Par Zineddine Sekfali Alors que des membres de la famille Kadhafi ont d�j� trouv� refuge en Alg�rie, on a appris, il y a peu, que des civils et des militaires libyens arriv�s � Agadez dans un convoi, ont �t� admis � p�n�trer au Niger et autoris�s par les autorit�s de ce pays, � y rester en tant que r�fugi�s politiques. Comme le gouvernement alg�rien, le gouvernement nig�rien invoque �des raisons humanitaires� pour justifier la d�cision qu�il a prise au demeurant, en toute souverainet� et responsabilit�. Passons sur le fait qu�on ne voit pas quelle autre raison �raisonnable� autre qu�humanitaire, pourrait justifier de telles mesures de bienveillance envers ceux qui fuient la Libye, mise � feu et � sang. Observons cependant que le gouvernement nig�rien n�a donn� aucune indication pr�cise ni sur la qualit� de ces r�fugi�s, ni sur leur nombre, ni sur leur �tat civil, ni sur leur nationalit�. Or, on sait que beaucoup de Touareg d�origine et de nationalit� nig�riennes, ont combattu moyennant de bonnes payes, au c�t� des brigades de Kadhafi. Il est clair � cet �gard, que si ceux qui ont franchi la fronti�re sont des Touareg nig�riens, personne ni aucune instance internationale ne saurait reprocher � l�Etat nig�rien de ne pas avoir refoul� ses nationaux, m�me si ce sont des mercenaires � la solde d�un gouvernement �tranger. Pour autant, personne ne pourra admettre que le Niger ne leur demande pas des comptes, car on suppose que de m�me que l�Alg�rie interdit aux Alg�riens de servir dans une arm�e �trang�re, il est �galement interdit aux citoyens nig�riens de s�enr�ler dans des forces militaires autres que nationales, sous peine de poursuites p�nales. Si donc, les deux gouvernements, alg�rien et nig�rien, invoquent chacun de son c�t�, pour justifier leurs d�cisions respectives, le droit d�accorder l�asile � tout r�fugi� politique, droit qui est formellement consacr� par plusieurs instruments juridiques internationaux, les insurg�s libyens opposent en ce qui les concerne, leur droit de r�clamer tous les fugitifs qui les ont combattus. Nous rappellerons ici tr�s bri�vement, les textes que les uns et les autres invoquent, � cette occasion. L�Alg�rie et le Niger sont recevables � invoquer � l�appui de leur d�cision d�accueillir les fugitifs libyens et de mani�re g�n�rale les fugitifs en provenance de Libye, les clauses pertinentes de : 1- la D�claration universelle des droits de l�homme de 1948 et notamment son article 14 �1 : �Devant la pers�cution, toute personne a le droit de chercher asile et de b�n�ficier de l�asile dans un autre pays� ; 2- la Convention du 28/07/1951 relative au statut des r�fugi�s, laquelle d�finit le r�fugi� comme toute personne �craignant avec raison d��tre pers�cut�e du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalit�, de son appartenance � un certain groupe social ou de ses opinions politiques �, 3- le Protocole du 31/01/1967 relatif au statut des r�fugi�s, qui a �largi le champ d�application de la Convention de 1901, aux r�fugi�s de la p�riode postcoloniale. Par ailleurs, notons que la Constitution alg�rienne actuellement en vigueur, interdit �l�extradition ou la remise� de tout r�fugi� politique (article 69). On suppose qu�� l�origine de cet article, il y a le fait que l�Alg�rie �tait jadis �La Mecque� des mouvements de lib�ration nationale� Les Libyens qui traquent les fugitifs cherchant � passer en Alg�rie, au Niger ou ailleurs, peuvent quant � eux, invoquer le deuxi�me paragraphe du m�me article 14 de la D�claration de 1948 qui stipule : �2e Ce droit (d�asile) ne peut �tre invoqu� dans les cas de poursuites r�ellement fond�es sur des crimes de droit commun ou sur des agissements contraires aux buts et aux principes des Nations unies.� Il faut bien, en effet, ne pas oublier que le droit d�asile ne peut, en aucune mani�re, servir de pr�texte ou d�excuse au d�lit de �recel de malfaiteurs �, d�lit pr�vu et puni par toutes les l�gislations p�nales. Autrement dit : aucun Etat n�a le droit de se soustraire � la justice d�un autre pays ou � la justice internationale, les auteurs et complices de crimes contre les personnes ou les biens, quel que soit l�endroit o� ces crimes ont �t� commis. Le probl�me c�est que la fronti�re entre le droit d�asile et le recel de malfaiteurs, est aux yeux des politiques, t�nue. J�indiquerais simplement pour m�moire, que c�est dans l�article 180 de notre Code p�nal (article inchang� depuis 1966) que se trouve la d�finition du d�lit recel de malfaiteur ; il y est dit que cette infraction consiste dans le fait : - soit de cacher l�auteur ou le complice d�un crime ; - soit de le soustraire ou tenter de le soustraire � l�arrestation ou aux recherches ; - soit de l�aider � prendre la fuite. Rappelons qu�un crime est un fait puni par la loi d�une peine criminelle, c'est-�-dire : soit de la peine de mort, soit de la r�clusion � perp�tuit� ou � temps. En l�occurrence, les crimes susceptibles d��tre reproch�s aux r�fugi�s libyens par les insurg�s libyens ou �ventuellement la Cour p�nale internationale, sont : des crimes de guerre, des crimes contre l�humanit�, des homicides volontaires, des actes de barbarie, des tortures, des s�questrations, des destructions d�immeubles et ouvrages par explosifs, des vols en bandes et � mains arm�es, l�incitation � la haine et � la violence, et la liste reste ouverte� Ceci �tant pr�cis�, il faut signaler que l�article 14 2�� de la D�claration de1948 et le texte r�primant le recel de malfaiteurs, sont souvent viol�s par les Etats y compris par ceux se disent respectueux de l�Etat de droit. A cet �gard, on citera deux exemples significatifs : celui du shah d�Iran qui a fui son pays et a fini ses jours en juillet 1989, dans l��gypte de Moubarak, et celui de Duvalier, alias �Baby Doc� qui a trouv� refuge en France en 1986, avec 900 millions de dollars vol�s des caisses de l�Etat de Ha�ti. J�ajouterai que ni l��gypte ni la France ni aucun autre Etat n�ont exprim� un quelconque regret sur cette douteuse bienveillance � l�endroit de deux despotes av�r�s dont l�un est en plus un voleur. Pis encore, ni l�Iran ni Ha�ti n�ont jug� ces fugitifs ou leurs comparses ou obtenu la restitution de ce qui leur a �t� vol� par ces deux �illustres� personnages ! Il para�t qu�on appelle �real politik�, ce genre de d�ni de justice ainsi que ces graves violations du droit et de la morale ! A vrai dire, la politique n�a jamais beaucoup aim� le droit. Je crois aussi, que le droit n�a pas non plus beaucoup d�affection pour les politiques ! Enfin, il n�est pas sans int�r�t de souligner que le droit humanitaire en g�n�ral et le droit d�asile en particulier, sont dans les missions, les attributions et le champ de comp�tence de nombreuses organisations internationales, publiques ou priv�es telles que certaines ONG. On citera ici deux institutions internationales publiques tr�s connues : le Haut-Conseil aux r�fugi�s (HCR/ONU) et le CICR, ainsi que deux institutions non gouvernementales : Human Rights Watch et Amnesty International, v�ritables �poils � gratter� des gouvernements en d�licatesse avec les droits de l�homme. Les deux premi�res organisations cit�es sont bien �videmment habilit�es et ont le droit de suivre le sort r�serv� aux r�fugi�s de la guerre de Libye. Il semble cependant qu�elles ne se soient pas encore manifest�es pour s�enqu�rir de la situation des membres de la famille Kadhafi pr�sents en Alg�rie. Elles ne semblent pas non plus beaucoup se pr�occuper de ce qu�il est advenu de tous ceux et � toutes celles qui par convois entiers, fuient en ce moment de Libye, � la d�vastation de laquelle ils ont fortement contribu�, pour se r�fugier dans les pays limitrophes, � l�Ouest et au Sud. On voit donc � travers l�exemple douloureux de la Libye, que les mouvements humains transfrontaliers prennent aux �poques troubles, des significations diff�rentes, voire totalement contradictoires, selon que l�on est d�un c�t� ou de l�autre de la fronti�re. Dans nos r�gions, la fronti�re, au lieu d��tre comme en Europe par exemple, une s�paration symbolique et un point de rencontre, est, h�las, le plus souvent un lieu de tension ouverte ou latente et un point de friction dangereuse. En effet, et vu la situation, l� o� il y a une fronti�re avec la Libye, on parle d�un c�t� de r�fugi�s et de l�autre de fugitifs. L�, on parle des mesures humanitaires tandis que de l�autre c�t� on d�nonce des recels de fugitifs... Mais cela n�est en rien nouveau. Un penseur qui a v�cu au XVIIe si�cle, a �crit cette phrase rest�e c�l�bre : �V�rit� en de�� des Pyr�n�es, erreur au-del�.� Deux si�cles plus tard, le sociologue Auguste Comte �non�ait � son tour, cet axiome : �La seule r�gle universelle c�est que tout est relatif.� C�est l��crivain Pirandello du XXe si�cle, qui a tranch� et clos d�finitivement le d�bat sur la relativit� de la v�rit�, avec ces quatre mots : �A chacun sa v�rit�. C�est je pense une fa�on convenable de conclure ces r�flexions sur le droit d�asile et le statut de r�fugi�, �l�ments fondamentaux du droit humanitaire, qui est aussi g�n�reux que mal compris, et qui fait en outre, l�objet de surprenantes interpr�tations, tant de la part des politiques � ce qui n��tonne gu�re � que de la part de certains juristes.