Il se peut que l'argent n'ait pas d'odeur, mais qu'il ait un visage, c'est sûr. Car si l'on a souvent abordé la question du pouvoir d'achat de notre monnaie nationale, il reste que de l'image de nos dinars qui s'en trouve massacrée par la face abîmée de nos billets on n'en parle jamais. Curieuse attitude que celle des autorités qui ne se sont jamais plaintes que nos billets de banque, pourtant reflet de la souveraineté, soient si usés. Des billets de 100 DA et de 200 DA de plus en plus vieux continuent de circuler entre les nombreuses mains... et les banques qui, curieusement, les remettent en circulation. Mais ce que l'homme peut ne pas voir, la machine ne le peut pas par contre. Car ainsi que l'a si bien schématiser M. Boufenara, directeur de la communication d'Algérie Poste, « on peut expliquer à un homme qu'un billet puisse être scotché, ce n'est pas le cas de la machine ». C'est donc seulement ainsi que l'on découvre que nos dinars en billets sont pour ainsi dire inutilisables. Mais en réalité ce problème, parce que c'en est un réellement, est resté pendant des années durant. Il faut remonter au début des années 1990 pour chercher l'explication à ce manque d'esthétique, de fraîcheur et de tonicité à nos billets de banque. « Dès que vous avez des distributeurs automatiques de billets, il faut une autre qualité. C'est un vieux problème », nous a révélé M. Hadj Nacer, ancien gouverneur de la Banque d'Algérie. Il est établi que ces vieillots et tout décrépits dinars sont la preuve matérielle que les banques et les CCP ne renvoient pas les vieux billets. Où les renvoyer ? A la Banque centrale, bien évidemment. Ces derniers doivent « disparaître », ils doivent être « détruits régulièrement ». Ce n'est pas du papier bancaire Mais, « si les banques les remettent en circulation, eh bien vous avez des billets de plus en plus vieux », explique M. Hadj Nacer avant d'ajouter : « En plus, vous avez des billets qui ont été émis de façon provisoire. » Provisoire ?! M. Hadj Nacer, gouverneur de la Banque d'Algérie au début des années 1990, se rappelle la mémorable opération de récupération des billets de 500 DA dans les années 1980 qu'il qualifie de « catastrophique ». « Ça a été une catastrophe. Il y avait par la suite une perte de confiance en l'Etat. C'est pour cela que le gouverneur de la Banque d'Algérie s'est opposé à Belaïd Abdeslam, alors chef de gouvernement, qui voulait rééditer l'opération… Alors à l'époque, il y avait une telle demande de billets qu'on a imprimé des billets de banque sur du papier qui n'était pas du papier bancaire (c'est-à-dire des rotatives qui n'étaient pas prévues pour le papier bancaire). Il y a plein de billets de 100 DA qui sont presque de la photocopie… la Banque centrale ne les a toujours pas récupérés jusqu'à présent. » Car, selon ses témoignages, « la Banque centrale, quand elle reçoit un vieux billet elle le détruit. A 95% elle les détruit, c'est rare quand elle passe la machine pour qu'il soit remis en circulation ». Mais alors que faut-il faire maintenant ? De nouveaux billets ? « Pour que la machine fonctionne, il va falloir des billets de 5000 DA et de 10 000 DA. L'inflation est ce qu'elle est ; la limite est qu'elle ne doit pas être supérieure au SMIG ». Et puis qu'est-ce que ce papier bancaire ? Notre interlocuteur nous apprend que le papier bancaire est un « papier-valeur ». Il nous expliquera que « chaque émetteur de monnaie a son propre papier. Ce papier est acheté en Suisse (importé) ». Ensuite de s'interroger : « Pourquoi alors ce papier est signé ? ». Il est vrai, en effet, que les billets de banque portent la signature du gouverneur de la Banque centrale. En Algérie, M. Hadj Nacer reste le seul gouverneur de la Banque d'Algérie à avoir refusé de signer les billets de banque. « J'ai refusé de signer les billets de banque, c'était une coquetterie de ma part. Parce que je voulais signer sur la série de billets qui sortiraient après 1992 et qui auraient été des billets convertibles avec des maquettes beaucoup plus modernes parce qu'actuellement ce sont des maquettes des années 1960... » Il reste néanmoins que les billets portent la griffe également du secrétaire général du Trésor public. Mais pour M. Hadj Nacer, une monnaie ne vaut que si elle est convertible. « Je pense que la convertibilité rapporte plus qu'elle ne coûte. La convertibilité, c'est de la confiance. C'est ce que nous vendons avant tout. Pourquoi voulez-vous créer une situation de non-confiance ? » Et une monnaie convertible doit forcément être une monnaie dont le papier est propre, tonifiant, sec et ferme. M. Hadj Nacer se rappelle, alors à la tête de la Banque d'Algérie, que sur initiative de cette dernière, on devait passer à d'autres formes de billets. Les billets actuellement en circulation devaient durer « très peu d'années ». On devait passer à la convertibilité fin 1992. « Grosso modo, les billets devaient avoir tous la même longueur mais pas la même largeur. Pour des raisons de choix pratique (les portefeuilles, les comptabiliser, les stocker et comme nous avons une bonne partie de la population analphabète, les aveugles, etc.), il fallait quand même différencier les billets à un moment par la largeur, adopter d'autres coloris… il faut moderniser quand même en permanence et tout ça en fonction de l'avance de la modernisation du secteur bancaire. » Avec une autre forme pour les billets, pouvait-on finalement garder le même visage pour ces dinars ? L'émir Abdelkader et l'iconographie Et puis pourquoi tant d'animaux sur les pièces et les billets de dinars ? Encore une fois, cet aspect de notre monnaie nationale a du reste tant intéressé l'opinion commune des Algériens. « En dehors de l'Emir Abdelkader, dont on a des portraits grâce aux Européens, auparavant la tendance n'était quand même pas au portrait. Pendant toute la période islamique et antéislamique on n'est plus aux portraits dans les représentations. Or en 1989, 1990, 1991, l'idée était quand même de dire qu'il n'y a pas un seul fondateur de l'Algérie. Effectivement, c'est le mythe le plus important sur lequel s'est basée l'Algérie indépendante, néanmoins ce n'est pas le seul personnage clef du pays ». Il s'agit alors de remonter vers tous les personnages clefs du pays et savoir comment les faire apparaître. Un billet de banque n'est pas que de l'argent. Comme « c'est tout une représentation de soi », il importe donc de chercher à ancrer un pays non pas dans « une histoire récente comme s'il n'existait pas auparavant mais plutôt dans l'histoire la plus lointaine ». Dans la période préhistorique, il s'est passé en Algérie des choses importantes (des découvertes archéologiques sur l'existence de certains instruments, utilisation de la roue….). « L'idée, c'est de mettre en relief sur un billet de banque ces mythes fondateurs. » Après on a découpé cela selon « les grandes catégorisations de l'histoire », telle qu'on la connaît aujourd'hui. « La préhistoire, Massinissa, la période islamique (soit tous les 800 ans on a quelque chose d'important), les Rostémides qui sont pour l' Algérie ce que les Hafsides sont pour la Tunisie, et les Idrissides pour le Maroc. C'est-à-dire la matrice qui a donné naissance à l'Algérie actuelle. Nous avons les Fatimides et nous remontons à l'Emir. » Ensuite d'argumenter : « Or si on a l'histoire de l'Algérie tous les huit siècles, on n'a pas de photos, on n'a pas d'iconographies. Alors nous sommes revenus aux animaux parce que nous n'avons pas de photos, et c'est ce subterfuge qui est utilisé dans beaucoup de pays. Cela nous permet de mettre en valeur aussi ce que nous ne savons plus de nous-mêmes : il y a des éléphants, des lions, on retrouve des antilopes préhistoriques, les lions de l'Atlas pour la période musulmane, l'éléphant pour la période de Massinissa, en somme on retrouve des animaux qui ont disparu. » En fait, une leçon d'histoire dans chaque pièce de monnaie, dans chaque billet aussi. Quel apport ! « On a été chercher l'histoire parce qu'un billet de banque doit parler d'un pays. »