Entretien r�alis� par Kamel Amarni L�ancien pr�sident de l�Assembl�e populaire nationale a entam�, jeudi � partir de B�ja�a, une s�rie de ventes-d�dicaces de son livre De la Numidie � l�Alg�rie, grandeurs et ruptures . Karim Youn�s �tait hier � S�tif avant de pr�senter son essai � Alger le samedi 22 octobre, puis � Boussa�da le 29 et bien d�autres villes encore. Il se confie au Soir d�Alg�rie pour sa premi�re d�claration publique depuis juin 2004. Pour parler de son livre, mais pas seulement� Le Soir d�Alg�rie :Il n�est pas courant que les hommes politiques en Alg�rie, ceux ayant exerc� des responsabilit�s notamment, �crivent des livres... Karim Youn�s : Dans le cas de notre g�n�ration, celle qui a eu la chance d�acc�der au deuxi�me palier de l�enseignement gr�ce � l�ind�pendance du pays, �crire participe de l�acte fondateur du passage qualitatif, de la mue qu�op�re depuis quelques ann�es la soci�t� alg�rienne qui passe pour des raisons historiques donn�es du stade de l�oralit� � l��criture, de l�analphab�tisme g�n�ralis� d�hier � la soci�t� de l�information du �clic de souris� d�aujourd�hui. Nous pouvons, � ce titre, proclamer publiquement la n�cessit� suivante : nous devons toutes et tous �crire ! Mais un livre ou le th�me d�un livre ne s�improvise pas : il se m�rit, se r�fl�chit, se programme. J�ai ressenti pour ma part le besoin d��crire pour l�histoire de mon pays, pour la lib�ration de nos consciences vis-�-vis des g�n�rations dont nous sommes comptables. En r�alit�, ce type de livre je l�avais � c�ur depuis longtemps, il m�habitait, j�ajouterai, pour �tre tout � fait honn�te, depuis toujours ! Dans De la Numidie � l�Alg�rie, grandeurs et ruptures, vous faites r�guli�rement des lectures au pr�sent d��v�nements historiques. Le destin national serait presque une fatalit� selon votre raisonnement... Je me suis beaucoup r�f�r� au pass� avec l�arri�re-pens�e d�apporter un �clairage sur le pr�sent et oser un regard vers de nouveaux horizons, sans pour autant r�sumer l�ad�quation � une simple extrapolation m�canique de notre histoire commune, composante non n�gligeable de l�histoire universelle, m�me si cette extrapolation devait �tre corrobor�e par les faits et les �v�nements. Quand vous lisez l�histoire de l�Alg�rie et c�est important de la lire et surtout de la relire, depuis l�antiquit� � nos jours, vous verrez qu�elle ne se pr�te nullement � une lecture uniforme, plate et sans relief. Il vous faut la voir � travers diff�rentes facettes, diff�rentes perspectives pour recomposer son large spectre afin d�en r�aliser un continuum de mani�re claire, concise compr�hensive et surtout lisible pour les g�n�rations d�aujourd�hui et de demain. C�est un peu ce que j�ai fait � ma modeste mesure. Je n�ai pas voulu appr�hender l�histoire de l�Alg�rie � travers son aspect exclusivement narratif, qui est fort int�ressant certes, mais � travers ses aspects politiques et �conomiques et au fur et � mesure de cette lecture, je me suis remis en question ou du moins, je pense pouvoir tirer la haute satisfaction morale d�avoir tent� de le faire, au moment o� j�avais le recul le moins subjectif. Est-ce une autobiographie ? Des m�moires d�un retrait� de la politique ? Ce livre ne peut �tre rang� ni dans le genre �autobiographique� ni dans celui de �m�moires�. Il faut rappeler que les fronti�res entre ces diff�rents genres litt�raires ne sont pas herm�tiques et que des passerelles permettent le passage de l�un � l�autre. J�inscris par contre ce livre dans le genre de l�essai, m�me si et je le redis, les barri�res entre les genres sont souvent �lastiques, parfois artificielles. C�est cet espace de permissivit� des genres, si l�on peut dire que j�ai tent� d�investir. Ai-je r�ussi ? Au lecteur de trancher ! C�est donc un ouvrage qui propose au lecteur une r�flexion sur un seul et unique sujet : l�Alg�rie o� l�auteur donne son opinion sur les probl�matiques trait�es, histoire, politique, �conomie. Ce livre �gr�ne une part de tout cela. Il d�veloppe aussi les diff�rentes p�rip�ties des inaccomplissements de l�histoire alg�rienne faite de Grandeurs en majuscules et au pluriel et de Ruptures au pr�sent compos�, si je puis dire, parfois de durs et inacceptables reniements. Au terme de ces d�veloppements, je me pose publiquement deux questions essentielles qui me pr�occupent et qui pr�occupent au plus haut point les citoyens alg�riens aujourd�hui. Sans d�tour : a-t-on tir� les le�ons du pass� � chaque �tape de notre histoire ? Que nous r�serve l�avenir ? Quel bilan de nos actions pass�es et actuelles l�guerons-nous � nos descendants ? Sur la premi�re interrogation, on peut dire que l�Alg�rie n�a pas encore fini de tirer les le�ons de son pass�. Qu�il soit lointain ou contemporain. L�histoire n�est pas un long fleuve tranquille pour les peuples, et les pouvoirs ne doivent pas se laisser emporter, �s�encanailler� au sens boulimique de la jouissance, sous toutes ses formes. En un mot, une nation qui va de l�avant ne se construit que si le peuple se nourrit en permanence des s�ves renouvel�es, revivifi�es du patriotisme. Sur la seconde il suffit seulement de s�interroger : sur le r�le g�opolitique de notre pays aujourd�hui quand on sait que les initiatives internationales prises dans les pays qui comptent le sont au nom de la cr�dibilit� acquise de leurs institutions respectives aupr�s de leurs peuples, sur la fuite � rythmes continus de notre �lite contrainte � l�exode depuis des lustres faute de pouvoir s��panouir dans son pays ? Sur la nature de notre �conomie qui semble �tre vou�e irr�versiblement � un march� de troc (p�trole contre �tout�) ? Malheureusement, et il n�est pas exag�r� de le penser, nos martyrs et ceux qui ont vou� leur vie pour l�Alg�rie doivent �tre perturb�s dans leur repos �ternel devant le spectacle navrant des offenses au pass�, des errements au pr�sent, qui hypoth�quent de mani�re de plus en plus irr�m�diable l�ouverture vers des horizons plus sereins. Le bilan que vous faites des diff�rents r�gimes alg�riens de l�ind�pendance � nos jours est sans �tat d��me ! N�est-ce pas paradoxal pour vous qui �tiez militant et m�me dirigeant dans l�ex-parti unique ? Tout bilan est par essence paradoxal, sujet � questionnements multiples surtout quand il s�agit d�un pays aussi complexe que l�Alg�rie. Il fut un temps o� on se suffisait de c�l�brer � coups de manchettes les �bilans globalement positifs�. A l��preuve du temps qui passe, de la Grande Histoire, ils se sont av�r�s globalement n�gatifs. J�ai essay� pour ma part de m�extraire de la d�marche manich�enne du tout clair ou du tout obscur en tentant de combiner les armes du militant que sont la critique et autocritique, pour dresser le bilan qui est dans le livre, qui doit � son tour �tre soumis � la critique ext�rieure. En page 343, j��cris : �Toute �uvre comporte du positif et du n�gatif.� Et de m�interroger : �Est-il possible d��tablir un semblant de l�action d�un responsable politique ayant de surcro�t acc�d� � la magistrature supr�me en faisant abstraction de la d�marche manich�enne qui consiste � ne voir en lui que du blanc ou du noir ?� Le fait d�appartenir � une formation politique, en qualit� de simple militant ou de dirigeant, non d�cisif, si ce n�est l�interm�de gouvernemental, ne me dispense pas de recourir � mon droit citoyen d�exprimer ma pens�e sur les succ�s comme sur les �checs de 50 ans de gestion des affaires du pays sous divers gouvernements sous l�autorit� de chefs d�Etat � qui revient la responsabilit� majeure de la bonne ou de la mauvaise gouvernance. La critique souligne une avanc�e de la libert� d�expression garantie en principe par les diff�rentes constitutions successives du pays. Elle est l�une des composantes de la d�mocratie tout comme le pluralisme des opinions politiques. Bouteflika aura compl�tement rat� sa politique �conomique. Qu�en est-il du volet politique ? Pour ce qui me concerne, j��viterai tout raccourci pouvant mener � des exc�s in�l�gants. Vous savez bien que tout ce qui est excessif est insignifiant comme le rappelle Talleyrand. Et il faut � l�honn�tet� rendre justice : il n�y a jamais que du blanc ou du noir dans un bilan. Dans l�une des grandes r�alisations de ce que les historiens appelleront � l�avenir �l��re Bouteflika�, nous pouvons citer l�autoroute Est-Ouest faite fondamentalement pour rapprocher les Alg�riens entre eux, voire les Maghr�bins. Si on devait dresser le bilan vrai de cette r�alisation qui est celle de l�Alg�rie, nous verrons qu�il y a des centaines de kilom�tres de lignes blanches et autant de kilom�tres de points noirs (bouchons) et que cette autoroute rapproche certains et en �loigne d�autres� On peut cependant estimer que l�Alg�rie a b�n�fici� de beaucoup d�atouts pour atteindre de meilleurs r�sultats. Ce n�est pas le cas. Les capitaines de l��conomie n�ont pas men� leur t�che � bon port. C�est d�ailleurs le pr�sident Bouteflika qui l�a reconnu lui-m�me � la fin de son deuxi�me mandat Quant au volet politique, le constat � faire est simple. Si le gouvernement s�attelle aujourd�hui � mettre en place des r�formes, c�est que la situation dans ce domaine n�est pas reluisante et qu�elle n�cessite un r�examen � la suite du vent de fronde des peuples qui fait l�actualit� depuis le d�but d�ann�e en cours. Pourtant, rappelons- nous le discours prononc� en 2001 lors de l�installation du Comit� de r�forme des missions et structures de l�Etat �l�un des plus grands, sinon le plus grand chantier national que je me suis engag� devant le peuple � r�aliser... est celui des r�formes politiques�. Une r�forme globale, selon ses propres mots. Desservi par les vents dominants dont il n�a pas anticip� les tendances lib�ratrices, il vient dix ans plus tard ouvrir le chantier boud� par plusieurs tendances politiques lourdes. La sagesse est d�sormais, et tant qu�il est encore temps, d�accompagner les lignes de forces qui traversent nos soci�t�s par des moyens pacifiques, de nous pr�munir contre des d�rapages f�cheux, d�abandonner l�enfermement dans un ego surdimensionn�, pr�judiciable, improductif et vain. Apr�s ce livre que pr�voit d�entreprendre Karim Youn�s ? Pourquoi pas un autre livre. D�autres livres ? Je n�ai jamais oppos� Nature et Culture. Pour moi les deux concepts se compl�tent et s�auto-p�n�trent. Je me confie sans calcul � ce couple qui vit en parfaite osmose, comme les deux faces d�une m�me pi�ce. Il me m�nera � travers le d�dale de la vie jusqu�� ma destin�e finale. Je n�ai aucun amarrage, mon chemin est guid� par le seul phare de ma conscience, au c�ur de laquelle l�Alg�rie plurielle d�crite dans mon essai occupe une large place.