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R�flexion
Nouvelles mises en garde
Publié dans Le Soir d'Algérie le 10 - 04 - 2011


Par Nour-Eddine Boukrouh
Les pauvres Premiers ministres actuellement en charge des affaires publiques en Tunisie et en �gypte ont beau essayer d�expliquer que la r�volution n�a pas du m�me coup enrichi leurs pays respectifs pour leur permettre de faire face � la demande sociale qui s�est fait brusquement jour, personne ne veut les �couter.
Si c�est pour entendre ces j�r�miades, r�torquent certains Tunisiens et �gyptiens, � quoi bon avoir fait la r�volution ? Nos h�ro�ques et ing�nus fr�res ont tort de s�impatienter ou, plus grave, de raisonner de la sorte. Et les partis qui, partout o� ils existent, aiment appuyer sur la p�dale des droits quand ils ne sont pas aux responsabilit�s, ont commenc� � parler de trahison. A ce rythme, il y aura un nouveau gouvernement dans ces pays tous les mois sans qu�il y ait plus de droits � distribuer. Une r�volution a deux objectifs : le premier, politique et institutionnel ; le second, �conomique et social. Les droits politiques (�lections sinc�res, �galit� dans les droits et les devoirs, libert� d�expression, dignit�) ne peuvent pas accoucher en neuf mois de tous les droits socio�conomiques. Il faut auparavant avoir accompli beaucoup de devoirs, il faut que la machine �conomique se soit remise en marche, que les gens soient revenus � leurs activit�s, que la gestion soit devenue plus efficace, que la justice sociale ait �t� instaur�e par de nouvelles lois, etc. A terme, la r�volution mettra en place des m�canismes de choix des responsables et de contr�le de leur politique qui rendront l��conomie plus efficiente. Les prochains pr�sidents de ces pays ne pourront pas d�tourner des dizaines de milliards de dollars, par exemple, et ce sera autant de moyens qui resteront � la disposition des droits sociaux des citoyens. A terme aussi, elle structurera une d�mocratie qui rendra meilleurs et l�Etat et le peuple. La d�mocratie n�est pas un syst�me politique parfait, mais comme l�a dit Churchill, les hommes n�ont pas invent� de meilleur. Le syst�me institutionnel qu�elle postule produit le comportement d�mocratique et prot�ge la soci�t� et l�homme politique lui-m�me du despotisme, de l�abus de pouvoir et de la corruption. Elle rend les hommes meilleurs car elle instaure la transparence dans leurs rapports verticaux et horizontaux, elle leur conf�re des droits garantis par une justice ind�pendante, elle lib�re leurs facult�s intellectuelles, assure l��galit� de traitement entre eux, stimule l��mulation, encourage la cr�ativit�, honore le m�rite. Elle les �duque, les enrichit et m�me les embellit. On ne conna�t pas de pays d�mocratique pauvre. Tous les pays riches, en termes d�indices de d�veloppement humain, sont des d�mocraties. Toutes les dictatures ont appauvri leurs pays. Il n�y a qu�� se rappeler l��tat du Portugal, de la Gr�ce, de l�Espagne, des pays de l�Est, du Br�sil, du Chili, de l�Argentine, au temps o� ils �taient dirig�s par des dictatures. On peut aussi comparer deux pays jumeaux, deux pays fr�res, la Cor�e du Sud et la Cor�e du Nord. Beaucoup, dans notre pays, pensent que la politique est cet art ais� de flatter le peuple et de critiquer le pouvoir. Faire de la politique consisterait � s�adresser au premier pour lui sugg�rer qu�il n�a que des droits, et parler du second pour l�accuser de ne pas en donner assez. Quelqu�un, je ne sais plus qui, voulant certainement crever le plafond dans cet art, mais sans aucun �gard pour la s�mantique, a invent� une formule � laquelle je n�ai rien compris � ce jour : �Le droit d�avoir des droits�! Avoir des droits ne suffisant pas � ses yeux, il a voulu Nouvelles mises en garde surench�rir : non seulement il faut donner au peuple des droits, mais, pour l�indemniser d�en avoir �t� longtemps priv�, il faut lui ajouter �le droit d�avoir des droits�! Que pourrait faire le peuple de ce droit suppl�mentaire lorsqu�on lui aura donn� tous les droits auxquels il aspire ? Esp�rons qu�une fois repu, il pensera � remercier l�auteur de cette inintelligible formule pour sa touchante mais inutile attention. �a me rappelle une histoire de Djouha. Mais comme elle a d� vous venir � l�esprit aussi, passons notre chemin. Donc, dans le m�tier politique, il ne serait question que de droits : ceux que le peuple demande, mais que le pouvoir lui refuse sadiquement. Le premier n�aurait que des droits, et le second que des devoirs. Une dichotomie en d�coule n�cessairement dans l�esprit g�n�ral : le peuple est bon et le pouvoir mauvais. Examinons le cas de figure o� ce discours a s�duit le peuple, et que ce dernier a port� son auteur au pouvoir. Le voil� face � une demande oc�anique de droits, mais sans moyens suffisants pour la satisfaire. Du coup, il se retrouve dans le r�le du m�chant et d�couvre qu�il s��tait imprudemment avanc�. Maintenant qu�il est en charge des responsabilit�s, il s�aper�oit que les droits d�rivent de l�accomplissement pr�alable des devoirs, et que les deux entit�s, peuple et Etat, ont chacune des droits et des devoirs. Aiguillonn� par cette prise de conscience, il essaye timidement d�avancer sur la voie, toute nouvelle pour lui, de l�appel � l�accomplissement des devoirs. Mais, probl�me, ce discours ne passe pas aupr�s de ses �lecteurs qui ne le connaissaient que dans le r�le du �bon�, et n�ont en m�moire que ses anciennes diatribes. C�est pour tenir les promesses faites qu�on l�a �lu : r�pandre les droits ! Si bien que des �meutes, et peut-�tre m�me une r�volution, attendent de pied ferme notre bonhomme. D�o� peuvent venir les droits, sinon de l�accomplissement pr�alable des devoirs ? Les droits et les devoirs, c�est un peu comme le syst�me des retraites. De g�n�ration en g�n�ration, les travailleurs actifs doivent cotiser pour que les pensions des travailleurs sortis en retraite soient pay�es. Les Fran�ais, qui ont invent� l�astuce, appellent cela le �syst�me de r�partition�. L�an dernier, le pr�sident Sarkozy a eu � affronter d�importants mouvements sociaux qui ont mobilis� des millions de Fran�ais contre lui parce qu�il voulait r�former le mode de financement des retraites menac� non pas dans l�imm�diat, mais � long terme. S�il n�avait pens� qu�� sa tranquillit� ou � sa r��lection en 2012, il ne l�aurait pas fait. Ce n��tait m�me pas inscrit dans son programme �lectoral. Pourtant, il l�a fait. Aux termes de notre discours politique, on veut pouvoir toucher les pensions sans que personne ait cotis�. Si on a pu jusqu�ici tenir cette gageure, ainsi que beaucoup d�autres, c�est gr�ce � un argent qui venait d�ailleurs, du p�trole. Il faudrait, comme le pr�sident Sarkozy, penser � plus tard. En disant cela, ce n�est pas pour le pouvoir que je crains, mais pour le peuple. Car s�il n�y avait brusquement plus de p�trole, il n�y aurait plus de pouvoir, plus de pr�tendants au pouvoir et plus d�Etat. Par contre, le peuple sera toujours l�, et en plus grand nombre. Or s�il n�y a plus d�Etat, nous deviendrons comme la Somalie ou l�Afghanistan o� il n�y a un semblant d�Etat que parce que port� � bout de bras par l��tranger. Ou encore comme la Libye quand il ne sera plus possible d�extraire et de vendre le p�trole. Nous sommes plus nombreux que ces trois pays r�unis, et peut-�tre aussi plus violents. Je ne suis pas cat�gorique, mais c�est juste pour attirer l�attention. Quand on est dans l�opposition, on est heureux de parler des droits. Quand on est au pouvoir, on est oblig� de parler des devoirs : travailler rentablement, d�gager des b�n�fices, accro�tre chaque ann�e le PIB, exporter beaucoup, importer moins, d�velopper le tourisme, financer les d�penses publiques par la fiscalit� ordinaire, prendre soin des �quipements collectifs, �pargner, investir chaque ann�e davantage... Il s�agit de savoir si les partis ont pour but de changer le pouvoir ou de le remplacer dans la d�magogie et l�incomp�tence ; d�am�liorer les performances dans la gestion, ou de remplacer les �diwan salhin� qui nous ont gouvern�s pour danser, � leur tour, des farandoles au son des galoubets et des karkabous. Surtout quand on sait que les �za�ms� ont mis au monde des �za�millons� qui piaffent d�impatience de prendre leur succession. Le plus grand reproche � faire au pouvoir, de mon point de vue, n�est pas de n�avoir pas distribu� assez de droits, mais de n�avoir pas amen� les gens � accomplir suffisamment de devoirs. Un historien, Salluste, qui fut aussi gouverneur de la Numidie � l��poque o� notre pays �tait colonis� par les Romains, �crivait il y a deux mille ans : �Les Numides ne peuvent �tre encha�n�s ni par la crainte ni par les bienfaits.� En langage moderne, cela veut dire qu�on ne peut soumettre les Alg�riens ni par le b�ton ni par la carotte (Salluste n�ayant pas dit �Tous les Numides� il faut savoir nuancer). Cela veut dire quoi ? Tout simplement que notre peuple ne fonctionne pas sous la contrainte ou par la ruse, comme ont fait avec lui ceux qui l�ont gouvern� jusqu�ici, mais par la persuasion et l�exemple. Donnez-lui l�exemple, et il vous donnera sa chemise ; dites-lui une parole de respect et il vous v�n�rera ; soyez �quitables dans le partage, et il renoncera � sa part ; posez-lui la r�gle la plus dure, et il la subira sto�quement s�il la sait commune et que nul n�y d�roge. Les pouvoirs qui se sont succ�d� depuis l�ind�pendance n�ont rien compris � cette nature, � ce caract�re, � cette psychologie, parce qu�ils portaient un faux regard sur les choses en g�n�ral et sur le peuple en particulier : ils n�ont jamais vu en lui qu�un troupeau � pa�tre. Ils ne le comprennent toujours pas puisqu�ils continuent � lui infliger les pires exemples : n�potisme, r�gionalisme, corruption, violation de la Constitution, r�pression des libert�s, fraude �lectorale� Comment les Alg�riens pourraient- ils devenir meilleurs ? Pourquoi respecteraient- ils les lois ? Pourquoi ne casseraient- ils pas tout ? Ils n�en sont plus � r�ver du meilleur, ils redoutent que le pire n�ait pas de limites. Ils sont dans un �tat d�esprit tel qu�ils ne s�attendent plus � recevoir de bonnes nouvelles, mais � supplier le sort de leur en �pargner de plus mauvaises. Ils sont pr�ts, l�, imm�diatement, demain, � marcher pieds nus, � souffrir la faim et le froid, pourvu qu�ils se sentent r�ellement vivre dans un Etat o� tout le monde remplit ses devoirs et b�n�ficie de ses droits, o� la loi est juste et s�applique � tous, o� la confiance est totale
entre eux et leurs institutions, o� les peines comme les joies sont partag�es. Ils n�ont malheureusement pas eu les dirigeants qu�ils m�ritent. A force, ils se sont mis � leur �cole : �Emalla haqda !...� (Puisque c�est ainsi�) Le devoir d�un Etat, c�est de poser des r�gles et de les appliquer sans complaisance, d��tre au service des citoyens et non un fardeau sur leurs �paules. Le devoir d�un peuple est de se battre pour se doter d�un syst�me d�mocratique qui lui assure ses droits politiques et sociaux. Un peuple perd sa coh�sion quand ses membres agissent dans le d�sordre pour sauver chacun leurs int�r�ts, quand les �af�ate� et les �kafzate� deviennent des mots d�ordre. Ces solutions sont par d�finition n�fastes. Elles peuvent nous tirer d�affaire individuellement, mais perdront le pays � long terme. Adopter les recettes de Djouha, ses r�flexes et ses astuces, dans une soci�t� moderne est une attitude suicidaire, nuisible � l�int�r�t g�n�ral, surtout quand il y a autant de Djouha qu�il y a de membres de la communaut�. M�me si c�est la carence de l�Etat qui y pousse. La nation qui pr�che �nourris-moi aujourd�hui et tue-moi demain� ou qui professe �le croyant doit commencer par lui-m�me�, en pensant aux droits et non aux devoirs, ne peut aller nulle part. A moins d�avoir beaucoup de p�trole, cette nation est foutue, car les relations sociales et le travail ne sont pas possibles avec cette philosophie. Le devoir des �lites sociales, intellectuelles et politiques, est d��clairer leur peuple, d��duquer son sens civique, de prendre la t�te du mouvement de salubrit� publique lorsque celui-ci devient une n�cessit� historique, et d��tre du lot lorsque les citoyens manifestent pour leurs droits l�gitimes. C�est l�exemple que nous ont donn� les Tunisiens, les �gyptiens, les Y�m�nites, les Syriens, les Marocains� Le pouvoir de Hosni Moubarak �tait plus fort que le n�tre ; pourtant, il est tomb�. Notre soci�t� est plus faible que la soci�t� �gyptienne, c�est pourquoi notre pouvoir peut dormir sur ses deux oreilles. Il faut reconna�tre qu�un r�gime du type alg�rien ne peut exister que dans un pays o� n�existe pas une conscience �lectorale au fait des enjeux et de l�int�r�t g�n�ral, o� la soci�t�, � l�image de l�opposition, est fragment�e en courants de pens�e inconciliables. La base est donc aussi coupable et responsable que le sommet de l�impasse o� nous nous trouvons. Seul un pouvoir r�nov� pourra en sortir tout le monde parce que les moyens de le faire seront entre ses mains. La force, la peur, l�usage de faux ne peuvent pas bloquer ind�finiment l�avenir d�un peuple. Notre histoire para�t bouch�e, nous vivons sur la m�me g�n�ration qui a atteint depuis longtemps son seuil d�incomp�tence, nous fonctionnons avec des pi�ces us�es ou d�occasion, et m�me des exorcistes ont si�g� au gouvernement. La mentalit� tut�laire et patriarcale du pouvoir s�est form�e au temps de la guerre de Lib�ration. Ayant par la suite confisqu� les valeurs de Novembre pour exercer son despotisme sur la soci�t�, il ne laissa d�autre alternative aux Alg�riens non satisfaits de sa politique que celle d�inventer d�autres valeurs, d�aller les chercher dans le pass� ou la religion. C�est ce qu�ils ont fait en 1989 pour se diff�rencier de lui, de son discours, de ses hommes, de ses symboles. Pour s�opposer � lui, ils se sont empar�s des �a�abiyate� (utilisation � des fins politiques ou personnelles des valeurs de Novembre, de l�islam et de l�amazighit�) comme on s�empare de blocs de pierre dans une intifadha pour les jeter � la face de l�ennemi. C�est la r�plique d�un peuple en vrac � un pouvoir monolithique. Pouss�es � l�extr�me, la monopolisation des valeurs de Novembre a donn� le despotisme de la �l�gitimit� r�volutionnaire�, la monopolisation de l�islam a donn� le projet d�Etat islamique, pr�t � �tre sorti � tout moment des cartons de l�islamisme, et la monopolisation de l�amazighit� � donn� le Gouvernement provisoire kabyle. D�o� viendra le salut ? Il n�y a plus que l��toile polaire pour nous guider dans notre errance, � supposer qu�elle n�ait pas d�j� �t� confisqu�e par les Alg�riens amateurs d�astronomie. Attention ! les signaux de mise en garde s�allument actuellement de partout.


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