Enfin voil� un livre exhaustif, �rudit et stimulant qui comble, sur le plan �ditorial, un vide sur un personnage historique qui a domin� la sc�ne alg�rienne sous le r�gime colonial pendant des d�cades � une �poque o� il fallait du courage pour affronter le colonialisme arrogant et triomphant. Certes, il y a eu d�j� deux livres sur Ferhat Abbas. Le premier, par Ammar Naroun, qui a �t� son adversaire politique lors des �lections en Alg�rie avant 1954, est partial et surtout tendancieux. L�autre, par Germain Stera et Zakia Daoud, connus par leurs id�es trotskystes, le moins qu�on puisse dire, est id�ologique car minimisant le combat d�un homme que l�histoire a r�habilit� et le situe dans la lign�e des grands r�formateurs et combattants de la libert�. Enfin, dans tous les livres sur la guerre d�Alg�rie (1954-1962), la r�f�rence � Ferhat Abbas est incontournable, tant son action politique anticoloniale le situe comme un grand patriote, nationaliste et contestataire. Guide �clair�, Ferhat Abbas le fut et, comme ceux de sa g�n�ration des ann�es 1920, suivait avec sympathie et int�r�t le combat de Mustapha Kamel dans la modernisation de la Turquie. C�est pourquoi il publie entre 1922 et 1928 de nombreux articles sous le pseudonyme de Kamel Abenc�rage. Ces articles relataient son combat pour plus de justice et de dignit� pour ses compatriotes alors qu�il �tait encore �tudiant en pharmacie � Alger. Ils seront r�unis en 1930 en un livre, Le jeune alg�rien, qui est tout un programme d�un humaniste qui aspirait dans un premier temps � faire �manciper pacifiquement ses fr�res. Dans son livre � la fois essai et �tude historique, Le�la Benammar Benmansour relate, avec brio � comme dans une d�monstration scientifique � la prise de conscience aigu� du jeune Alg�rien qui cherche avant tout � faire �voluer son peuple, dont il est issu, vers un avenir meilleur par l��ducation tout en pr�servant sa personnalit� et son authenticit�. Pour cela, Ferhat Abbas se lance dans le journalisme politique pour contester l�ordre �tabli en Alg�rie depuis 1830. Face � l�inertie de l�administration coloniale qui d�fend les int�r�ts des seuls colons et de la minorit� europ�enne, Ferhat Abbas ne rate aucune occasion pour rappeler le sacrifice des milliers d�Alg�riens morts lors de la Premi�re Guerre mondiale pour la d�fense de la France sans que pour autant, en compensation, le peuple alg�rien ait acquis certains avantages mat�riels ou politiques. Il faut rappeler que Ferhat Abbas a pris ses classes dans l�action politique aupr�s du Dr Bendjelloul, fondateur en 1934 de la F�d�ration des �lus de Constantine et qui, � son �poque, a �t� un d�fenseur de ses fr�res alg�riens et reste lui aussi � ce jour ignor� dans l�histographie alg�rienne. Pour faire entendre la voix des humbles, c�est-�-dire de la masse silencieuse, Ferhat Abbas se lance dans l�action politique �lective et se fera �lire tour � tour, malgr� les entraves administratives sociales, conseiller municipal de S�tif, conseiller g�n�ral du d�partement de Constantine et enfin d�l�gu� financier � l��chelon national. Dans toutes ces assembl�es, il sera le trouble-f�te par ses interventions �nergiques bien fond�es sur la situation de paup�risation des Alg�riens. Des �v�nements vont acc�l�rer la grogne des jeunes Alg�riens et poussent Ferhat Abbas � �tre plus exigeant pour faire acc�l�rer la marche de l�histoire vers plus de justice et de libert�. C�est ainsi que les f�tes grandioses organis�es en 1930 � l�occasion du 1er Centenaire de l�occupation de l�Alg�rie furent consid�r�es comme une provocation par les Alg�riens et les discours prononc�s lors des c�r�monies per�us pour eux comme une insulte � l��gard de leurs anc�tres. Relever le d�fi obscurantiste des colonialistes, des lettr�s de langue arabe cr�ent l�Association des oul�mas alg�riens en 1931 pr�sid�e par Che�kh Ben Badis. C�est une riposte pour faire conna�tre � l'imp�rialisme fran�ais que la lutte n�est pas interrompue et qu�elle se poursuivra pour le triomphe des droits de l�homme et des peuples. La parution en 1931 en France du livre Histoire de l�Afrique du Nord en 2 tomes du professeur Charles Andr� Julien, connu pour ses id�es anticolonialistes, qui a v�cu et enseign� � Oran, sonne comme une bombe � retardement. Il sera le livre de chevet des Alg�riens francophones qui se r�approprient le pass� glorieux de leurs anc�tres alors que l�administration coloniale n�a cess� de les d�culturaliser. Enfin, Che�kh Abderrahmane Djillali, Che�kh M�barek El Mili, Che�kh Tawfik El Madani de leurs c�t�s, �ditent en arabe des ouvrages historiques sur l�Alg�rie et qui contribuent � donner plus de souffle � l�action politique des jeunes Alg�riens et � leur t�te Ferhat Abbas et ses compagnons de la premi�re heure. Avec l�av�nement, en 1936, du gouvernement du Front populaire en France, le pr�sident du conseil, L�on Blum, en association avec l�ancien gouverneur g�n�ral Violette, veut doter l�Alg�rie d�un nouveau statut par l�octroi aux �lus alg�riens de certaines pr�rogatives dans leurs conditions municipales quoique minimes. Ce statut fut sabot� par le lobby colonial et ne sera repris qu�en 1947 sans aucun r�sultat probant. Le s�nateur Maurice Violette publie en 1931 un livre pr�monitoire L�Alg�rie vivra-telle ? C�est-�-dire l�Alg�rie des imp�rialistes et profiteurs. Il faut se rappeler aussi que pour cadrer la politique coloniale dans un sens plus positif, acceptable et endiguer les revendications nationalistes en Afrique du Nord, L�on Blum institue au sein de son �quipe un secr�tariat d�Etat aux affaires �trang�res, charg� de coordonner la politique musulmane de la France, confi� � M. Pierre Vienot r�put� comme un lib�ral et cr�e � cette m�me occasion un Haut-Comit� m�diterran�en et de l�Afrique du Nord, qui peut �tre consid�r� comme l�anc�tre de l�Union pour la M�diterran�e annonc�e en 2008 par le pr�sident fran�ais, Nicolas Sarkozy. Les hommes changent mais les politiques n�ocolonialistes demeurent malgr� la marche de l�histoire consid�r�e par certains comme �tant un �ternel recommencement. D��u par les atermoiements du gouvernement L�on Blum, et mesurant la puissance grandissante et insatiable du lobby colonial en France, Ferhat Abbas se d�tache avec amertume et regret du Dr Bendjelloul consid�r� comme trop mod�r� et fonde en 1938 un parti : l�Union du peuple alg�rien (UPA), comme s�il voulait faire comprendre que l�immobilisme n�a que trop dur� et que le peuple alg�rien, en revanche, n�a rien de commun avec le peuple fran�ais et que l�Alg�rie a sa propre personnalit�. A la veille de la Seconde Guerre mondiale, Ferhat Abbas est conscient en 1940 que le futur conflit dont les pr�mices se pr�cisaient d�j� en Europe sera plus global que le premier mais sa fin entra�nera des r�percussions importantes dans les mentalit�s des peuples. Alors que la guerre faisait d�j� rage en Europe, le pr�sident des Etats-Unis, Roosevelt, d�signe � Alger comme son repr�sentant personnel le diplomate Robert Murphy pour coordonner l�action politique des Alli�s et de la R�sistance fran�aise ? � Alger, Robert Murphy s�active tous azimuts et craint que le peuple alg�rien profitant de la d�faite de la France en guerre contre Hitler et le nazisme ne se soul�ve. Il re�oit longuement Ferhat Abbas qui profite pour lui soulever certaines revendications du peuple alg�rien apr�s la fin de la guerre, d�autant plus que des milliers d�Alg�riens sont enr�l�s dans l�arm�e fran�aise � l�effort de guerre contre le nazisme et Hitler. Dans son livre Un diplomate parmi les guerriers (Robert Laffont, Paris 1965), Robert Murphy �crit : �Comme d�habitude, je re�us de nombreux visiteurs ; souvent inattendus notamment Ferhat Abbas qui, � cette �poque (1940), �tait d�j� un ardent nationaliste arabe. Il m�avait parl� � plusieurs reprises de l�ind�pendance de l�Alg�rie(...)� �(...)Abbas me donnait l�impression d�un homme mod�r� et raisonnable(...) � (P. 136 et 137). Ce t�moignage d�un diplomate am�ricain donc neutre doit �tre appr�ci� � juste valeur car r�sumant le combat cons�quent de Ferhat Abbas. Certaines d�clarations qui lui sont imput�es mais rapport�es ou d�tach�es hors de leur contexte ne peuvent diminuer ni porter ombrage � son action � faire r�g�n�rer l�Alg�rie colonis�e mais toujours debout par la volont� de ses fils comme lui et de ceux qui �taient dans son sillage. La participation des Alg�riens dans l�effet de guerre contre le nazisme et le d�c�s des milliers d�entre eux sur les champs de bataille en Europe incitent Ferhat Abbas � pr�senter en 1944 aux Alli�s et au gouvernement fran�ais le Manifeste du peuple alg�rien et cr�e la m�me ann�e le Journal �galit� qui prend en 1948 le nom de R�publique alg�rienne. Mais les massacres de Mai 1945 � S�tif et dans d�autres villes alg�riennes au moment o� les Alli�s f�taient la victoire sur Hitler et le nazisme, le peuple alg�rien subit une nouvelle r�pression sauvage pour �touffer toute revendication politique. Le colonialisme, mauvais �l�ve, ne comprend pas que le monde d�apr�s-guerre aspire � plus de justice et de libert�. D�ailleurs, la charte de l�Organisation des nations unies (ONU) cr��e en 1945 dans ce but proclame la lib�ration de tous les pays sous domination. Apr�s la cr�ation des AMI (Amis de Manifeste et de la Libert�) en 1944, Ferhat Abbas fonde en 1946 un nouveau parti : l�UDMA (Union d�mocratique du manifeste alg�rien). Le combat politique s�av�re difficile mais une cause juste, rien ne peut rebuter les hommes de foi en la libert� et la dignit�. Ferhat Abbas s�investit dans le combat politique lib�rateur avec le concours de personnalit�s de haute valeur morale et intellectuelle (les Boumendjel, les Sater, les Fran�ais...). Les �lections locales ou nationales vont permettre aux candidats de porter la voie de la libert� dans les coins les plus recul�s du pays. Les �lus UDMA font entendre la voix d�un peuple qui aspire �tre lui-m�me et veut rejeter � jamais la domination r�trograde et inhumaine. Les nombreuses �lections qui ont eu lieu en France et en Alg�rie seront une occasion pour les �lus de l�UDMA de faire conna�tre les aspirations du peuple alg�rien � vouloir reprendre ses destin�es par lui-m�me. Devant le triomphe des listes des candidats nationalistes lors des premi�res �lections, l�administration coloniale en Alg�rie va s�adonner � c�ur joie au bourrage des urnes pour faire �lire ses mercenaires appel�s � juste titre les b�ni-oui-oui. C�est le r�gn� des �lections � la Naegelen du nom du gouverneur g�n�ral socialiste de l�Alg�rie (1947- 1951) de l��poque. Toutes les entraves cumul�es ou ourdies pour �touffer l�aspiration du peuple alg�rien � plus de libert� ne font que radicaliser l�action politique des militants nationalistes alg�riens. Ferhat Abbas et ses amis suivent le mouvement et s�attendent � une explosion populaire pour arracher les droits d�hommes libres � un colonialisme qui est une n�gation � l�humble humanit�. Le 1er Novembre 1954 sera l�aboutissement de plusieurs ann�es de combat politique parce que Paris a toujours privil�gi� une minorit� europ�enne sans tenir compte des aspirations de la majorit� des Alg�riens musulmans humili�s, taillables et corv�ables � merci. C�est pourquoi quelques jours apr�s le d�clenchement de la glorieuse R�volution du 1er Novembre 1954, Ferhat Abbas pouvait d�clarer au journal tunisien l�Action : �Mon parti et moi-m�me avons d�clar� clairement notre soutien total � la cause d�fendue par le Front de lib�ration national. Mon r�le aujourd'hui est de m'effarer devant les chefs de la r�sistance arm�e. Les m�thodes que j�ai d�fendues pendant 15 ans : coop�ration, discussion, persuasion se sont av�r�es inefficaces...� Il rejoindra juste apr�s le Caire pour renforcer la d�l�gation ext�rieure du FLN ; jusqu�� la victoire finale le 5 Juillet 1962. Le livre de Le�la Benammar Benmansour est venu � son heure pour combattre l�amn�sie culturelle et politique qui est la plus grande source d�ali�nation et une source majeure du sous-d�veloppement �conomique et social. Mme Le�la Benammar Benmansour a fait �uvre utile et le lecteur passionn� de l�histoire devient � travers le r�cit son complice qui avec un talent et un style envo�tants fait partager et participer, comme si on y �tait, l�itin�raire de ce grand homme hors commun, Ferhat Abbas, qui, apr�s des critiques et l�oubli bien entretenus, le fait revivre comme s�il �tait encore en vie. Preudhon disait : �Ce ne sont pas les hommes qui gouvernent les soci�t�s, ce sont les principes ; � d�faut des principes ce sont les situations. � C�est le combat de Ferhat Abbas qui a tent� de fl�chir le colonialisme par des principes universels et n�ayant pas pu le faire par cette m�thode, il a d� �pouser une situation seule � m�me de faire �manciper le peuple alg�rien, le combat arm�. Ce livre est d�j� un classique dans l�histographie alg�rienne. En tra�ant l�itin�raire politique de Ferhat Abbas, et son action pour le triomphe des id�es de justice, de libert�, de dignit� et de d�mocratie, Le�la Benammar Benmansour lui a redonn� vie et le fait placer parmi les grands hommes qui ont jalonn� l�histoire alg�rienne. Ferhat Abbas a eu la satisfaction intense de c�l�brer, en triomphateur, le 5 Juillet 1962 l�ind�pendance de son pays auquel il a sacrifi� toute sa vie. Ni l�emprisonnement, ni l�exil, ni les souffrance morales et physiques n�ont entam� sa foi en Dieu � la justesse de son combat nourri par sa vaste culture historique. Merci � Mme Le�la Benammar Benmansour pour son travail minutieux et convaincant sur un homme qui a m�rit� de la Patrie. Ma�tre Rahal Redouane, avocat-Oran Ferhat Abbas : l�injustice. Ed. Alger Livres �ditions - 2010.