Par Hassane Zerrouky De son lointain exil saoudien, Zinedine Ben Ali a d� bien rigoler. Le jour de l�A�d, la t�l�vision d�Etat tunisienne n�a rien trouv� de mieux que de diffuser l'enregistrement d'une pri�re demandant � Dieu �d'assurer plein succ�s� au pr�sident d�chu. L�espace de plusieurs minutes, des centaines de milliers de t�l�spectateurs tunisiens n�en ont pas cru leurs oreilles. La cha�ne Watania s�en est excus�e. Les responsables de cette diffusion sanctionn�s et remplac�s au pied lev�. A l�arri�re-plan de ce couac t�l�visuel, l�Assembl�e constituante �lue le 23 octobre et dont la t�che est de r�diger une nouvelle Constitution, n�a pas encore �t� install�e. Ennahda, arriv� en t�te du scrutin, a certes d�sign� Hamadi Jeba�li comme candidat au poste de Premier ministre, mais les tractations pour la formation d�un gouvernement avec les deux autres formations de centre-gauche arriv�es en t�te � le Congr�s pour la R�publique et Ettakatol � n�ont pas encore abouti. Ces deux formations, accus�es de compromission par les autres partis de l�opposition parce qu�ils ont choisi de composer avec les islamistes, justifient leur positionnement politique par le fait qu�il faut �tre pr�sent au sein du futur gouvernement pour peser sur les d�cisions d�Ennahda. Il n'est pas question de �c�der sur les acquis sociaux et culturels, ni sur les libert�s fondamentales�, a cru estimer Mustapha Benjaafar, responsable d�Ettakatol. Ennahda �doit prouver que son discours de tol�rance sera concr�tis�, a-t-il poursuivi. �Ennahda a un projet � long terme, il veut tout contr�ler et diriger les minist�res sociaux pour renforcer son assise populaire. Sa base est conservatrice et l'objectif est d'amener la soci�t� � se conformer � sa doctrine�, accuse de son c�t� Nejib Chebbi, fondateur du Parti d�mocrate progressiste (PDP). Quant � Ennahda, le moins qu�on puisse dire est que son discours entretient un flou savant sur de nombreux sujets soci�taux. Ainsi quand on l�interroge sur le fait de savoir si le but d�Ennahda est l�instauration d�un Etat islamique, Rached Ghannouchi r�pond qu�en vertu de la Constitution en vigueur, la Tunisie est d�j� �un Etat musulman dont la religion est l'islam�. A propos de la Charia, il juge que �celleci n'a jamais quitt� la Tunisie : la loi tunisienne s�en est en grande partie inspir�e� et, que, par cons�quent, il ne touchera pas au statut des femmes. A les regarder de plus pr�s, les propos de Rached Ghannouchi sont symptomatiques des d�bats contradictoires agitant son parti, entre ceux, minoritaires, partisans d�une modernit� int�grant les valeurs de l�islam � l�instar des d�mocrates-chr�tiens europ�ens, et ceux qui, sans l�admettre publiquement, poussent vers une islamisation rapide et totale de la Tunisie. Un d�bat que le parti islamique sera contraint de trancher au moment de la r�daction de la nouvelle Constitution. Car, avec � peine un peu plus de 1,5 million de voix sur 7,5 millions d��lecteurs potentiels, Ennahda est bien conscient de ne pas disposer d�un poids suffisant pour pousser son avantage. A Tunis, par exemple, ville de 2,4 millions d�habitants (banlieue comprise), Ennahda n�a obtenu que 163 069 suffrages, soit � �galit� de voix avec ses adversaires de gauche qui ont obtenu 162 229 voix. Aussi est-il permis de penser que le discours rassurant des islamistes sur la d�mocratie et les libert�s ne proc�de pas d�une inflexion de la pens�e de ce parti vers un projet de soci�t� � la turque, mais plut�t du fait qu�une majorit� de Tunisiens ne lui ont pas accord� une marge de man�uvre cons�quente. Ainsi, pour gouverner, Ennahda est contraint de composer avec la r�alit� d�un rapport de force qui ne lui est pas tout � fait favorable. Quant au couac de l�A�d, il tombe � point nomm� dans la mesure o� il pourrait permettre au parti de Ghannouchi de se donner, sans attendre, les moyens audiovisuels de sa politique, � savoir disposer de sa propre cha�ne de t�l�, en vue des �lections l�gislatives qui devraient avoir lieu fin 2012 ou d�but 2013 !