[email protected] Ce qui se passe dans le monde arabe nous fait perdre nombre de nos rep�res anciens. On applaudit des �rebelles�, adoub�s des plus beaux sobriquets, dont celui de �d�mocrates�, alors qu�ils font subir � leurs anciens bourreaux et tortionnaires des traitements parfois pires � en tout cas plus exp�ditifs � que ceux qu�ils ont endur�s pendant des d�cennies (pendaison de Saddam et ex�cution sommaire et inhumaine de Kadhafi). On soutient des mouvements port�s � bout de bras par l�Otan et les armadas militaires occidentales qui ne cachent pas des convoitises coloniales semblables � celles du d�but du si�cle �coul�. On rallie la cause des monarchies les plus r�trogrades qui sont au �garde-�-vous� devant leurs ma�tres ; ils leur sont reconnaissants d�avoir ravi � leurs sujets et aux autres coreligionnaires le monopole de la question religieuse pour en faire un usage appropri� � leurs int�r�ts. Quel est justement le secret du rapport de domination-soumission qui lie les monarchies arabo-musulmanes � leurs commanditaires du complexe militaro-industriel �tats-uniens ? Un analyste am�ricain cr�dible nous livre, avec son regard propre, le secret de ce qui pousse un �petit poucet�, un Etat �fast-food�, miraculeusement tir� des sables du d�sert d�Arabie dans le seul prolongement d�un baril de p�trole, sans profondeur historique aucune, � se joindre r�solument � une intervention �trang�re dans un autre pays arabe et � devenir un fervent partisan et soutien de la �r�bellion �(*). David B. Roberts, directeur au Royal United Services Institute du Qatar, rappelle dans son �tude que ce minuscule �mirat arabe de seulement 1,6 million de personnes, des �trangers pour la plupart, riche en p�trole et gaz, a �t� le premier pays arabe � reconna�tre le Conseil national de transition, apr�s avoir assur� l��coulement du p�trole libyen pour le compte des rebelles afin de contourner les sanctions et particip� � l�effort de guerre occidental en fournissant du gaz, du diesel et des millions de dollars d'aide. En mars dernier, il a surpris le monde entier en envoyant six avions de combat Mirage (probablement toute sa force de chasse op�rationnelle) se joindre � des op�rations a�riennes de l'Otan. David B. Roberts va au-del� du soutien symbolique ou moral d�un pays arabe � l�action de l�Otan m�diatiquement esquiss� : �Le Premier ministre qatari, Cheikh Hamad ben Jassim al-Thani, a avou� l'envoi d�armes �d�fensives� aux rebelles, mais l�arsenal parvenu � Tripoli sugg�re que le soutien est all� encore plus loin. Les forces sp�ciales du Qatar auraient assur� une formation d'infanterie de base pour les combattants rebelles libyens dans les montagnes de Nafusa, � l'ouest de Tripoli, et � l'est. L'arm�e qatarie a m�me transport� des combattants libyens de retour de Doha pour des op�rations sp�ciales. Et dans l'assaut final contre Kadhafi, � Bab al-Aziziya, le 24 ao�t, les forces sp�ciales du Qatar ont �t� vues sur les lignes du front.� Le renseignement qatari n�est pas en marge. Ali al-Salabi, un des imams les plus en pointe de Libye, exil� au Qatar depuis de nombreuses ann�es, n�est autre que le fr�re Isma�l al-Salabi, le chef de la katiba du 17 F�vrier, faction rebelle islamiste, r�put�e pour avoir re�u un important soutien financier du Qatar. Al-Jazeera, la cha�ne satellitaire bas�e � Doha, a pour sa part lourdement assist� les rebelles libyens sur le plan m�diatique. L�activisme diplomatique qatari est r�cent. Il date du milieu des ann�es 1990. Mettant � profit ses ressources colossales et sa position g�ostrat�gique, l��mirat intervient dans la solution des diff�rends au Moyen-Orient et au-del�. Au fil des ans, il s'est impliqu�, avec un succ�s mitig�, dans divers conflits internationaux : en 2008, sa m�diation dans le conflit libanais sombre dans l�impasse, apr�s dix-huit mois de tractations. Plus r�cemment, les accords provisoires conclus, sous sa houlette, entre le gouvernement y�m�nite et les rebelles Houthi ne semblent pas pouvoir faire long feu. L�auteur de l��tude rappelle le caract�re d�mesur� des ambitions de l��mirat, comme celle de se mettre � la pointe de l�opinion d�mocratique arabe contre �un dictateur largement d�test� ou de faire de la figuration dans l'op�ration Desert Storm, avant de s�appesantir sur la �rupture spectaculaire de la politique �trang�re traditionnelle� du Qatar depuis �le tournant libyen, dans une r�gion traditionnellement domin�e par les Etats mastodontes�. Le sc�nario libyen peut-il se reproduire en Syrie ? �Si l'�lite qatarie avait la capacit� et la possibilit� de le faire, elle aurait probablement choisi d'intervenir pour arr�ter la r�pression brutale du pr�sident syrien Bachar Al-Assad contre les dissidents. Par ailleurs, comme tout Etat sunnite m�fiant � l�endroit de l'expansion du pouvoir chiite dans la r�gion, le Qatar aurait exploit� l'occasion de d�tourner la Syrie de son orientation actuelle en faveur de l'Iran.� Ce n�est donc pas l�ambition et la pr�tention qui font d�faut mais la capacit� d�agir seul. Qu�est ce qui autorise un tel culot ? Le Qatar dispose de certains �atouts structurels �, exog�nes pour l�essentiel : la s�curit� du pays est garantie par les Etats-Unis via l'�norme base Al Udeid de l�US Air Force, qui dispose de la plus longue piste du Moyen- Orient, et les installations militaires de Sayliyah, le pr�-positionnement le plus important de l�arm�e am�ricaine en dehors du plateau continental Etats-Unis. Au plan int�rieur, l��mirat ne fait pas le poids : en d�pit de leurs ressources, les 250 000 sujets de Sa Majest� sont loin d��tre des guerriers et se complaisent dans un conservatisme fait de structures familiales et tribales fortement hi�rarchis�es, et d�une remarquable �d�f�rence institutionnelle� qui place l'�mir du Qatar, Hamad ben Khalifah Al Thani, bien que non �lu, dans un grand respect de la part de la plupart des Qataris depuis qu'il a pris la succession de son p�re par un coup d'Etat en 1995. Si l�on croit le chef d'�tat-major des forces a�riennes du Qatar, le monde arabe est rest� sans leadership les trois derni�res ann�es. Son pays aspire naturellement � devenir le principal m�diateur entre le monde musulman et l'Occident, �un interlocuteur hautement sp�cialis� entre les deux mondes�. La carte ma�tresse du Qatar reste l�Islam politique : il soutient que les islamistes sont �une partie ind�l�bile� du paysage politique et un potentiel explosif. N�y cherchez cependant pas un quelconque amour divin. Tout est question d�int�r�ts sonnants et tr�buchants car le Qatar a appris � compter : �Certes, les raisons pour lesquelles le Qatar s�est engag� avec autant de v�h�mence sont nombreuses. Avant tout, il va b�n�ficier �conomiquement de l'�re post-Kadhafi pour avoir apport� un soutien si franc et si prompt aux rebelles. Le Qatar disposera probablement d�une part non n�gligeable dans le p�trole de la Libye, l'industrie du gaz et les secteurs connexes comme le transport et la s�curit� des installations�. Des Indign�s de Rome (contre l�aust�rit� et la finance) avaient �crit sur leur banderole samedi 15 octobre courant : �On ne veut pas du futur. Rendez-nous notre pass�.� Ils ne pouvaient pas si bien dire. A. B. (*) David Roberts, Behind Qatar's Intervention In Libya : Why Was Doha Such A Strong Supporter of The Rebels ?, Foerign Affairs, September 28, 2011.