[email protected] Par un heureux hasard, nous avons r�cemment � vaut mieux tard que jamais � d�couvert l�ouvrage du colonel Lotfi : Approche du d�veloppement �conomique futur de l�Alg�rie. �Colonel Lotfi� est le nom de guerre de Benali Boudgh�ne, natif de Tlemcen, qui, avec son �pouse, rejoint les rangs de l�ALN en 1955 dans la zone V qu�il finit par commander avant de tomber au champ d�honneur, le 27 mars 1960, � Djebel B�char. Dans Approche du d�veloppement �conomique futur de l�Alg�rie, une �uvre de 274 pages(*), il projette de fa�on, certes optimiste, mais tout aussi r�aliste, les contours de ce que seraient � ses yeux les r�alisations majeures de deux premiers plans quinquennaux de l�Alg�rie ind�pendante. Erudition, d�une part, limpidit� et pr�cision du langage, d�autre part, contribuent � forger un esprit didactique et visionnaire qui part du sous-d�veloppement �conomique (premi�re partie de l�ouvrage) pour asseoir la perspective d�un �essor rapide et consid�rable de l��conomie� (deuxi�me partie), avant de recenser les �conditions du succ�s� de la reconstruction �conomique tant esp�r�e (troisi�me et derni�re partie). Le constat est sans appel : �La mis�re la plus inhumaine (qui r�gne) dans un pays aussi riche que la Californie� r�sulte d�une ��conomie de contrastes� qui met � nu la �fiction aussi creuse que d�nu�e de sens des r�alisations fran�aises�. �L��conomie de contrastes� ou �juxtaposition de deux �conomies� met en pr�sence une activit� qui devra se limiter � �quelques zones d�sh�rit�es o� il ne restera plus � l�autochtone qu�� disputer �prement et p�niblement une lamentable subsistance � d�ingrates terres au moyen d�instruments fatalement archa�ques�, d�une part, et une activit� qui disposera �normalement de tous les biens�, d�autre part. La dualit� qui caract�rise le sous-d�veloppement �conomique de l�Alg�rie r�sulte ici d�un pacte colonial qui se r�v�le d�une extr�me cruaut� dans le cas de notre pays puisqu�il associera deux formes d�exploitation �indissolublement li�es� : le peuplement et la pr�dominance d�int�r�ts �conomiques. La premi�re expression du pacte colonial se d�cline en termes de transformation �en toute h�te et par compagnies enti�res�, des soldats de l�agression en paysans mari�s tambour battant � des prostitu�es de Toulon, �d�barqu�es par pleines cargaisons et nanties, en guise de dot, de 200 francs chacune pour faire souche dans le pays�. Dans la bouche de Lyautey cet �pisode n�a rien de honteux : �On ne b�tit pas un pays avec les pucelles.� Le pacte colonial se d�cline, en second lieu, en termes de pillage �conomique : le nouveau d�veloppement agricole favorisera �la p�nurie des produits utiles � la consommation locale, au profit d�une production destin�e essentiellement � l�exportation� ; une industrie �d�cadente et orient�e vers l�exportation� assurera l�extraction des mati�res premi�res pr�sentant une utilit� pour l��conomie fran�aise et donnera lieu � une �exploitation, aussi intensive que d�sordonn�e, de nombreuses mines, vid�es notamment dans la partie nord du pays� ; enfin, des dispositions douani�res coupl�es � un �monopole du pavillon� finiront par faire de l�Alg�rie un march� captif de la France. Apr�s avoir dress� le bilan de l��uvre coloniale fran�aise en Alg�rie, Colonel Lotfi d�veloppe la possibilit� d�un �essor rapide et consid�rable de l��conomie� dans notre pays (deuxi�me partie). L�essor envisag�, et circonscrit aux cinq premi�res ann�es de l�ind�pendance, doit augmenter la production agricole des deux tiers (150% en dix ans), accro�tre la production industrielle dans la proportion de 3,5 et relever le niveau de vie de l�ordre du simple au double, tandis qu�une �construction �tendue au Maghreb uni permettrait d�atteindre les m�mes r�sultats dans le m�me temps�. Trois cons�quences sont attach�es � cette �volution structurelle : l�accroissement de la production agricole, la diminution de la population rurale et une r�partition �quitable des terres � la suite de la r�forme agraire. La �modification radicale de la structure de l��conomie agricole incitera une partie de la masse rurale � l��migration vers l�industrialisation et, une autre partie moins importante, vers le secteur tertiaire, ce qui aura pour effet de r�duire de moiti� les effectifs ruraux en fin de quinquennat � ceux-ci passeraient de 80 � 40% de la population totale. La ressource publique demeure ici le moteur de la croissance mais elle n�a aucune connotation id�ologique puisque �le plan indien fait appel aux investissements de l�Etat pour une part qui d�passe 60%, bien que l��conomie n�ait pris une orientation prononc�e ni vers l�Est ni vers l�Ouest�. Quelles sont les conditions de succ�s pour tant d�entreprises ambitieuses ? C�est l�objet de la troisi�me et derni�re partie de l�ouvrage. Ces conditions sont d�autant plus difficiles � r�unir qu�elles visent � rompre une d�pendance ext�rieure s�culaire d�autant plus contraignante qu�elle est de nature �conomique et � restaurer une autonomie de d�cision qui n�est pas n�gociable aux yeux de l�auteur. Pour y parvenir, il faut au pr�alable r�ussir une �purge de l�hypoth�que �conomique�. Par hypoth�que ou �servitudes�, Colonel Lotfi entend l�orientation structurelle dommageable de l��conomie alg�rienne vers l��conomie fran�aise et son enti�re subordination � elle, qu�elle rel�ve de la zone franc (qualifi�e de �formule la plus pernicieuse de la permanence du colonialisme agonisant�) ou d�autres int�r�ts �conomiques et financiers. On m�ditera enfin le n�cessaire �l�accompagnement d�mocratique� du redressement �conomique envisag�. Lopin de tout dogmatisme, il ne cache pas son engagement pour �une juste et non moins indispensable r�forme agraire� qui �apportera � la paysannerie la propri�t� perdue�. Cet engagement ne rel�ve donc pas de pr�suppos�s id�ologiques : �La r�forme agraire sera pour nous un acte de justice. Elle permettra au peuple alg�rien de r�cup�rer les terres qui lui ont �t� ravies et de les redistribuer imm�diatement aux victimes des plus grandes expropriations de l�histoire. Elle est encore rendue n�cessaire par la situation du paysan alg�rien ; elle est enfin urgente parce qu�elle est la condition sine qua non du rel�vement de son niveau de vie.� Par ailleurs, � �l�in�galit� pouss�e � son paroxysme� succ�dera �une politique consciente de redistribution �galitaire des revenus �. Cependant, �il ne s�agira pas d�une assistance, mais d�un droit � la s�curit� qui sera donn� � tous les citoyens�. L�assistanat, quoi que de mode dans de larges secteurs de la r�volution, ne s�accommode pas ici avec �une politique sociale rationnelle �. N�anmoins, un attachement maladif aux choix souverains du peuple �maille son programme �conomique. Ainsi, est-il rappel� que la planification int�grale est �impossible � r�aliser dans un r�gime o� la propri�t� ne dispara�tra pas, � moins que le peuple alg�rien n�en d�cide autrement�. Ou encore que, �quel que soit le choix que l�Alg�rie fera dans le contexte de l�ind�pendance, plan de l��conomie lib�rale ou planification des pays socialistes�, �l�orientation de l�Alg�rie de demain est l�affaire du peuple alg�rien qui aura lui-m�me � en d�cider en toute libert� L�Alg�rie �ind�pendante, f�conde et industrieuse � dont r�ve Lotfi reste ainsi tributaire de l�action m�thodique de ses forces vives les plus saines, ma�tresses de leur avenir, libres de leurs choix. A. B. (*) Approche du d�veloppement �conomique futur de l�Alg�rie par le colonel Lotfi, �dition sp�ciale, minist�re des Moudjahidine, Alger 2009.