Par Mehdi Mehenni Il s�agit d�une arme blanche qui s�est fortement incrust�e dans les m�urs de la jeunesse alg�roise. Emeutes, affrontements entre jeunes issus de quartiers populaires, bagarres g�n�rales� Le sabre est arbor� � la moindre occasion. Mais il sert surtout � marquer les territoires des bandes rivales de l�Alg�rois, et � trancher dans les milieux de trafic de drogue. Le monopole. Des jeunes �g�s entre 17 et 21 ans le fa�onnent eux-m�mes et le proposent � 1 000 DA. Sa prolif�ration est d�autant plus inqui�tante que la division centre de la police judiciaire de la wilaya d�Alger a d� mobiliser, le jour, sur le terrain, une brigade de lutte contre la violence urbaine, en civil, et la nuit, une brigade d�intervention rapide et de r�pression du banditisme. T�moignages accablants, arrestations spectaculaires et p�rilleuses, terreur quasi quotidienne� Voici ce que cache Alger ! D�but septembre 2011. Les �l�ments de la brigade criminelle de la division centre de la police judiciaire d�Alger font leur patrouille nocturne routini�re. Ils sont de passage dans une ruelle du quartier Mohamed-Belouizdad (ex-Belcourt). Un bruit �trange �mane de la cage d�escalier d�un immeuble. Ils s�arr�tent un peu plus loin et s�y glissent discr�tement. Le surnomm� Cheese, l�un des d�linquants les plus dangereux de Belcourt, ajuste des plaquettes de fer pour fa�onner deux sabres, � l�aide d�une limeuse �lectrique. Le premier �tant achev�, il ne lui reste plus qu�� tailler le second pour qu�il soit bien tranchant. Les policiers le chopent en flagrant d�lit. Cheese, le chef d�une bande de cinq personnes, s�appr�tait � les vendre, 1 000 DA chacun, � deux commer�ants de La�qiba, un des bazars informels les plus fr�quent�s de la capitale. Il fait depuis quelque temps de la fabrication de sabres son commerce et les fa�onnent � l�int�rieur de la cage d�escalier de l�immeuble o� il habite. Aucun voisin de l�entourage n�a eu jusque-l� l�audace d�interrompre son �uvre prohib�e ou du moins le d�noncer. Pourtant, le bruit qu�il propage est assourdissant. Mais c�est que Cheese, un jeune tr�s mena�ant, �g� d�� peine 21 ans, fait peur et surtout porte souvent sur lui un sabre. Il n�h�site d�ailleurs pas � en faire usage. Il a plusieurs d�monstrations � son palmar�s, la derni�re remonte � peine � quelques jours avant son arrestation. Lui et sa bande ont affront� la bande dite Loufa, compos�e de trois jeunes d�linquants de la cit� Mahieddine (Cha�ba). L�affrontement a eu lieu en plein Belcourt, sabres et barres de fer � la main. Un fourgon de police qui �tait de passage ce jour-l� a tent� vainement d�intervenir. Mais c��tait p�rilleux de le faire sans renfort. Les deux bandes rivales qui se disputaient le territoire de Necira-Nounou et Harcha, pour la vente de drogue, se sont subitement retourn�es contre la police. Ils ont carr�ment saccag� le fourgon. Histoire de faire passer le message : �Pas d�ing�rence dans nos affaires.� La police �tait, depuis, � leurs trousses et l�arrestation de Cheese a permis de les faire tous tomber. Plusieurs sabres et une petite quantit� de drogue ont �t� r�cup�r�s. Ils ont �t� neutralis�s un par un lorsqu�ils s�aventuraient � d�passer de quelques m�tres les limites de leur quartier, �tant donn� qu�il est difficile de les arr�ter devant chez eux, explique le chef de la division centre de la police judiciaire de la wilaya Alger, Tarek Keskas. �D�s que nos �l�ments proc�dent � une arrestation, dans ce genre de quartier, c�est tout le monde qui se met contre eux. Des jeunes s�attaquent � eux en lan�ant des pierres, d�autres, parfois des femmes, larguent de leurs balcons des bouteilles en verre et autres objets. C�est pour cela que chaque op�ration que nous menons est �tudi�e et pr�par�e � l�avance, parfois � la faveur d�un renseignement, alors que dans d�autres moments �a n�cessite toute une strat�gie, car ils sont tr�s dangereux�, ajoute le commissaire principal Tarek Keskas. L�exemple le plus significatif est peut-�tre celui de l�arrestation du surnomm� Jambaz, un jeune d�linquant hyper dangereux, �g� de 18 ans, et qui a � son actif 23 agressions � l�arme blanche. Il est issu du quartier March� T�nach, rue Fay�al M�barek, � Belcourt, et manier le sabre est pour lui un jeu d�enfant. Il n�appartient � aucune bande et pr�f�re agir en solo. Vers la fin du mois de Ramadan de l�ann�e en cours, les �l�ments de la brigade de lutte contre la criminalit� et la violence urbaine passent � l�action. Apr�s plusieurs jours de pr�paration, les policiers en civil l�arr�tent � l�entr�e de l�immeuble de son domicile � l�heure du f�tour (moment de rompre le je�ne). Subitement, une armada de jeunes gens du quartier sort de partout. Sabres et barres de fer � la main, ils se lancent � l�assaut des policiers. Un des �l�ments de ladite brigade soul�ve le jeune recherch� et commence � courir vers le v�hicule de police. Jambaz ne se laisse pas faire et le mord � l��paule. Le policier en question re�oit un coup de barre de fer au-dessus de l��il par un des jeunes voisins de Jambaz, mais il ne le l�che pas pour autant. Il r�ussit ainsi � le transporter jusqu�au v�hicule avant de quitter illico les lieux. Ils ont failli y laisser leur vie. Il s�agit, en effet, d�une brigade cr��e il y a une ann�e et qui a �t� mise � la disposition de la division centre de la police judiciaire d�Alger. Ils sont environ 60 �l�ments qui sillonnent � pied et en civil, le jour, les grands boulevards des quatre circonscriptions administratives de Sidi M�hamed, Hussein Dey, Bir Mourad Rais et Bab- El-Oued. Sur les 455 personnes arr�t�es et d�f�r�es devant la justice par la division centre de la police judiciaire d�Alger, depuis le d�but de l�ann�e en cours, 206 l�ont �t� par les �l�ments de cette nouvelle brigade. La plupart arr�t�es pour port ou agression � l�arme blanche. D�ailleurs, plus de 500 armes blanches prohib�es ont �t� r�cup�r�es � la faveur de ces op�rations. �Ils sont d�ploy�s, en civil, sur le terrain pour veiller sur la s�curit� des individus, parer aux agressions, contr�ler les personnes suspectes de porter des armes blanches� c�est aussi et surtout une mani�re de faire dans la pr�vention, car celui qui porte aujourd�hui un couteau demain il portera un sabre ; celui qui vend aujourd�hui du cannabis, demain il touchera � l�h�ro�ne� et comme les armes blanches et la drogue vont souvent ensemble, il faut agir � la base. Ce sont d�ailleurs les directives du DGSN lui-m�me, lequel a instruit de combattre la criminalit� � la racine et de renforcer la lutte contre le port d�armes blanches, notamment les sabres qui constituent depuis environ deux ans un ph�nom�ne de plus en plus inqui�tant�, dira Tarek Keskas. Climat-de-France d�livr� de Sa�d El-Wahch Sa�d El-Wahch (la b�te), comme on le surnomme, est le chef d�une bande de cinq personnes du quartier Climat-de- France. Il faisait l�objet d�un mandat d�arr�t et a � son actif plusieurs affaires, entre autres, atteintes aux personnes, aux forces de l�ordre, ainsi que destruction de biens publics� Lui et le surnomm� Tyson, chef d�une autre bande de Climat-de-France sont constamment en guerre avec la bande de Mansour Echitane (le diable), du quartier Beau- Fraisier. Ils se livrent batailles � coups de sabres au niveau de la place Triolet. Un monopole de vente de la drogue, tr�s pris� par les uns et les autres. Mansour Echitane et ses 16 acolytes n��coulaient pas rapidement leur marchandise � Beau- Fraisier. La place Triolet est beaucoup plus porteuse et ils ont ainsi tent� de s�emparer � maintes reprises des lieux par la force. C�est le sabre qui a finalement tranch� apr�s plusieurs batailles rang�es en janvier et mars derniers. Parfois, pour d�jouer la vigilance polici�re, des �meutes sont provoqu�es � cet endroit pr�cis, pour faire passer la drogue, livrer une commande ou la d�tailler sur les jeunes dealers de la r�gion. Les pneus br�l�s et les routes coup�es � la circulation n�expriment pas toujours le ras-le-bol d�une population exigeant le relogement et l�am�lioration des conditions de vie, mais ob�issent aussi � des calculs macabres pour le passage de la drogue ou autres objets prohib�s. De la manipulation. Pour Sa�d El-Wahch et ses compagnons, la police n�a pas eu recours � la m�me m�thode d�arrestation du surnomm� Jambaz de Belcourt. Ils sont beaucoup plus dangereux pour les traquer dans leur quartier. Les �l�ments de la brigade criminelle de la division centre de la police judiciaire d�Alger ont attendu le moment propice, un renseignement communiqu� durant le mois de septembre dernier. La bande de Sa�d El-Wahch allait se d�placer dans un fourgon � Tizi-Ouzou pour assister � un match de foot opposant le Mouloudia d�Alger � la JS Kabylie. Mais ce n�est pas vraiment leur passion pour le MCA qui est � l�origine de ce d�placement. C�est plut�t leur soif de vengeance, un r�glement de compte avec le surnomm� Hmed Kamikaz, le chef d�une bande de �Djama� Lihoud�, rue de la Lyre. Ils allaient l�abattre en terrain neutre, � Tizi Ouzou. Ils seront finalement arr�t�s � l�entr�e de l�autoroute en possession de deux sabres, un fusil � harpon et des couteaux. Un massacre a �t� �vit�, car sous l�effet de psychotropes, ils auraient facilement pu commettre l�irr�parable � Tizi Ouzou. Le surnomm� Tyson, quant � lui, a �t� arr�t� vers le 20 ao�t, et une semaine apr�s, ce fut le tour de ses trois acolytes, dont les deux fr�res dits El-Sori, en r�f�rence � leur r�gion d�origine, Sour-El-Ghozlane. Il s�agit de deux individus extr�mement dangereux. Les �l�ments de la brigade criminelle ont trouv� en leur possession quatre sabres, un fusil � harpon avec ses trois fl�ches, un javelot � trois fl�ches, plus de 100 g de kif et deux chiens, un rottweiler et un berger allemand. Une semaine avant leur arrestation, ils ont viol� le domicile d�un individu, avec les deux chiens et des sabres, pour une histoire de drogue. La bande de Mansour Echitane de Beau- Fraisier a �galement �t� d�mantel�e avec son lot de sabres et de poignards � triple dent. Ce sont ces bandes qui descendaient avec des sabres, la nuit, � Bab-El-Oued, pendant le mois de Ramadan pass�, faire la loi et s�en prendre � la population. La bande Vicky, les deux Maliens, le pitbull et l�h�ro�ne Le quartier de Saint-Eug�ne n�a peut-�tre jamais connu de pires moments que ceux du temps de Vicky et sa bande. Elle comptait en effet cinq Alg�riens, deux Maliens et� un pitbull. Un chien d�une rare sauvagerie. Ils campaient quotidiennement sur les escaliers du march� du quartier o� ils semaient la terreur. Hormis les agressions, ils vendaient de la drogue, le cannabis comme l�h�ro�ne. Pour un oui ou pour un non, ils l�chaient leur chien et arboraient leurs sabres. Tout le monde �tait terrifi�, personne n�osait protester ou parler. Ils r�gnaient sur leur territoire portant des sabres qu�ils ont eux-m�mes fa�onn�s. Pour les arr�ter, les �l�ments de la brigade des stup�fiants de la division centre de la police judiciaire d�Alger ont d� mettre en place tout un stratag�me. Ils seront d�abord divis�s puis neutralis�s un par un, vers la fin du mois d�octobre dernier ; deux sabres et 42 g d�h�ro�nes seront r�cup�r�s. Les �l�ments de la m�me brigade ont �galement arr�t�, quelques semaines auparavant, trois individus au boulevard Amirouche, � Alger-Centre, en possession d�un sabre, cinq couteaux, six cocktails Molotov, 94 g de cannabis et 182 comprim�s de psychotropes. Lors du r�cent match de foot qui a oppos� le CR Belouizdad � l�USM Alger, quatre personnes � bord d�une Peugeot 206 ont �t� arr�t�es � Ben Aknoun en possession de deux sabres. Durant les r�cents affrontements qui ont oppos� les habitants de Beni Messous aux nouveaux relog�s en provenance de Djenan-El-Hassan � Bab-El- Oued, les sabres circulaient comme des baguettes de pain, et des jeunes en ont eu recours pour d�fier les forces de l�ordre intervenues sur les lieux. �Il est vrai que �a devient de plus en plus inqui�tant et nous avons d� mobiliser toutes nos brigades, y compris les BMPJ pour parer � ce ph�nom�ne. Aujourd�hui, celui qui n�ach�te pas son sabre, il le fabrique. Avant, les gens avaient recours � cette arme blanche dans des cas isol�s, mais depuis deux ans c�est presque toute la jeunesse qui en fait usage. C�est devenu pour certains un jeu d�enfant et c�est justement l� que consiste le danger�, regrette Tarek Keskas. El-Harrach, El-Kawassir et le sabre Au niveau des diff�rents quartiers de la rive gauche de l�embouchure de l�oued El-Harrach, � savoir La Fa�ence, P.L.M., La Gare, Sainte-Corinne, Fouquereau, Dussolier, Djenane Mabrouk, La Cressonni�re, et la route d'Alger, celui qui ne poss�de pas un sabre est une personne vuln�rable et sans d�fense. C�est cette arme tant idol�tr�e qui d�cide de tout dans l�ex-Maison Carr�e. Les ferronniers les livrent comme un boulanger �coule ses petits pains et font depuis fortune. Dans cette r�gion de l�est d�Alger, il faut dire que certains ont m�me atteint le g�nie dans l�art de fabrication et de la d�coration des sabres en tous genres. �Les ferronniers r�cup�rent les lames des v�hicules de marque 404 b�ch�e, pour le fa�onnage de sabres � poign�e de bois et diversement d�cor�s. Ils les proposent entre 2 500 et 3 000 DA. Quant aux vrais sabres japonais import�s, ils co�tent, prix d�occasion, entre 10 000 et 15 000 DA. �Le mien, je l�ai achet� � 800 francs, en 1992, � Paris. Je le garde toujours � la maison et la plupart des anciens d�El-Harrach en poss�dent un. Car � l��poque, on pouvait faire entrer une �p�e au pays sans le moindre probl�me. Tr�s rares sont ceux, aujourd�hui, qui sont pr�ts � vendre leurs vrais sabres. Pour en acheter un, il faut vraiment tomber sur quelqu�un qui traverse une mauvaise passe financi�re�, raconte un quadrag�naire de la rive gauche d�El-Harrach, qui malgr� son �ge et son statut de p�re de famille n�arrive toujours pas � se d�tacher de son sabre ! C�est le milieu dans lequel il �volue qui lui dicte sa d�marche. Mais le sabre a peut-�tre sa propre histoire � El-Harrach. C�est li� au feuilleton de guerre El-Kawassir. Diffus� il y a quelques ann�es sur l�ENTV, ce film qui raconte les conqu�tes d�une tribu qui a exist� dans un lointain pass� a eu une influence particuli�re sur la jeunesse d�El-Harrach. Les supporters de l�USM El-Harrach sont, depuis, baptis�s El-Kawassir et pour �m�riter et sauvegarder ce titre�, chacun doit poss�der un sabre et exceller dans sa manipulation. Triste r�alit� que de s�identifier, en ces temps modernes, � une tribu barbare des �ges obscurs ! C�est que les clich�s psychiques de la jeunesse de la capitale alg�rienne n��voluent pas avec la psych� collective mondiale. La jeunesse alg�roise a adopt� le sabre dans ses m�urs comme un couple sans prog�niture adopte un enfant et ne s�en d�tache plus jamais. Sa prolif�ration a atteint un seuil alarmant et si des mesures exceptionnelles ne sont pas imm�diatement prises, l�Alg�rie risque, un jour, de se faire trancher et de saigner par ce m�me sabre et sa jeunesse.