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R�PONSES � ABDELALI MERDACI ET MOHAMED MA�RFIA
Pourquoi accabler Houari Boumedi�ne ? 1re partie
Publié dans Le Soir d'Algérie le 23 - 10 - 2011


Par Ali Mabroukine, professeur d�universit�
�Les mauvaises intentions sont comme les billets de banque, il faut les poss�der soi-m�me pour les pr�ter aux autres.�
(Jean de La Rochefoucauld)
Il est non seulement l�gitime mais indispensable que l�histoire pass�e et celle plus r�cente de notre pays soit port�e � la connaissance aussi bien de nos compatriotes que des chercheurs des pays int�ress�s par l�Alg�rie. Cette histoire comporte des pages glorieuses, des �pisodes tragiques et une part ineffable d�ombre qui ne sont pas l�apanage de la soci�t� alg�rienne.
Cet exercice, malheureusement, perd de plus en plus de son int�r�t, voire de son impact, notamment sur les jeunes g�n�rations, victimes d�un enseignement de l�histoire qui confine � l�indigence et d�une culture de l�amn�sie, que favorisent grandement, il est vrai, la g�n�ralisation de l�utilisation des NTIC et la dictature intellectuelle de l�instantan�. Du coup, les jeunes, et les moins jeunes d�ailleurs, ne disposent plus de rep�res pour se situer dans le temps et ne sont plus en mesure d�interpr�ter les �v�nements qu�ils vivent aujourd�hui � l�aune des processus de maturation qui travaillent la soci�t� en profondeur et leur conf�rent leur signification et leur port�e. S�il convient de se r�jouir du nombre de monographies, autobiographies et autres t�moignages d�auteurs alg�riens et fran�ais parus ces derni�res ann�es, consacr�s � la domination coloniale et la guerre de Lib�ration nationale, force est malheureusement de constater que nos universitaires et chercheurs, non seulement ne les recommandent pas � leurs �l�ves, mais ne les utilisent m�me pas pour leurs travaux en les soumettant, au besoin, � leur propre critique. Par un des ces funestes paradoxes dont ne cesse de se nourrir l�histoire de l�Alg�rie, c�est au moment o� la parole s�est enfin lib�r�e, et que la censure �sans jamais avoir disparu � semble vouloir mettre un b�mol � ses oukases st�riles, que le nombre de lecteurs d�ouvrages d�histoire chute vertigineusement. Il est par exemple path�tique que les gar�ons et les filles, n�s un certain 5 octobre 1988, soient, pour la plupart, dans l�incapacit� d�attribuer une signification aux graves �v�nements qui se produisirent ce jour-l� et les suivants sur l�ensemble du territoire national. Pourtant, le nombre d�ouvrages, d�articles et de t�moignages parus sur cette p�riode n�est pas n�gligeable, en d�pit de la disponibilit� tr�s relative des sources, ainsi que des r�serves que continuent d�exprimer certains acteurs politiques de ce moment-l�, pour en relater la gestation et les mobiles complexes qui ont inspir� ce s�isme social. Cette mise au point �tant faite, il faut � pr�sent �voquer le pr�sident Houari Boumediene. En dehors de tout �v�nement comm�moratif (23 ao�t 1932, 18 janvier 1960, 19 juin 1965, 27 d�cembre 1978), l�ancien pr�sident alg�rien est une nouvelle fois la cible favorite d�un certain nombre de critiques. A quelques jours d�intervalle, l�universitaire �crivain Abdelali Merdaci (�La crise du livre et de la lecture en Alg�rie - L�indiscutable responsabilit� de l�Ecole r�form�e�, le Soir d�Alg�rie du 7 octobre 2011) et le moudjahid Mohamed Ma�rfia (�Tahar Zbiri- Houari Boumedi�ne. Les dessous d�un coup d�Etat manqu�, le Soir d�Alg�rie des 10, 11, 12 et 13 octobre 2011) ont cherch� � revisiter l�histoire de notre pays, en accablant le pr�sident Boumediene par le recours � des arguments, le plus souvent fallacieux, et une relation des �v�nements purement controuv�e. C�est en vain qu�on chercherait � d�coder le message subliminal qui se love dans ces deux r�quisitoires. On ne peut, en tout cas, s�emp�cher de penser que cette fa�on de revenir sur l�histoire de la p�riode 1960/1970 rel�ve d�une op�ration de r�visionnisme extr�mement dangereuse pour la m�moire collective, et, en m�me temps, ne grandit gu�re ceux qui s�y livrent ainsi, au m�pris de la v�rit� historique.
S�agissant de A. Merdaci (La crise du livre et de la lecture en Alg�rie. L�indiscutable responsabilit� de l��cole r�form�e, le Soir d�Alg�riedu 7 octobre 2011), il est permis de se demander si l�auteur ne confond pas tout simplement les p�riodes, les acteurs et les enjeux politiques qui font la trame de l��ge d�or du livre et de la lecture qu�il situe entre 1962 et 1976. Au chapitre des contre-v�rit�s qui risquent de laisser perplexe l�observateur qui conserve quelque souvenir de cette p�riode, la r�forme de l�enseignement voulue par Houari Boumedi�ne et dont Mostefa Lacheraf n�aura �t� que l��ph�m�re ex�cutant n�a en aucune mani�re d�grad� la qualit� de l�enseignement ; � tout le moins tel n��tait pas son objectif. On ne voit pas du reste quel int�r�t le pr�sident Boumedi�ne aurait eu � remettre en cause les �acquis de l��cole alg�rienne de 1962 � 1976�, puisqu�aussi bien c�est sous sa houlette et avec sa b�n�diction qu�ont �t� engag�es toutes les r�formes de l�enseignement entre 1965 et 1978. A. Merdaci fait grief aux responsables alg�riens d�avoir confondu langue fran�aise et colonialisme fran�ais. Ce faisant, il fait bon m�nage des pesanteurs de l�histoire et des causes profondes de la r�volte alg�rienne contre le colonialisme. L�arabit� et l�islamit� furent les deux principaux ressorts de la mobilisation par le FLN/ALN de millions d�Alg�riens �cras�s par l�ali�nation culturelle coloniale et quasiment r�sign�s � leur destin d��ternels domin�s. L�ensemble des textes fondateurs de la R�volution alg�rienne insistent sur la r�habilitation de la langue arabe au moment o� l�Alg�rie acc�dera � l�ind�pendance. Quel qu�ait �t� le responsable alg�rien, � ce moment-l�, et quels qu�eussent �t� ses successeurs, il leur aurait �t� impossible politiquement, moralement, id�ologiquement, d�abjurer les prescriptions consacr�es par les textes fondateurs de la r�volution et de ne pas r�habiliter la langue arabe. Le pr�sident Boumedi�ne ne pouvait, en aucune mani�re, violenter la symbolique identitaire alg�rienne, port�e non exclusivement, certes, par la seule langue arabe, mais que celle-ci irriguait depuis des temps imm�moriaux, quelque opinion qu�on ait de son aptitude � s�adapter aux �volutions scientifiques et techniques. Du reste, A. Merdaci admet que jusqu�en 1977, l�enseignement dispens� aux �l�ves alg�riens �tait de bonne qualit�, comme le d�montre l��quivalence des dipl�mes d�livr�s par les �tablissements scolaires alg�riens avec les dipl�mes europ�ens (notamment fran�ais). On voit mal le pr�sident Boumedi�ne tourner brusquement le dos � une politique d�enseignement qui avait fait la preuve de son efficacit�, permis la formation d�ing�nieurs et de techniciens d�un haut niveau et laisser esp�rer une rapide assimilation par les Alg�riens des technologies occidentales aux fins de les acclimater aux r�alit�s nationales. Mais ce qu�ignore ou feint d�ignorer A. Merdaci est qu�un rapport accablant sur la situation de l�enseignement en Alg�rie est remis au pr�sident Boumedi�ne dans le courant de l�ann�e 1976. Ce rapport pointe du doigt les effets pervers d�une g�n�ralisation indiscrimin�e de la langue arabe, la formation tr�s lacunaire des enseignants et la menace que fait peser sur toute l��cole alg�rienne la massification de l�enseignement scolaire (exigence, pourtant, on ne peut plus d�mocratique inscrite au fronton des Tables de la loi de la R�volution alg�rienne) d�s lors que 100% d�une classe d��ge devait obligatoirement �tre scolaris�e. On se demande sur quelle plan�te vivait alors A. Merdaci. S�agissant du contenu des programmes scolaires remodel�s � partir de 1977, le pr�sident Boumediene n��tait pas en charge de leur confection. On ne peut � la fois reprocher � l�ancien pr�sident de la R�publique d�avoir voulu s�occuper du d�tail de certaines r�formes importantes (R�volution agraire, GSE, processus industriel, etc.), et inscrire dans la colonne �passif� de son bilan les pr�tendus failles de la r�forme de l�enseignement � laquelle m�me le volontariste Mostefa Lacheraf n�avait gu�re �t� associ�. A. Merdaci qui nourrit une profonde nostalgie pour la p�riode o� on faisait lire aux �l�ves alg�riens Lamartine, Alfred de Vigny, Rimbaud, au titre des auteurs fran�ais ; Assia Djebbar, Yacine Kateb, Mouloud Feraoun, au titre des auteurs alg�riens, se trompe de cible. Le d�part des enseignants coop�rants fran�ais, au milieu des ann�es 1970, l�alg�rianisation de l�encadrement p�dagogique (� laquelle le pr�sident Boumedi�ne ne pouvait tout de m�me pas s�opposer), la g�n�ralisation de la scolarisation, la mont�e en puissance du courant islamo-conservateur (que d�autres que Houari Boumedi�ne ont cherch� � instrumentaliser pour faire pi�ce � la s�cularisation progressive de l�espace public) ; tous ces facteurs se sont ligu�s, au travers d�un processus lent mais irr�m�diable, pour marginaliser l�enseignement de la langue fran�aise au profit d�un enseignement de la langue arabe d�suet, inepte, archa�que dont le contenu s�inscrivait � rebours de l�option modernisatrice de la soci�t� en faveur de laquelle �uvrait le pr�sident Boumediene. En m�me temps, le rapport remis au chef de l�Etat d�plore la scolarisation interminable d�un grand nombre d��tudiants � l�universit� (12 � 14 ans pour achever une licence) ; ce qui conduit le pr�sident de la R�publique � instruire Abdelatif Rahal, nomm� en avril 1977, ministre de l�Enseignement sup�rieur et de la Recherche scientifique, d�instaurer un numerus clausus, non pas � l�entr�e de l�universit�, mais en cours de scolarit�, afin d��pargner � l�universit� alg�rienne une clochardisation in�luctable (devenue aujourd�hui r�alit�). Est-ce d�ailleurs un hasard, si � l�occasion du 4e congr�s du FLN qui d�signe, en janvier 1979, en la personne de Chadli le successeur de H. Boumedi�ne, Mostafa Lacheraf et Abdelatif Rahal furent vou�s aux g�monies avec une rare violence (ils furent tant�t trait�s de supp�ts de l�imp�rialisme et tant�t de francophiles d�g�n�r�s) de la part de ceux qui n�auraient jamais os� lever le regard sur le pr�sident Boumedi�ne ; tout cela avant que Chadli ne transmette le flambeau du secteur de l��ducation � M. Ch�rif Kharoubi et A. Brerhi qui prirent une part d�cisive, comme chacun le sait, � l�effondrement de tout le syst�me �ducatif, lequel sera d�ailleurs poursuivi avec un rare aveuglement par l�ensemble de leurs successeurs. Parce que le pr�sident Boumedi�ne voulait que l�Alg�rie se dot�t de tous les atouts pour se moderniser, lutter contre le sous-d�veloppement, acqu�rir les technologies les plus r�centes, il a d�cid� avec le courage que les historiens objectifs lui ont reconnu depuis longtemps de mettre un terme � une arabisation anarchique, voire irresponsable, qui aurait fini par balayer l�ensemble des artifices de l��cole alg�rienne, toute d�di�e aux humanit�s, selon les v�ux de Merdaci, mais qui ne s�adressait, en d�finitive, qu�� une minorit� tri�e sur le volet. L��cole alg�rienne, ch�re � notre professeur, n��tait qu�un ch�teau de cartes que la premi�re secousse a fait s�effondrer, d�s lors que le 4e congr�s du FLN avait d�cid� de remettre � l�honneur un processus pervers interrompu par le pr�sident Boumediene lui-m�me ; processus qui ne r�pondait pas seulement aux aspirations des �l�ves alg�riens et de leurs parents ; il compromettait, � terme, l�ouverture culturelle de l�Alg�rie sur le monde. En r�alit�, l�analyse de A. Merdaci manque de profondeur historique. La recherche de boucs �missaires, d�autant plus commodes qu�ils ne sont plus l� pour r�pondre de leurs choix, ne fait gu�re progresser la compr�hension de l��volution de la soci�t� alg�rienne dont le syst�me �ducatif n��tait sans doute que le plus embl�matique des microcosmes. Aucune soci�t� n�est manipulable � discr�tion. La d�termination politique, d�t-elle �maner d�un chef charismatique � la l�gitimit� incontestable, ne saurait � elle seule commander aux hommes et aux choses. La construction de l�Etat alg�rien reste encore � ce jour une entreprise fragile et r�vocable. Au lendemain de l�ind�pendance, c�est une formation historique et sociale fragment�e, �miett�e, segment�e, h�t�rog�ne, composite, dans laquelle les liens primordiaux tiennent lieu de ciment unificateur de la nation, dont vont h�riter les responsables alg�riens, sans que malheureusement une majorit� d�entre eux en aient eu une claire conscience. Il fallait concevoir de toutes pi�ces un syst�me �ducatif, coh�rent, complet, articul� � une soci�t� dont les cadres traditionnels avaient vol� en �clats durant la colonisation et capable de s�adresser � des citoyens dont les parents �taient majoritairement analphab�tes. Il fallait � la fois restituer � la langue arabe la place que les p�res fondateurs du mouvement national lui avaient d�embl�e assign� et faire sortir le pays du sous-d�veloppement. Il fallait � la fois promouvoir un enseignement de qualit� et d�mocratiser son acc�s aux cat�gories sociales qui avaient le plus souffert de la colonisation. Tel �tait, du reste, le message du 1er Novembre 1954 et telle �tait la feuille de route du Congr�s de la Soummam d�ao�t 1956. L�option qui a �t� faite � partir de 1962 jusqu�en 1977 r�pondait en apparence � cette double exigence, sauf que le ver �tait d�j� dans le fruit depuis longtemps, l�Alg�rie ne disposant pas de ressources humaines et mat�rielles suffisantes pour instaurer un v�ritable bilinguisme � l�usage de tous les enfants alg�riens scolarisables. A la fin de l�ann�e 1976, alors qu�il vient d��tre �lu pr�sident de la R�publique au suffrage universel direct, Houari Boumediene, dans une solitude impressionnante, d�cide de mettre un terme � l�arabisation. A sa fa�on, avec une dose de volontarisme sans doute excessive, dans la mesure o� elle prenait � revers la haute administration de l��ducation nationale, jusqu�alors instruite d�arabiser tous azimuts, passant outre les mises en garde du Dr Ahmed Taleb Ibrahimi alors ministre conseiller � la pr�sidence de la R�publique, mais aussi ancien ministre
de l�Education (dont la responsabilit� dans l��chec du processus d�arabisation est immense), il d�cr�te la mise en concurrence de la langue arabe (langue nationale et officielle) et du fran�ais (langue �trang�re assur�ment, mais langue de travail, de recherche et du progr�s scientifique), concurrence dont l�issue ne pouvait faire de doute, d�s l�instant que la langue arabe �tait pour l�essentiel cantonn�e aux sciences humaines et sociales et qu�elle �tait caract�ris�e par un enseignement scolastique du niveau le plus indigent. Une fois la d�cision prise de restaurer la langue fran�aise dans l�enseignement restait � �laborer le mode op�ratoire de la r�forme. C�est sur ce point qu�Abdelali Merdaci aurait gagn� � �clairer le d�bat. D�abord n��tait-il pas trop tard pour revenir sur l�arabisation en 1977 ? � cette �poque, 70% des �l�ves de l�enseignement primaire, moyen et secondaire sont enti�rement arabis�s, tandis que l�enseignement du fran�ais est d�j� r�duit � la portion congrue. Comment refranciser ceux qui s��taient d�saccoutum�s de la lecture de Rimbaud et comment franciser ceux qui entamaient leur scolarit� ? Avec quels programmes ? Quels enseignants ? Quel type d�apprentissage de la langue ? Il aurait fallu battre le rappel des coop�rants fran�ais install�s dans leur pays sans esprit de retour en Alg�rie, cr�er une acad�mie de la langue fran�aise, convaincre la France d�ouvrir des dizaines de centres culturels � travers l�ensemble du territoire national, mettre sur pied une gigantesque collaboration culturelle avec l�ancienne puissance coloniale, tout en la mettant � l�abri d�instrumentalisations politiciennes in�vitables. Un pari redoutable, insens�, diront certains. C�est, pourtant, ce � quoi semble se r�soudre le pr�sident Boumedi�ne, fort de sa r�putation de nationaliste ombrageux qui ne peut nourrir aucun complexe vis-�-vis des tenants d�une arabisation int�grale de l�enseignement et m�me de l�administration. Mais le pr�sident Boumedi�ne ne vivra encore que 17 mois apr�s cet indicible d�but de mutation du syst�me scolaire auquel le 4e congr�s du FLN donnera un coup d�arr�t d�finitif, en janvier 1979.
En ce qui concerne Mohamed Ma�rfia (�Tahar Zbiri-Houari Boumedi�ne - Les dessous d�un coup d�Etat�, le Soir d�Alg�rie des 10, 11, 12 et 13 octobre 2011), l�objectif de cet article est clair. Il est de pr�senter le colonel Boumedi�ne comme un dictateur, obnubil� par le seul exercice solitaire du pouvoir, �rigeant le principe de coll�gialit� en loi d�airain, avant de le pi�tiner, n�accordant une oreille attentive qu�aux membres du club restreint d�Oujda, m�prisant les moudjahidine de la premi�re heure au profit des officiers d�serteurs de l�arm�e fran�aise (ci-apr�s les DAF) dont il a fait la promotion � tous les niveaux de l�Etat. A suivre M. Ma�rfia, Houari Boumedi�ne n�avait pas de vision, sinon celle de la trace qu�il laisserait dans l�histoire. Il s�est jou� de tous les protagonistes des luttes d�appareil, de factions et de clans qui ont jalonn� l�histoire de l�Alg�rie depuis sa d�signation � la t�te de l�Etat-major g�n�ral (EMG), en d�cembre 1959-janvier 1960. Et sans doute que lorsque le pr�sident Boumedi�ne prit d�finitivement cong� de ses contemporains, le 27 d�cembre 1978, l�Alg�rie, toutes cat�gories sociales et toutes classes d��ge confondues, put, enfin, recouvrer sa respiration. Comme l�article, extr�mement long, de Mohamed Ma�rfia virevolte sans cesse d�une question � une autre, d�une p�riode � l�autre, d�une personnalit� � une autre, sans qu�un fil d�Ariane vienne les encha�ner et que, par ailleurs, l�anecdote caustique et jubilatoire y tient une place pr��minente, comme s�il est apparu insolite pour l�auteur que des chefs politico-militaires puissent avoir des �tats d��me comme tous les autres humains, c�est arbitrairement que j�ai choisi quelques points pour r�pondre � notre moudjahid. Je commencerai par les d�serteurs de l�arm�e fran�aise, l�itin�raire de H. Boumedi�ne au sein de l�ALN, ce qu�il en a �t� de la coll�gialit� au sein du Conseil de la R�volution, enfin du bilan que l�on peut dresser de l�action de Boumedi�ne � la t�te de l�Etat entre 1965 et 1978. Je mets naturellement au d�fi Mohamed Ma�rfia d�apporter la plus mince r�futation argument�e � mes assertions, toutes puis�es aux meilleures sources. Le moudjahid Ma�rfia n�avait nul besoin d�accabler H. Boumedi�ne pour faire le pan�gyrique du colonel Tahar Zbiri, homme estimable et respectable. Alors m�me que ce dernier ne cessait de vouloir se rapprocher d�A. Ben Bella qui l�avait nomm� � la t�te de l��tat-major, aux fins d�isoler H. Boumedi�ne, le futur chef de l�Etat alg�rien le maintiendra � ce poste, apr�s le redressement du 19 juin 1965, jusqu�au fatidique 14 d�cembre 1967. Et lorsque Tahar Zbiri exprimera ses multiples d�saccords avec H. Boumedi�ne sur des questions politiques, militaires et personnelles, ce dernier lui ouvrira sa porte et �coutera ses dol�ances. Qu�il ne les ait pas pris en compte pour infl�chir ses m�thodes de gouvernement est une autre affaire. Les fins de non-recevoir que H. Boumedi�ne opposera � son chef d��tat-major ne diminuent en rien la pertinence des options de Houari Boumedi�ne et, r�trospectivement, ne d�montrent pas la lucidit� dont aurait fait preuve, semble-t-il, Tahar Zbiri. La question n�est pas de savoir si Tahar Zbiri s��tait, � un moment ou � un autre, distanci� du style de Houari Boumedi�ne ou du choix de ses collaborateurs, elle est d�abord de savoir en quoi ce style malmenait les principes de la R�volution dont Tahar Zbiri se voulait l�avocat inlassable, ensuite en quoi les propositions de ce dernier (mais lesquelles ?) �taient de nature � remettre les pendules � l�heure et permettre la r�conciliation des fr�res ennemis. Mohamed Ma�rfia passe sous silence le fait que Tahar Zbiri respectait profond�ment le pr�sident Boumedi�ne et qu�il avait une grande admiration pour lui. En revanche, la mont�e en puissance des DAF, la confiscation de la d�cision politique non pas seulement par les membres du groupe d�Oujda, mais aussi par le DGSN, le colonel Dra�ra, le commandant de la Gendarmerie nationale, le colonel Bencherif, la soustraction au d�bat des orientations �conomiques et industrielles par Bela�d Abdesslam et l��quipe des industrialistes, s��taient conjur�es pour donner au chef d��tat-major le sentiment qu�il n��tait gu�re partie prenante dans le processus de d�cision.
En ce qui concerne les DAF
L�auteur de ces lignes n�a, a priori, aucune aptitude � en parler en parfaite connaissance de cause. Mais il y a l�histoire que tout le monde doit conna�tre. Le premier personnage politique � s�inqui�ter de l�audience des DAF aupr�s du colonel Boumedi�ne est un des membres du fameux �groupe des 22� qui a d�clench� l�insurrection du 1er Novembre 1954. Il s�agit de Zoubir Bouadjadj qui interpelle un jour, � l�Assembl�e nationale, le colonel Houari Boumedi�ne pour lui demander de s�expliquer sur le traitement de faveur qu�il est en train de r�server � des hommes ayant rejoint le maquis sur le tard, apr�s avoir d�missionn� de l�arm�e fran�aise, mais non sans avoir obtenu l�assurance, semble-t-il, que l�ind�pendance de l�Alg�rie serait imminente. H. Boumedi�ne eut cette r�ponse qui valait son pesant d�or : �De la m�me mani�re que ces hommes ont servi sous le drapeau fran�ais jusqu�� leur d�mission, ils serviront l�Alg�rie ind�pendante et formeront les futurs officiers de l�ANP.� H. Boumedi�ne aurait voulu laisser entendre, pour rassurer un auditoire majoritairement compos� de militaires historiques et de militants issus pour l�essentiel du PPA/MTLD, que ces DAF n��taient que des mercenaires � la solde de leurs commanditaires successifs, qu�il n�aurait pas utilis� expression plus appropri�e. Et l�on est fond�, aujourd�hui, � aller plus outre dans l�interpr�tation subs�quente de cet aveu, en se demandant si les DAF qui l�avaient �cout�, ce jour-l�, n�avaient pas convenu de pr�parer quelque coup de Trafalgar contre lui, au besoin en s�appuyant sur des officines �trang�res pour prix de sa condescendance et de son m�pris � leur �gard. Quelques ann�es plus tard, ce sera au tour du commandant de la 1re R�gion militaire, le colonel Sa�d Abid, dont la personnalit�, l�autorit�, le sens de l�organisation et le niveau intellectuel n�ont curieusement pas �t� mis en �vidence par M. Ma�rfia, de s�alarmer des pouvoirs accrus d�volus au colonel Abdelkader Chabou en qualit� de secr�taire g�n�ral du minist�re de la D�fense nationale et de l��mergence, irr�pressible, � ses yeux, des DAF aux postes de commandement de l�arm�e (S�lim Sa�di Slimane Hofmann, Mohamed Zerguini, Khaled Nezzar, Larbi Belkheir, Hamou Bouzada, etc.). H. Boumedi�ne lui prodigue quelques apaisements en lui rappelant notamment qu�il l�a d�sign� � la t�te de la plus importante r�gion militaire, que pas un seul des autres chefs de r�gion n�est issu de l�arm�e fran�aise, qu�il a besoin des DAF pour encadrer les officiers de l�ANP et assurer l�intendance, cependant que la connaissance que ces hommes ont des habitudes et des m�thodes de travail de l�arm�e fran�aise constitue un atout pour l�Alg�rie, au regard de sa strat�gie dans la r�gion subsaharienne et m�me, au-del�. Il ajoute, enfin, caustique, comme il lui arrivait de l��tre parfois, avec ses compagnons de route, que la plupart des colonels de l�ALN sont incapables de d�chiffrer une carte d��tat-major et qu�il leur faut donc consentir � passer la main, dans l�int�r�t m�me de l�Alg�rie. Ces arguments n�emportent pas l�adh�sion du colonel Sa�d Abid qui fait notamment valoir au pr�sident Boumedi�ne qu�il convient soit d�envoyer les �l�ves officiers se former et se perfectionner � l��tranger (Frounze, Odessa, Le Caire, Madrid, etc.) soit ramener des coop�rants �trangers en les faisant encadrer par des officiers sup�rieurs alg�riens. Ceci pos�, la seule question qui vaille est celle de savoir si les DAF avaient d�missionn� de leur propre chef, ayant acquis progressivement la conviction qu�il fallait d�ores et d�j� se mettre au service d�une arm�e alg�rienne ind�pendante (c�est certainement le cas des A. Allahoum, M. Allahoum, H. Khellil, A. Latr�che, S. A�t Messaoud�ne, tous aujourd�hui disparus et quelques autres) ou si, au contraire, ils n��taient pas une sorte de cheval de Troie des services secrets fran�ais dans l�appareil d�Etat alg�rien en gestation. Le d�bat a �t� ouvert par les historiens et certains hommes politiques au sujet du r�le cl� qu�a pu jouer un homme dans les sommets de l�Etat, � savoir le g�n�ral-major d�funt, Larbi Belkheir, une premi�re fois entre 1980 et 1992 et une deuxi�me fois entre 1999 et 2005 (ann�e o� il est exp�di� manu militari � Rabat, comme ambassadeur d�Alg�rie). Pour l�histoire, il est utile de rappeler que le pr�sident H. Boumedi�ne l�avait volontairement marginalis� vers 1975 en le nommant � la t�te de l�Enita, avant que le pr�sident Chadli ne le r�introduise dans les jeux de pouvoir, et ne lui remette, presqu�aussit�t, la gestion du traitement des dossiers les plus sensibles du pays, avec les r�sultats que les historiens scrupuleux ont d�j� �tablis. Sa�d Abid, moudjahid de la premi�re heure, s��tait battu pour une arm�e alg�rienne authentiquement nationale. La question n�est pas de savoir s�il avait tort ou raison. Il est seulement regrettable qu�il n�ait pas pu s�entendre avec le pr�sident Boumedi�ne ; il ne cessa de lui envoyer le colonel Zbiri qui partageait avec lui les m�mes appr�hensions � l�endroit de la mont�e en puissance des DAF. Le chef d��tat-major ne voyait pas d�autre issue � cette crise que d�engager une �preuve de force avec le pr�sident Boumedi�ne, alors que le patron de la 1re R�gion militaire �tait hostile � tout casus belli. Par un de ces cruels paradoxes dont l�histoire de notre pays n�est h�las pas avare, le premier est toujours de ce monde (que Dieu lui pr�te encore longue vie), alors que le second a disparu voil� bient�t 44 ans.


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