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LES MIROIRS AUX ALOUETTES, DE BADR�EDDINE MILI
Lorsqu�on l�che la proie pour l�ombre
Publié dans Le Soir d'Algérie le 10 - 10 - 2011

Voici un livre qui aurait pu �galement s�intituler �La travers�e du miroir des illusions �. Il �tait une fois la R�volution... Badr�Eddine Mili vient de publier aux �ditions Chihab le deuxi�me roman d�une trilogie entam�e en 2009 avec la Br�che et le Rempart.
L�auteur revisite, cette fois, l�histoire de l�Alg�rie ind�pendante des ann�es soixante et soixante-dix. Histoire d�une saga, toujours. Celle de Stopha, le h�ros du premier roman, et qui est encore le personnage principal de cette fiction inspir�e de faits r�els. Dans les Miroirs aux alouettes, Badr�Eddine Mili remet sous la lumi�re des projecteurs l�intrigue, l�atmosph�re et le d�cor d�une sc�ne qui avait jadis connu ses moments de fi�vre. Une sc�ne o� les intermittents du spectacle ont le beau r�le. La pi�ce qui se joue permet, surtout, de mieux �clairer les d�bats actuels autour du r�le et du poids des �lites et des intelligentsias en Alg�rie. La th�matique, la structure du r�cit, la technique d��criture, le style sont d�ailleurs orient�s de fa�on � b�tir un roman politique. Ce qui n�emp�che point, ici, de respirer la bonne litt�rature, gr�ce � l�art de l��crivain et ses talents de conteur, l�humour et la d�rision �tant les autres ingr�dients qui rendent la lecture de ce livre fort agr�able. On se souvient que la Br�che et le Rempart s�ach�ve sur le d�part de Stopha qui quitte Constantine, sa ville natale, pour rejoindre l�universit� d�Alger au lendemain d�une ind�pendance o� tous les r�ves et les espoirs �taient permis. Dans les Miroirs aux alouettes, cela commence bien pour notre h�ros : l�ambiance est � la f�te et l�avenir s�annonce prometteur. Stopha, l��migr� �volontariste � (sic) se lance avec enthousiasme � la conqu�te d�une capitale qui �lui tend les bras�. Nous le suivons alors, pas � pas, comme dans une visite guid�e, �Au pays du Fr�re militant� (le titre du chapitre premier du roman). Ainsi va-t-il de d�couverte en d�couverte, ravi par le chant des sir�nes de la R�volution socialiste. C��tait l��poque des �Promesses socialistes du Fr�re militant (le pr�sident Ahmed Ben Bella, ndlr) qui faisait monter la fi�vre dans les rangs� durant ses meetings. A son tour, Stopha va faire son entr�e dans l�ar�ne de la R�volution, encourag� par ses amis �tudiants. Devenu un jeune �militant d�avant-garde�, il ne rate pour rien au monde �les d�bats politiques (...) sulfureux sur les trav�es des amphis o� s�affrontaient les partisans du lib�ralisme et les partisans du socialisme triomphant �. Pour parfaire son apprentissage et son �ducation, il peut �galement compter sur toutes ces �stars de l�id�ologie� qui officient partout � Alger : au th��tre, � la cin�math�que... Quelques b�mols, pourtant. Par exemple lorsqu�il fait un crochet � Bachdjarrah. L�, il d�couvre un autre monde, celui des gens du peuple et qui lui tiennent un langage beaucoup plus terre � terre. Le bon sens m�me. Mais Stopha est emport� par son enthousiasme. Il d�borde d�activisme, commence � monter en grade... Ironie de l�histoire, en juin 1965 et pendant que se tournait le film la Bataille d�Alger, les vrais chars �taient � la Grande- Poste ! Le coup de force du 19 juin voit le �Grand Fr�re� (Houari Boumedi�ne) d�poser le �Fr�re militant�. Une autre d�ception attend Stopha, � la suite d�une vir�e � Constantine : le socialisme n�y avait pas pris racine. Heureusement, les nouveaux ma�tres r�activent aussit�t les sc�nes culturelle et estudiantine. Le �Diwan� (le Conseil de la R�volution) multiplie les signes de d�tente. L�occasion pour Stopha et ses semblables de replonger dans le bain des id�aux r�volutionnaires. Alger reprend des couleurs. D�sormais, �le Voyage dans les miroirs du grand fr�re� (le titre du chapitre deuxi�me) peut commencer sous des vents favorables. Stopha s�initie au syndicalisme d�appareil, est promu officier de r�serve. La voie royale s�ouvre sous ses pas lorsqu�il est propuls� �missionnaire � la radio�, ce qui lui donne le privil�ge de faire des voyages � l��tranger. Son z�le est r�compens�, certes, mais il ressent quelque amertume � constater que les r�formes lanc�es par le �Grand Fr�re� sont d�sesp�r�ment lentes, m�me si le �Diwan� a ouvert d�autres fronts de combat. L�histoire s�acc�l�re, en 1978, avec la myst�rieuse maladie du pr�sident, son d�part � Moscou, puis son d�c�s et ses fun�railles grandioses. �Une histoire condamn�e � un avortement perp�tuel�, se dit Stopha. Il sait ce qui l�attend : �Lui aussi, non conforme aux nouveaux standards, serait d�barqu� pour avoir d�fendu des valeurs aujourd�hui d�cot�es et ferait partie des charrettes sacrifi�es au chant des nouvelles sir�nes, les golden boys de l�infitah.� Un travail de d�tricotage auquel s�attellent aussit�t les �Spadassins de la peste noire du bazar� et les Tartuffes. Dans une lettre �testament� � la fin du livre, Stopha �crit que �la travers�e du miroir des illusions� venait de prendre fin. Rendez-vous est donn� au lecteur pour de nouvelles aventures, dans un autre monde (le troisi�me roman de la trilogie, qui sortira en librairie probablement en 2012 et qui a pour titre les Passions maudites). Les miroirs aux alouettes-propose donc plusieurs grilles de lecture (politique, historique, culturelle...), sur une �poque qui s�est achev�e avec la mort du pr�sident Boumedi�ne. Le 4e Congr�s du FLN signe le d�clin du socialisme et la revanche des lib�raux, le tout sur un arri�re-go�t d'am�res d�sillusions pour certaines �lites qui, loin d�occuper le terrain, fantasmaient plut�t sur la soci�t�. Ces �lites �taient incapable de s'inscrire dans la dynamique des mouvements sociaux, surtout en raison de leur �miettement et de certaines pratiques de cooptation client�liste. L�entrisme, l�absence d�un champ intellectuel critique et autonome porteur de sens, l�apparition de nouvelles �lites accentuant les divisions... ont pr�cipit� la faillite des �lites et des intelligentsias, mettant � nu leurs inhibitions, leurs handicaps et leur incapacit� � influer sur les centres de d�cision. Exactement comme � l��poque du syst�me colonial. Qu�il est loin le message de Novembre, semble nous dire Badr�Eddine Mili. Avec des �lites an�mi�es, devenues aphones et d�sempar�es de se retrouver dans le labyrinthe du Minotaure (celles qui se convertissent ne sont pas concern�es), comment et dans quel sens perp�tuer Novembre ? L�auteur promet de nous offrir d�autres cl�s de lecture dans son troisi�me roman. Apr�s la th��tralisation, l�emphase et le path�tique affect� (Stopha est l�anagramme de pathos), viendra le temps des �amours maudites�. Cela promet.
Hocine T.
Badr�Eddine Mili, les Miroirs aux alouettes, Chihab �dition, Alger, septembre 2011, 230 pages, 600 DA


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