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Contribution LA PROBL�MATIQUE DES RAPPORTS DE L'INTELLECTUEL ORGANIQUE A LA GUERRE DE LIB�RATION NATIONALE EN ALG�RIE
Illustration � travers l'itin�raire du colonel Lotfi
Par Mohamed Chafik MESBAH, officier sup�rieur de l'ANP en retraite, docteur d'Etat en sciences politiques, dipl�m� du Royal College of Defence Studies. L'empreinte personnelle de ma�tres prestigieux de la M�dersa est, en effet, pour le moins perceptible. Quelle fut, sur la personnalit� du futur colonel Lotfi, l'influence du cheikh Kaddour Na�mi, professeur de litt�rature arabe, du cheikh Zerdoumi, professeur de fiqh (droit musulman), ou du professeur Roboton, cet enseignant de lettres fran�aises, royaliste de droite, affectueusement li� aux m�dersiens qui le lui rendaient bien, lui qui s'exclamait : ‘' La France est un pays de contradictions : lorsqu'on apprend aux �l�ves la R�volution de 1789, comment les emp�cher d'en faire autant ? ‘' Comment ne pas �voquer l'influence probable de Pierre Milcam, professeur de lettres et de latin � la Medersa qui, animateur de cin�-club, fut un v�ritable compagnon de d�bats pour les m�dersiens dont il contribuait � �largir " la conscience du monde‘'. Il y r�ussit bien, lui qui, avec force persuasion, �leva un film consacr� � la lutte pour l'ind�pendance de l'Irlande en une source d'inspiration p�renne pour la flamme patriotique des jeunes m�dersiens. A propos de ce film, justement, voici ce que consigne, malgr� tout ce temps pass�, Djamal Bereksi Reguig : �Nous avions compris que le cin�ma qu'on aimait n'�tait pas seulement un loisir, mais un message qui pouvait �tre lourd de sens. Nous �tions fiers d'�tre les �l�ves de ces ma�tres. Nous remontions � la maison gonfl�s en qu�te d'un devoir grandiose � accomplir un jour.� c'est Hocine Senoussi, cet autre camarade de classe du jeune Boudghene Benali qui nous rapporte cette apostrophe incroyable pour l'�poque entre le futur colonel Lotfi et le professeur d'histoire Moucoux. Celui-ci, rendant gr�ce � Charles Martel �d'avoir arr�t� les Arabes � Poitiers�, se fit vertement r�pliquer par le jeune Boudghene Benali : �(…) au moment o� les Arabes sont arriv�s devant Poitiers, ils �taient porteurs d'une grande civilisation alors que les manuels scolaires r�v�lent que l'Europe baignait, en cette �poque, dans l'obscurantisme du Moyen-Age !�. Un tel �change aurait �t� inimaginable dans un �tablissement ordinaire, autre que la M�dersa. Les lectures tout � fait vari�es mais, presque instinctivement, d�crypt�es dans un sens li� au contexte alg�rien ont nourri la vigueur intellectuelle du jeune Boudghene Benali. M�me l'œuvre des ‘'po�tes brigands'', sorte de bandits d'honneur, n'�chappait pas � la r�gle. Jugez-en par le t�moignage de Djamal Bereksi Reguig : �C'est sans doute, les po�tes brigands, inspirateurs du concept de ‘'volont� de puissance'', qui ont influenc� la personnalit� de Boudghene Benali qui a saisi le c�t� utilitariste de la d�marche jusqu'� vouloir en faire une sorte de doctrine�. Pour expliquer l'admiration du jeune Boudghene Benali pour Lotfi Elmanfalouti — qui s'en inspira pour son nom de guerre ‘'Lotfi'' — Boualem Bessa�h, m�dersien et officier de la Wilaya 5 lui aussi, affirme que notre h�ros avait d�couvert, dans les Nadharates de cet illustre �crivain, le souvenir de la narration faite par Chateaubriand de la fin pitoyable du dernier roi de Grenade, l'infortun� Bouabdil, raill� par sa m�re �de pleurer comme une femme sur ce qu'il n'a su d�fendre comme un homme�. Ce n'est pas, fortuitement, d�cid�ment, que les lectures du lyc�en Boudghene Benali se rapportaient aux œuvres de Voltaire, Montesquieu, Descartes, Pascal autant qu'� El Moutanabbi, El Maari, Abou Firas El Hamadani, Saad Zaghloul, Chawki Gibran Khalil Gibran et Hafez Ibrahim… Djamal Bereksi Reguig compl�te son observation attentive de la vie au lyc�e du jeune Boudghene Benali en soulignant qu'�il excellait dans les mati�res litt�raires, lisait beaucoup et s'int�ressait, au-del� du programme scolaire, � l'histoire… avec une m�moire hors du commun�. Mais ce survol de la jeunesse du colonel Lotfi serait incomplet � ne pas �voquer sa conduite scolaire parfaite, son comportement social rigoureux, la discipline de fer � laquelle il s'astreignait dans sa vie de tous les jours. Madame Benammar, sa sœur, t�moin autoris� s'il en fut, relate que �les professeurs (de Boudghene Benali) le d�crivaient comme un �l�ve studieux, intelligent, brillant et r�serv�. Ce t�moignage est corrobor� par Hocine Senoussi, son compagnon de classe: �Boudghene Benali n'a jamais subi de sanction pour un quelconque retard ou absence, obtenant, par ailleurs, les meilleurs r�sultats scolaires�. Son port physique remarquable lui a-t-il procur� un charisme qui lui aurait permis de s'imposer, naturellement, � ses pairs et de gravir, facilement, la hi�rarchie des grades au sein de l'ALN ? La question n'est pas saugrenue. Analysez bien les photographies dont nous disposons. Il est facile de relever la position privil�gi�e que semble occuper, naturellement, le colonel Lotfi dans tous les rassemblements des chefs de la Wilaya 5. La description que dresse Hocine Senoussi de son compagnon de classe Boudghene Benali conforte cette hypoth�se : ‘'El�gant, �lanc�, teint blanc, yeux bleus, nez l�g�rement aquilin, front large, cheveux tr�s courts, tenue vestimentaire stricte, Boudghene Benali d�gageait l'apparence d'un v�ritable aristocrate (…) un aristocrate du cœur et de la vertu‘'. L'engagement nationaliste �prouv� dans la mobilisation politique de la population de Tlemcen Derri�re son caract�re discret et r�serv�, la personnalit� du colonel Lotfi �tait, en r�alit�, perceptible d�s son enfance. Cette personnalit� que nous pourrions appeler personnalit� de base a �t� consolid�e le long de ses �tudes � la m�dersa, cet �tablissement qui lui procura un terrain propice pour l'�closion de ses convictions nationalistes. Boudghene Benali fr�quentait, en outre, Dar El Hadith, l'�cole libre fond�e par l'Association des ull�mas musulmans alg�riens dont le discours religieux r�formateur semble avoir laiss� une empreinte sur la personnalit� de notre jeune lyc�en. Il fut, probablement, plus fortement marqu� par l'influence de ses oncles par alliance, Mustapha et Hamid Benrezzoug, militants actifs et chevronn�s du PPA. C'est, probablement, l'exemple de son a�n� � la M�dersa, Larbi Benammar qui, en dernier ressort, agit comme catalyseur sur la personnalit� de Boudghene Benali. C'�tait un fameux personnage que ce Larbi Benammar, plein de conviction et de t�m�rit�, jusqu'� vendre, publiquement, en pleine rue de France, au cœur de la ville, la presse du PPA-MTLD. Mais, � l'�vidence, cette partie de la trajectoire du colonel Lotfi qui explique le mieux son itin�raire futur n�cessite, sans doute, des recherches plus approfondies qu'il faudra recouper par les archives disponibles en Alg�rie et en France. Des documents existent, au niveau des archives militaires en France, qui d�crivent la cellule du FLN � laquelle appartenait Boudghene Benali — o� figure, en bonne place, le fameux Larbi Benammar — et les conditions de sa d�couverte. C'est, probablement, cette d�couverte qui a provoqu� le d�part pr�cipit� du colonel Lotfi qui abandonna sa scolarit�, � la M�dersa, pour rejoindre le maquis. Nous disposons, d�j�, de quelques t�moignages qui attestent que le jeune Boudghene Benali, lorsqu'il s'engagea dans l'action r�volutionnaire, au sein du FLN, r�unissait, d�j�, des atouts dignes d'un chef capable d'assumer de hautes responsabilit�s. L'appartenance du jeune Boudghene Benali � l'UDMA, ce parti r�formiste alg�rien, semble relever de la fiction. Certes, le p�re du jeune Boudghene Benali fr�quentait des militants de l'UDMA, certes, Tlemcen procura � ce parti d'�minentes figures embl�matiques, � l'instar de Abdelkader Mahdad. Mais cela ne permet pas d'affirmer que le futur colonel Lotfi milita au sein de ce parti. Il est plus probable que ses sympathies soient all�es, plut�t, vers le PPA-MTLD. En tout �tat de cause, Mohamed Lemkami affirme l'avoir rencontr� la veille du d�clenchement de la guerre de Lib�ration nationale, dans les r�unions d'une cellule du PPAMTLD. Il en fait, d'ailleurs, cette description �loquente : �D�s mes premiers contacts avec Benali, j'avais remarqu� qu'il �tait tr�s pos�. Il semblait tr�s m�r pour son �ge et paraissait mieux inform� que nous des probl�mes politiques�. Boumediene El Ouchdi, son subordonn� dans le commando militaire qu'il venait de mettre en place � Tlemcen, raconte, � son tour, que Si Brahim — nom de guerre pris par Boudghene Benali —, �avait un esprit bien rigoureux pour son �ge. Blanc de peau, regard luisant, il mesurait environ 1,80 m et �tait s�v�re, disciplin� sans �tre col�reux�. Sid Ahmed Gaouar qui a rejoint le FLN en m�me temps que le colonel Lotfi, dans le m�me groupe, se rappelle, enfin, que le jeune Benali �a �merg� (dans ce groupe) gr�ce � son intelligence, son savoir-faire et son esprit d'initiative�. Probablement, la d�couverte par les autorit�s coloniales, de ce groupe de jeunes Alg�riens qui avait rejoint l'organisation civile du FLN a-t-elle h�t� l'engagement au maquis du jeune Boudghene Benali. Quoi qu'il en f�t, cet engagement dans la lutte arm�e lui permit d'acc�der, rapidement, sous le pseudonyme de �Si Brahim� � des responsabilit�s �minentes dans la r�gion. Sa mission, d�finie, selon toute vraisemblance, par Abdelhafidh Boussouf lui-m�me, consistait � assurer la mobilisation politique de la population de Tlemcen et � r�ussir la mise en œuvre des techniques de gu�rilla urbaine contre le dispositif r�pressif fran�ais. Incontestablement, les d�buts de la R�volution � Tlemcen doivent, beaucoup, � Boudghene Benali, qui est parvenu, rapidement, � mettre en place l'organisation politique de la ville, � monter un groupe de fidai et � cr�er un commando militaire qu'il dirigeait personnellement. Cet �pisode de la guerre � Tlemcen est brillamment �voqu� par El Ouchdi Boumediene dit Abderezzak sous le titre ‘' Et pourtant la ville de Tlemcen a eu son commando ALN entre 1955 et 1956 avec pour chef Si Brahim Lotfi‘'. Ce t�moignage confirme l'aptitude politique de Si Brahim et sa maturit� puisqu'il a su mobiliser, efficacement et rapidement, la jeunesse de Tlemcen. Sa ma�trise psychologique et op�rationnelle de la situation est attest�e, alors, par un bilan substantiel qui avait engag�, irr�versiblement, Tlemcen dans la guerre de Lib�ration nationale. Ce bilan, pour m�moire, comportait, aussi bien, l'ex�cution d'une matrone accus�e de collaboration avec l'ennemi, la liquidation d'agents de la r�pression coloniale et certains de leurs auxiliaires ainsi m�me que l'attaque de la poudri�re de Tlemcen qui se solda par la mort de nombreux soldats fran�ais. Lorsqu'il parvient � ce bilan �loquent qui atteste du potentiel r�volutionnaire de la ville de Tlemcen, le jeune Boudghene Benali prend conscience que celle-ci peut �tre �rig�e en secteur de l'ALN. Il est confront�, alors, � l'attitude hostile de Mohamed Bouzidi dit ‘'Ogb Ellil'', le chef de secteur de l'ALN de rattachement. Si Brahim est rappel�, alors, � l'�tat-major de la zone o� il prend en charge le secr�tariat. Les aptitudes au commandement du colonel Lotfi � travers son parcours dans la hi�rarchie de la Wilaya 5 Le colonel Lotfi manifesta, d'embl�e, de v�ritables aptitudes au commandement. Ces aptitudes peuvent �tre examin�es par rapport � trois donn�es essentielles : le charisme personnel qui se refl�te, �galement, dans la capacit� de persuasion psychologique de la population, la ma�trise des techniques militaires qui procure un avantage certain sur les autres maquisards et, enfin, — confort�e par une curiosit� intellectuelle infinie —, cette lucidit� politique implacable qui permet d'anticiper les �v�nements. Lorsque, � l'initiative des chefs r�volutionnaires de ces r�gions eux-m�mes, s'�tait pos� le probl�me de l'organisation politique et militaire des r�gions sahariennes et de leur rattachement � une tutelle l�gitime au sein de la R�volution, Dahou Ould Kablia moudjahid de la Wilaya 5 et ancien cadre du MALG, qui a effectu� des recherches sur cet �pisode, affirme que c'est Abdelhafidh Boussouf, lui-m�me, qui confia cette mission au futur colonel Lotfi car il avait d�tect� chez cet officier, �les qualit�s intellectuelles, la haute rigueur morale, le sens des responsabilit�s et les aptitudes militaires�. Rappelons, pour la clart� de l'expos�, que cette mission s'articulait autour de trois axes principaux. Selon la narration de Dahou Ould Kablia, la mission principale confi�e au futur colonel Lotfi se d�composait comme suit : �Une mission politique � travers la prise en main �nergique des populations (…) et la lutte contre les vell�it�s des groupes ‘'bellounistes'' (…) une mission militaire avec la constitution de nouvelles compagnies arm�es et orient�es sur des objectifs d�termin�s (...) une mission organique avec la r�organisation de la zone sud, subdivis�e en quatre r�gions regroup�es en zone 8, confi�e, d'ailleurs, � Si Brahim qui acc�de au grade de capitaine�. Si l'on s'en tient, cependant, au charisme de Boudghene Benali, comment ne pas citer Boualem Bessa�h qui, officier de la Wilaya 5 et figure de proue du MALG, compagnon, naturellement, du d�funt qui apporte, dans sa pr�face aux actes des journ�es consacr�es au colonel Lotfi, un t�moignage, pour le moins, autoris� : �Cet homme jeune, � la longue silhouette et aux yeux bleus, aurait pu passer, n'�tait-ce la tenue de maquisard, pour un touriste europ�en (…) il d�gageait une autorit� morale toute naturelle, il imposait le respect. � Boualem Bessa�h ajoute que �dans les moments graves, (Lotfi) arborait un calme olympien et apr�s avoir r�fl�chi, donnait ses instructions comme le ferait un g�n�ral sorti des grandes �coles militaires�. Ce t�moignage est corrobor� par la description de Kouider Allali, compagnon des premiers pas de Boudghene Benali dans la mise en place du dispositif r�volutionnaire � Tlemcen : �Il avait comme arme un caract�re tremp� et une volont� d'une grande fermet�.� Ce charisme s'accompagne d'une capacit� de persuasion psychologique av�r�e. Les t�moignages en apportent, amplement, la d�monstration. Citons, de nouveau, ce compagnon de la premi�re heure, Kouider Allali, qui affirme que �dot� de beaucoup de bon sens et d'un esprit d'analyse aigu, Si Brahim avait su, au contact des �missaires sahariens, jauger leur loyaut� et leur bonne foi�. Boualem Bessa�h confirme de son c�t� : �Lotfi s'est attach� au grand Sud alg�rien et � ses habitants. Il aimait, sous la tente, converser avec les nomades de leur existence rude et de leur rectitude morale (…) il finissait par s�duire son auditoire et mobiliser les �nergies.� M�me les femmes ne sont pas en reste pour apporter leur t�moignage. Ainsi, Khadidja Brixi qui, dans cette fameuse zone 8, servit sous les ordres de Si Brahim, relate que celui-ci �disait qu'il ne faut pas utiliser la religion pour la d�former (…) ou en tirer un b�n�fice personnel. Pendant ses r�unions, Si Lotfi expliquait tout cela aux populations du Sud et nous demandait (les moudjahidate) d'expliquer aux femmes du Sud la n�cessit� de s'�loigner des marabouts c'est-�-dire des personnes qui utilisent la religion pour obtenir de l'argent et des richesses de personnes malades ou non instruites.� Abdelghani Akbi, beau-fr�re du colonel Lotfi et officier de l'ALN en zone 8 de la Wilaya 5, apporte un t�moignage compl�mentaire presque d'initi� : �Il se montre toujours d�termin� � r�gler tous les probl�mes qui surgissent et � r�duire les zizanies n�es de conflits personnels. Rien ne l'arr�te : son pouvoir de persuasion obtient un profond retentissement sur le moral et le comportement des autres responsables de la r�volution.� M. C. M.