons bleu et vert et la chaleur du jaune. Pour noyer d�harmonie champ�tre le tout, des branches de gen�t et de mimosa cueillies �galement des champs d�� c�t�, finirent par conf�rer � cette sc�ne artisanale la note �cologique qui manquait. Ce fut en d�finitive elle qui inspira les nombreuses improvisations et envol�es musicales du maestro et de son orchestre. Avec l�alchimie de cette mise en sc�ne, le nirvana musical de la soir�e ne pouvait �tre ind�finiment diff�r�. Son istikhbar commen�a avec le cocktail que concocta Djamal � son public : �Khouya El Hachemi� un hommage posthume � El Hachemi Guerrouabi, o� Djamal chante le dernier voyage c�leste du ma�tre du cha�bi et du haouzi. Puis suivirent, tour � tour, �Ya tir el Qafs� de Hsissen �Ayemma a�zizen ouretsrou� de Farid Ali, ponctu�es par les inoxydables tubes qui fondent le style si particulier de Djamal Allam : �Ouretsrou� �Thella� �El Ghani Allah�. Quand Djamal, en b�te de sc�ne � la toison d�agneau � l�humanisme d�routant, organisa un concours de �youyous�, la symbiose et la complicit� entre lui et son public �taient subitement totales. Pour la sceller, il �gr�na les premi�res notes de �A�cha, �coute-moi� pour saluer le nom de la femme qui remporta le concours en emportant le coffret de dix CD gracieusement offert par lui en r�compense. La laur�ate se fendit alors en un youyou �pique qui dura pr�s d�une minute. Le public chavira en donnant de l��cho et en r�p�tant � tue-t�te dans un interminable karaok� � Djamal �A�cha ne t�en va pas !� Nous pensions que la magie de la f�te de l�eau �tait � ce moment-l� � son comble et que nous �tions d�j� dans le N�khlass� de la soir�e. C��tait compter sans les petites grandes astuces de l�autre m�tier que Djamal ma�trise parfaitement : celles d�un vrai et incorrigible magicien. Il improvisa un hommage qui finit par donner � la soir�e la forme d�une com�te qui prit d�finitivement son envol au moment o� il invita Boualem Bouzouzou, le petits-fils de Boualem El Qadhi, ma�tre de chikh Sadek B�jaoui et auteur du mythique texte �Ya bellaredj ya touil el ga�ma� popularis� notamment par Fadila Dziria, � interpr�ter le texte de son grand-p�re, dont le nom v�ritable est tout simplement le sien� Pour exorciser le trop-plein d��motion qui s�empara de ses doigts de guitariste, Boualem Bouzouzou, professeur de musique accompli comme son grand-p�re dont il est la moderne copie, avoua : �Oui, je suis n� � moins de cent m�tres d�ici, � l��cole de Toudja !�, l�une des trois premi�res �coles de Kabylie, qui a vu passer d�autres c�l�brit�s dont le premier peintre alg�rien Azouaou Mammeri, anc�tre spirituel d�Arezki Larbi et instituteur au d�but du si�cle dernier. Les �youyous des anges� (titre du dernier album du �bellaredj� Djamal) fus�rent � ce moment pr�cis pour le �sebbouhi� final, histoire de rappeler que la premi�re �cole de Djamal, mais de musique celle-l� , �tait celle nourrie de sonorit�s d�andalou et de cha�bi. La gr�ce des g�nies du lieu se convertit en un clin d��il en f�licit�, mieux, en extase ! Oui, Djamal, en cette soir�e de vendredi 25 mars � la cl�ture de �Tamaghra Ouamane� � Toudja, les albatros n��taient pas seulement sur sc�ne, nous �tions tous des albatros alg�riens bellaredjs comme toi, en qu�te d�un hypoth�tique envol mystique. Gr�ce � toi, Bazou, Boualem Bouzouzou grand-p�re et petitfils et les esprits sains et malsains qui habitent la source de Toudja, nous �tions tous des bellaredjs qui becquetaient goul�ment les notes de tes compositions et broutais dans les alpages de tes transhumances artistiques multiples. Les anciennes, celles du si�cle dernier, bien s�r, mais surtout celles � venir. Merci et bon vent !.