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A FONDS PERDUS
D�mocratie et perte de valeurs
Publié dans Le Soir d'Algérie le 06 - 12 - 2011


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L�incivisme est en passe de transformer nos villes en espaces de non-droit : des �tudiants qui agressent leurs professeurs, des automobilistes, hommes et femmes, qui abusent du t�l�phone au volant, qui stationnent en plein milieu de la voie publique pour sortir faire leurs courses, du mobilier urbain et des �quipements publics saccag�s, une violence urbaine croissante, une prolif�ration des injures, des insultes, des grossi�ret�s et de nombreuses autres formes d�incivisme.
Les villages n��chappent pas au fl�au : les oueds sont inond�s de sacs poubelles de toutes les couleurs et des d�potoirs d�ordures sont improvis�s � l�entr�e des petites bourgades. C�cile Ernst, agr�g�e de sciences �conomiques et sociales, enseignante dans un lyc�e de Versailles, vient de publier Bonjour madame, merci monsieur (*), pour montrer combien la politesse et les r�gles de civilit� sont n�cessaires au bon fonctionnement de la d�mocratie et comment son affaiblissement provoque la multiplication des infractions et atteintes au droit et le retour � la loi du plus fort. Elle expliquait r�cemment le pourquoi de la chose pour un pays comme la France : �Historiquement, la R�volution a marqu� une rupture : les r�gles du savoir-vivre sont rejet�es car assimil�es � l��tiquette royale. �Les r�volutionnaires s�opposent aux usages anciens au nom de l��galit�. Saint- Just dira m�me que �la grossi�ret� est une sorte de r�sistance � l�oppression�. On retrouve exactement le m�me m�canisme dans la r�volution bolchevique. C�est aussi au nom de l��galit� que des sociologues vont contester, dans les ann�es 1960, des r�gles qui correspondent, selon eux, � des pratiques de castes. Dans une perspective marxisante, Pierre Bourdieu et ses successeurs vont s�efforcer de d�montrer que la culture (le �capital culturel�) est �un instrument de domination des classes dominantes sur les classes domin�es�. Cette d�nonciation du r�le de la culture dans le ph�nom�ne de reproduction sociale va aboutir � la remise en cause des codes sociaux structurant nos soci�t�s, donc du savoir-vivre. Ce faisant, cette contestation a mis � mal � pas toujours sciemment � le mod�le r�publicain de l�honn�te homme, la civilit�. Egalitarisme, populisme, f�minisme ont fait le reste depuis Mai 68 avec l�av�nement du credo : �Il est interdit d�interdire �. Tout au long du si�cle �coul�, le monde aura v�cu sous le joug d�une sorte de d�mophilie, un barbarisme qui d�signe �l�amour des pauvres et des d�sh�rit�s� dont on conna�t les cons�quences, bonnes ou mauvaises, qu�il a produites sur l�issue du mouvement de lib�ration nationale et sociale. L�auteur de Bonjour madame, merci monsieur ajoute : �Ce qui est �tonnant, c�est que ces hommes et ces femmes avaient des projets collectifs (je pense � l��cologie) mais qu�ils ont oubli� le r�le fondateur de la loi : c�est la loi qui permet de vivre ensemble. Lacordaire avait raison de dire qu�entre le fort et le faible, c�est la loi qui lib�re et la libert� qui opprime.� Ce � quoi s�ajoute aussi un exc�s de tol�rance : �La tol�rance est en soi une qualit� mais elle est devenue un imp�ratif. La soci�t� s�interdit de juger tout comportement. Elle valorise m�me les choix de vie qui ne sont pas dans la norme. L� encore, c�est une affaire de mesure. Au nom de la tol�rance, on finit par accepter des comportements qui pourraient mettre en danger nos d�mocraties.� Le salut semble provenir de la r�habilitation des valeurs originelles de la d�mocratie. L��lection qui en est un acte �l�mentaire constitutif, n�cessaire mais insuffisant, a une origine religieuse. Elire vient de eligere qui �voque l�id�e de s�lection, non de choix au hasard. La technique, ou l�instrument, est mise au point par les ordres religieux qui pratiquent l��lection avec succ�s et sans interruption depuis plus de mille ans. Dans le choix de leurs sup�rieurs, les ordres religieux ont, d�s le VIe si�cle, recouru aux m�thodes �lectorales les plus sophistiqu�es : vote secret, majorit� simple, majorit� qualifi�e, etc. Ces techniques confortent le principe de s�lection et non de choix au hasard : major pars (majorit�) �tant �troitement associ� � sanior pars ou major pars (partie la plus saine ou la meilleure). Jefferson avait traduit cela de mani�re fort belle en 1801 en soutenant que la majorit� �pour �tre l�gitime, doit �tre responsable �. Il est donc �vident que politesse et d�mocratie sont �troitement li�es : �La civilit�, d�finie comme �les bonnes mani�res � l��gard d�autrui�, est le fondement et le ciment d�une soci�t� d�mocratique. C�est l�oubli des r�gles de politesse qui explique le d�veloppement alarmant des �incivilit�s� : injures, graffitis, retards, tricheries� En ne les sanctionnant pas, on laisse les jeunes concern�s s�enfermer dans une logique d�impunit� qui leur donne progressivement un sentiment de toute-puissance. Et c�est ainsi que la loi du plus fort s�impose � l��cole et dans l�espace public.� La plus haute instance judiciaire fran�aise, la cour de cassation, vient de s�vir en d�cidant que le salari� qui se bat avec un autre salari� commet une �faute grave� (**). C�est une ferme d�cision que vient, en effet, d��dicter la chambre sociale de la cour de cassation en estimant que �sur le lieu de travail, la violence n'est pas permise et constitue m�me en l'absence de tout reproche ant�rieur un motif de licenciement �. En effet, les protagonistes d'une altercation physique sur le lieu de travail, tous deux reconnus coupables de violence par l'employeur, encourent un licenciement. Le fait, pour un salari� � m�me justifiant de 13 ann�es d'anciennet� dans l'entreprise et m�me sans aucune sanction ni aucun reproche �, de participer � une �rixe� avec un autre salari� du parc d'attractions destin� aux jeunes enfants, qui s'est d�roul�e avec tr�s peu de t�moins et hors la pr�sence des clients de l'entreprise, caract�rise tout de m�me une faute grave. Dans le m�me ordre d�id�es et dans une autre d�cision r�cente (***), la cour de cassation a estim� qu��une mauvaise ambiance de travail et la tenue de propos agressifs et d�valorisants reconnus par l'employeur laissent pr�sumer l'existence d'un harc�lement�. Selon la cour de cassation, des propos agressifs et d�valorisants attestent de harc�lement moral. En l�esp�ce, la prof�ration de propos tels que �vous me faites chier�, �cela ne pourra jamais marcher avec vous car je ne vous ai pas choisis et je ne vous ai donc pas form�s � mon image�, ainsi que des propos d�valorisants et vulgaires (�c'est un travail de merde�, �sortez-vous les doigts du cul et allez bosser�) sont condamnables au titre du harc�lement moral. Une jurisprudence loin de toute complaisance. Elle devrait nous inspirer.
A. B.
(*) C�cile Ernst, Bonjour madame, merci monsieur. L�urgence de savoir vivre ensemble, JC Latt�s, 192 pages.
(**) Cass / Soc. 20 octobre 2011 - pourvoi n�10-19249
(***) Cass / Soc. 29 septembre 2011 - pourvoi n�10-12722


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