Par Nour-Eddine Boukrouh [email protected] �Dans la nature rien ne se perd, rien ne se cr�e, tout se transforme�, a dit Lavoisier. Il en est � peu pr�s de m�me pour les id�es, elles ne disparaissent pas. Il en est qui se transforment pour s�adapter aux n�cessit�s de la vie, devenant des motivations exaltantes et des institutions au service du bonheur des hommes et de l�harmonie entre eux, et d�autres qui, tels les virus, mutent � la recherche de nouvelles conditions propices � leur survie pour continuer de s�vir contre le bonheur des hommes et l�harmonie entre eux au nom de quelque cause �transcendantale�. Elles se nichent dans le double-fond des mentalit�s, attendant le moment o� la rationalit� recule et o� les mesures prophylactiques s��tiolent pour reprendre leur �uvre corrosive. Contrairement � ce que l�on croyait, le maraboutisme qui a prosp�r� dans notre soci�t� entre le XVe si�cle et la c�l�bration en 1930 du centenaire de la colonisation de l�Alg�rie n�a pas disparu dans la nature sous l�action �radicatrice des Oul�mas alg�riens qui s�est �tal�e sur un demi-si�cle. Voyez avec quelle rapidit� il est revenu ces derni�res d�cennies, et avec quelle facilit� il s�est r�incarn� dans le charlatanisme qui se cache derri�re l�islamisme. Notre pays a livr� une grande guerre de lib�ration, reconquis sa souverainet� au prix de lourds sacrifices, d�pens� un millier de milliards de dollars depuis l�Ind�pendance pour se moderniser, dont une grande partie a �t� destin�e � l��ducation � en vue de former �l�Alg�rien moderne� � mais finalement il se retrouve ramen� aux p�riodes les plus obscures de la d�cadence du monde musulman et de la colonisation qui avait fait du maraboutisme un auxiliaire b�n�vole. Ce que nous pensions �tre des avanc�es irr�versibles s�est av�r� �tre de co�teux et vains coups d��p�e dans l�eau. Le maraboutisme a fait un extraordinaire saut en hauteur, puisqu�il a atteint les sph�res dirigeantes du pays, et son avatar, l�islamisme politique � chauss� des bottes de sept lieues � a fait un gigantesque saut en longueur puisqu�il couvre d�sormais une grande surface de la soci�t�. En fait, l�islamisme n�est pas l�h�ritier du maraboutisme, il en est une duplication, un clone. Ils sont d�sormais deux, deux entit�s virales, deux fl�aux � prendre en tenailles la soci�t� alg�rienne jusqu�� sa st�rilisation d�finitive, jusqu�� sa talibanisation. Tout doit �tre refait un jour, � moins que l�Alg�rie ne leur aura pas surv�cu parce qu�elle serait devenue quelque chose comme la Somalie ou l�Afghanistan, ce qui n�est pas impossible. Surtout si le p�trole venait � nous l�cher pr�matur�ment, ce qui n�est pas non plus impossible. La seule diff�rence entre l�islamisme charlatan contemporain et le maraboutisme musulman d�autrefois est que ce dernier n��tait pas sanguinaire. Il n��gorgeait pas les gens, il se contentait de les d�cervelait, de tuer en eux la rationalit�, tandis que le premier aime � cumuler les deux quand il le peut. De concert, ils ont r�ussi � reconstituer de haut en bas, parmi les gouvernants et le peuple, le public assoiff� de sacr� dont ils ont besoin pour exercer leur apostolat douteux. Ils ont restaur� l�ambiance envo�tante propice � leurs boniments, en m�me temps qu�� toutes les escroqueries, et r�tabli les pratiques de sorcellerie comme la �roqia�. A l��poque de Ben Badis, de larges couches de la population, b�ant de cr�dulit� devant ce qu�on leur racontait, guettant la survenance de quelque miracle, et suivant comme des moutons les processions maraboutiques, r�v�raient les �sid�, les �moulay� et les �chouyoukh� dispensateurs de baraka. Elles buvaient leurs paroles comme de l�eau b�nite et recueillaient les poils de leur barbe, quand ils en avaient, comme des reliques. C�est ce public que Ben Badis a qualifi� un jour de �peuple que rassemble le bendir et que disperse le gourdin�. Public m�lant p�le-m�le amateurs de bkhouret de djawi, �tolba� gu�risseurs de l��me et du corps, �mules entrant en transe au rythme endiabl� du bendir, et charmeurs de serpents comme ceux qu�enfant j�allais voir sur la place de la R�gence (actuelle place des Martyrs). Il y en avait partout, passant dans les villes, les quartiers et les villages, Blancs ou Noirs, enj�leurs ou louches, en burnous ou en gandoura, exhibant devant les foules �moustill�es ou �merveill�es tambours, bendirs, karkabous et moult objets f�tiches h�rit�s de l��re ottomane ou provenant de la mythique Tombouctou. Parfois, la pens�e est oblig�e de cr�er des mots nouveaux pour cerner des ph�nom�nes nouveaux. C�est ainsi qu�il nous faut un nouveau terme pour caract�riser la situation cr��e par les r�volutions arabes, je veux dire la victoire en cha�ne de l�islamisme et l�engouement communicatif qu�elle a suscit�, notamment en Alg�rie. �L�islamismania� est celui qui semble convenir pour rendre compte de cet engouement end�mique. On pensait que le gourdin de Moubarak avait assomm� les islamistes, et que celui de Ben Ali les avait dispers�s aux quatre vents. Or, voil� que l�islamismania les a rameut�s. Ironie du sort, ce sont les �g�n�rations internet � qui ont sonn� le rassemblement et leur ont fray� la voie, qui ont ouvert la bo�te de Pandore et ramen� Aladin (en la personne de tel ou tel leader), la lampe merveilleuse � la main et promettant de faire retrouver la vue � leur peuple plong� dans la c�cit� de la �djahiliya du XXe� selon l�expression de Sayyed Qotb. Le monde arabe s�est mis au vert, au sens propre et figur� du terme. �a sent partout le swak, le henn� et l�ambre. En se clonant en islamisme, le maraboutisme s�est modernis�. Il a gagn� en religiosit� ostensible et perdu en folklore ridicule. Le bendir a �t� remplac� par l�islamismania, et � la place du spectacle des charmeurs de serpents, confin�s � la place Djam�a-l-fna (Marrakech) pour amuser les touristes europ�ens, les cha�nes de t�l�vision des monarchies arabes offrent aux pieux t�l�spectateurs de nouveaux produits de marketing religieux comme l�activit� lacrymale interactive promue par l�inimitable Amr Khaled. Dans son �uvre, Bennabi consid�re que la civilisation islamique a �t� d�vi�e de sa trajectoire en l�an 57 de l�H�gire, l�ann�e de l�affrontement entre Moawiya et Ali. Pour lui, la �phase de l��me� venait de s�achever, laissant place � la �phase de la raison� qui s�est prolong�e jusqu�� l��poque d�Ibn Khaldoun, puis � celle de la d�cadence qu�il est mort sans la voir se clore. Il voulait dire par l� que la civilisation islamique n��tait plus, depuis lors, qu�un vaisseau qui avait perdu son plan de vol au d�collage, avant d�achever sa course, un mill�naire plus tard, dans le maraboutisme. Il propose � notre r�flexion un exemple tr�s concret : �L�effort intellectuel, c�est-�-dire l�effort cr�ateur d�id�es, a �t� plac� par l�islam au premier rang de ses recommandations par ce hadith du Proph�te : �Quiconque fait un effort intellectuel et parvient � une v�rit� a un double m�rite, et quiconque fait un effort et est parvenu � une erreur a quand m�me un m�rite.� Voil� un arch�type qui a guid� les efforts des premi�res g�n�rations de l�islam dans ces conqu�tes de l�esprit qui ont enrichi le patrimoine humain dans le domaine de la pens�e pure, comme dans le domaine des sciences appliqu�es. Mais, quelques si�cles au-del�, nous trouvons la soci�t� musulmane en possession d�une nouvelle philosophie de l�effort intellectuel. Nous trouvons, � vrai dire, son comportement totalement chang� � l��gard des id�es comme l�indique ce pr�cepte que les derni�res g�n�rations nous ont transmis : �Tafsirouhou khata�, wa khata�ouhou kofr� (L�interpr�ter, en parlant du Coran, est une erreur, et toute erreur est blasph�me). Et Bennabi de poursuivre : �Voil� une id�e qui constitue une d�fense qui a effectivement paralys� tout effort intellectuel dans le monde musulman o� toute sp�culation a eu en effet � la base une id�e coranique, comme les sp�culations de l��cole mu�tazilite qui a tant enrichi la pens�e musulmane. L��cole r�formiste, depuis Abdou, a eu vaguement conscience que l�esprit musulman s��tait enlis� dans cette orni�re. Mais pour l�en tirer, il fallait soit lui donner une nouvelle impulsion spirituelle, comme Luther et Calvin en Europe, soit lui faire subir une r�volution intellectuelle comme Descartes, c�est-�-dire lui donner, d�une mani�re ou d�une autre, un nouvel �lan cr�ateur d�id�es. L�Ecole r�formiste n�a su faire ni cette r�forme ni cette r�volution. Elle est tomb�e elle-m�me dans l�orni�re, tout en criant que nous sommes dans l�orni�re.� L�esprit musulman continue de tourner en rond, prisonnier d�une gravit� qui le fait tourner autour d�un astre mort, celui de la d�cadence. Le maraboutisme, comme le mode de pens�e et le mod�le de soci�t� pr�n�s par l�islamisme, descendent en droite ligne de l�attitude �intellectuelle� sugg�r�e par ce pr�cepte. Combien de fois ne l�a-t-on entendu dans la bouche de oulamas moyen-orientaux et moyen�geux, ou de leaders islamistes alg�riens ? En dehors du volet touchant aux m�urs, que sait-on de la �solution islamique� ? Rien, sinon qu�elle se pr�vaut des succ�s de la Malaisie ou de l�AKP alors que celuici, comme on l�a montr� dans de pr�c�dentes contributions, r�sulte des garde-fous pos�s par la la�cit�, de l�application des r�gles de l��conomie de march� et des crit�res de convergence impos�s par la perspective d�adh�sion � l�Union europ�enne. Si l�islamisme turc n�avait pas �t� soumis � ces pressions, il aurait probablement vers� dans le charlatanisme et l�extr�misme quand on sait que Teyyip Erdogan a failli �tre happ� par cette spirale � un moment de sa vie. Ayant �t� dans sa jeunesse � une �cole de formation des imams � avant de bifurquer plus tard vers des �tudes �conomiques � il n��tait pas loin de devenir un taliban. Alors qu�il �tait maire d�Istanbul (de 1994 � 1998), il a �t� mis fin � son mandat, et lui jet� en prison, parce qu�il avait lu en public un po�me d�un auteur turc qui disait : �Les minarets seront nos ba�onnettes, les d�mes des mosqu�es nos casques, les lieux de pri�re nos casernes, et les croyants nos soldats.� L�islamisme consid�re que l�islam est une seule et m�me chose depuis son apparition. Mais si l�islam est un, pourquoi l�islamisme est-il pluriel ? Pourquoi autant de partis en Alg�rie et en �gypte si la v�rit� que chacun pr�tend d�tenir est une seule ? La diff�rence est-elle dans le �programme� ou dans les hommes qui le v�hiculent ? Or, on sait qu�il n�y a pas de programme islamiste. La cause du peuple palestinien a perdu sa pr��minence dans l�esprit des peuples qui la soutenaient depuis que le peuple palestinien a �t� divis� en musulmans islamistes et en musulmans tout court (sans oublier les chr�tiens). Elle s�est scind�e en deux Etats avant m�me que l�Etat palestinien ne naisse. Sous pr�texte de r�sistance l�islamisme l�a divis�e en deux sous-causes antagoniques, l�une domicili�e � Ghaza, l�autre � Ramallah, sous l��il vigilant de Tsahal. Qui pouvait, en Isra�l, r�ver d�un tel scenario, d�un tel cadeau ? Le monde s�en est d�tourn�, et le gouvernement isra�lien en a profit� pour grignoter davantage de territoires, jusqu�au jour o� il n�y aura plus de Palestine du tout. Restera l�islamisme qui, faute de terre, planera majestueusement sur les eaux du Jourdain ou de la M�diterran�e comme l�Esprit saint au d�but de la Cr�ation. J�ai parl� dans un �crit ant�rieur de �chari�land �, un autre n�ologisme qui m�a �t� inspir� par l�actualit� arabe. Ghaza n�en est-il pas un mod�le ? N�y sont admis que les musulmans palestiniens islamistes. Les autres, musulmans tout court ou chr�tiens, n�ont qu�� aller se faire pendre ailleurs. Dans l�Alg�rie coloniale, il y avait un pluralisme politique et une vie �lectorale. Eut-il pu y exister des partis islamistes pour concurrencer le PPA-MTLD et l�UDMA ? Non, car l�islamisme n�existait pas encore, il n�est apparu qu�� l��re des ind�pendances pour s�occuper de la femme, de la mixit�, du maillot de bain, des salles de pri�re sur les lieux de travail, de l�int�r�t bancaire et autres questions majeures rest�es insolubles depuis l�apparition de l�Homosapiens, c�est cela son programme. Mais maintenant qu�il est bien install�, que l�islamismania va rassembler encore plus de gens autour de lui, qu�il ne sera pas possible de disperser avec le gourdin, devra-t-il s�inspirer du Hamas pour s�parer musulmans islamistes et musulmans ordinaires (sans parler du sort � faire � la minorit� chr�tienne en voie d�expansion) quand il ne sera plus possible de vivre ensemble ? Ou aura-t-il besoin de l�expertise isra�lienne ? Et dans la pauvre �gypte, bien plus mal lotie que nous, o� iraient les 15% de musulmans qui n�ont pas vot� islamiste, et les 10% de Coptes ? Faudrait-il la diviser par trois ? Le Soudan, lui, n�a pour l�heure �t� divis� que par deux pour cause d�islamisme. Comme le morceau de gruy�re arrach� par Yasser Arafat au temps de Clinton et de Rabin. Tout le monde conna�t l�argument utilis� par des g�n�rations de �savants� et intellectuels musulmans : on peut se d�velopper sans rien changer � sa culture et � sa personnalit�, et la meilleure illustration est le Japon. Or, un sp�cialiste japonais du monde arabe vient d�apporter la r�ponse des Japonais � l�imparable et lumineux argument. Il s�agit de Nobouaki Notohara, un nippon arabisant, qui a pass� quarante ans de sa vie dans la p�ninsule arabique et traduit plusieurs livres de l�arabe au japonais. Il a publi�, il y a quelques ann�es, un livre intitul� Les Arabes : point de vue japonais o� il �crit : �A chaque fois que des Arabes se rencontrent � un colloque scientifique et que le Japon est mentionn�, les participants comparent le renouveau japonais au renouveau arabe tant esp�r�. Ils affirment que le Japon a r�ussi � int�grer le nouvel �ge tout en pr�servant sa culture. Il semblerait qu�ils cherchent ainsi � se trouver des excuses, � se justifier en disant : �On peut int�grer l��ge de la modernisation, de la mondialisation, et de la production, sans pour autant renoncer � son h�ritage social, au mod�le politique traditionnel, aux normes comportementales qui ne sont plus de mise aujourd�hui.� Et si on leur r�pond que les Japonais ont int�gr� l��poque moderne parce qu�ils ont renonc� au mod�le politique et au comportement social auxquels ils �taient habitu�s, et qu�ils ont adopt� de nouvelles id�es, certains Arabes r�agissent avec stup�faction, refusant d�admettre les faits� Au Japon, chaque jour apporte son lot de faits nouveaux, alors que l�Arabe se contente de reconstruire les �v�nements du lointain pass酻 L�Islam est la religion qui �tait la mieux dispos�e pour promouvoir une philosophie politique d�mocratique. Pourtant, les peuples que rassemble la culture th�ocratique et que disperse le gourdin lui ont pr�f�r� le despotisme, c�est-�-dire le r�gne des personnes plut�t que celui des institutions. La monarchie h�r�ditaire �tait �trang�re aussi bien � la doctrine islamique, qu�� l�histoire des Arabes. Il n�existait pas de monarques dans l�Arabie pr�islamique qui �tait plut�t une �R�publique de marchands� o� cohabitaient des tribus et des familles, mais sans structure unitaire ou autorit� au-dessus d�elles. Pour sa part, le Proph�te n�a ni institu� la monarchie ni d�sign� un successeur, il a laiss� aux musulmans le soin de le faire selon ce qui leur conviendrait. Il n�a ni us� de la culture th�ocratique ni du gourdin. Pourtant, quand on regarde le bilan, le despotisme est le seul mod�le politique que les arabo-musulmans ont connu tout au long de leur histoire. Ce qui �tait au d�part une h�r�sie est devenu une orthodoxie. Le despotisme a si bien �t� moul� dans l�argile des croyances qu�il n�a pas �t�, � ce jour, inqui�t� dans les monarchies qui se veulent de droit divin. Autre ironie du sort, ce ne sont pas les r�publiques qui ont �t� les plus fervents soutiens des r�volutions arabes, mais les monarchies, pour les raisons g�ostrat�giques que l�on devine et non par conviction d�mocratique, bien s�r. Et que feraient les islamistes s�ils savaient qu�on les laisserait faire ? Le califat. En cherchant un jour � v�rifier un d�tail dans la Constitution am�ricaine pour les besoins d�un travail, j�ai �t� saisi par la similitude entre le principe pos� dans la D�claration d�ind�pendance am�ricaine, en vertu duquel les citoyens ont le droit de se soulever contre le despotisme et le principe pos� par Abou Bakr le jour o� il a pr�t� serment comme successeur du Proph�te, fondant le m�me droit. Il n�y a de diff�rence que dans la formulation, autrement le fond est absolument identique. Et les deux moments, la D�claration d�ind�pendance, comme le discours d�investiture, �taient des moments fondateurs. On lit, en effet, dans le troisi�me paragraphe de la D�claration d�ind�pendance : �Les gouvernements sont �tablis parmi les hommes pour garantir (ces) droits, et leur juste pouvoir �mane du consentement des gouvern�s. Toutes les fois qu�une forme de gouvernement devient destructive de ce but, le peuple a le droit de la changer ou de l�abolir et d��tablir un nouveau gouvernement� Il est de son droit, il est de son devoir de rejeter un tel gouvernement�� Et comme pour donner aux citoyens am�ricains les moyens de mettre en �uvre ce principe, le Deuxi�me amendement a institu� le droit pour eux de d�tenir et de porter des armes. Les Am�ricains, n�ayant pas connu depuis leur guerre de lib�ration le despotisme, n�ont pas eu � recourir au soul�vement contre lui. De ce vieux principe est rest�e la libert� du port d�arme malgr� les probl�mes qu�elle pose � la soci�t� am�ricaine. Apr�s sa d�signation comme premier calife, Abou Bakr a d�clar� devant ceux qui venaient de l��lire : �Me voici charg� de vous gouverner. Si j�agis bien, soutenez-moi, si j�agis mal, corrigez-moi. Dire la v�rit� au d�positaire du pouvoir est un acte de d�vouement, la lui cacher est une trahison� �. Quelqu�un, parmi la foule, prit la parole et s��cria en levant haut son sabre : �Si tu agis mal, c�est avec ceci que nous te redresserons !� N�est-ce pas la m�me philosophie politique qui est � la base du texte am�ricain et du discours du premier calife ? La r�ponse apport�e par le b�douin pour compl�ter le principe pos� par Abou Bakr n�est-elle pas l��gale du Deuxi�me amendement l�gitimant le recours aux armes pour combattre un pouvoir devenu ill�gitime ? Pourquoi les choses ont-elles bien march� dans le cas des Am�ricains et pas dans celui des musulmans ? Parce qu�un quart de si�cle apr�s l��nonc� de ce principe, le gouverneur de Damas, Moawiya (fondateur de la dynastie omeyyade), a renvers� le calife l�gitime, Ali, et instaur� le califat h�r�ditaire sans que le peuple ne se soul�ve, ni que les oulamas ne le clouent au pilori. Au contraire, ils se sont ing�ni�s � l�gitimer le gourdin et sa transmission h�r�ditaire. Depuis, les peuples que rassemble le bendir et que disperse l��p�e d�Al- Hadjadj ont fait leur entr�e dans l��re ininterrompue du despotisme sous toutes ses d�clinaisons : califat dynastique, monarchies, pr�sidence � vie, r�publiques h�r�ditaires� Autre question : Pourquoi les musulmans, si sensibles � l�id�e de �salaf�, qui a donn� salafisme (imitation des anciens), ont-ils suivi l�exemple de Moawiya plut�t que celui d�Abou Bakr ? Parce que les oulamas et fouqahas ont escamot� le principe d�mocratique par crainte du gourdin ou pour lui complaire en �change de leur pr�rogative de rassembler le peuple et remplac� par un autre, tir� du d�tournement de sens de paroles comme : �Ob�ir au d�tenteur du pouvoir, c�est ob�ir � Dieu.� Ils ont fait avec le Coran et le hadith ce que les despotes ont fait avec leurs Constitutions. Pas plus qu�il n�a voulu d�signer un successeur, le Proph�te n�a laiss� derri�re lui le Coran tel que nous le connaissons. Le premier, Omar s��tait inqui�t� de ce que les r�v�lations coraniques n��taient pas r�unies en un seul corpus. Elles �taient apprises par c�ur par les Compagnons ou transcrites sur des supports de fortune (parchemin, bois, poterie, omoplates�) Or, ces derniers commen�aient � dispara�tre avec les guerres d�expansion, ou de vieillesse. Omar en parla au calife Abou Bakr qui prit peur devant la perspective de faire quelque chose que le Proph�te n�avait pas fait : r�unir en un seul livre les versets �pars. Les deux hommes consult�rent le scribe-secr�taire le plus qualifi� du Proph�te, Ze�d Ibn Thabit, lequel r�agit comme Abou Bakr avant que Omar ne finisse par les convaincre tous les deux en leur opposant ce simple argument : �Quel mal y a-t-il � le faire ?� Le travail fut engag� sous la direction de Ze�d et aboutit � une recension � laquelle on donna le nom de �mashaf�, rest� pendant une douzaine d�ann�es par devers Abou Bakr puis Omar. C�est Othman qui d�cida de r�gler d�finitivement le probl�me en nommant une commission de quatre experts, dont Ze�d qui, sur la base de l�exemplaire laiss� par Omar � sa fille (et veuve du Proph�te) Hafsa, a donn� au Coran son ordre actuel. Mais, peut-on s�interroger, pourquoi les 114 Sourates regroupant les versets ont-elles �t� class�es par ordre de longueur plut�t que par ordre chronologique, c�est-�-dire dans l�ordre o� les versets ont �t� r�v�l�s ? L�ordre d�croissant n�aide pas � leur compr�hension puisqu�on a d�tach� chaque ensemble de versets du contexte dans lequel il est venu. Ce n�est pas Dieu ou le Proph�te qui a voulu cet ordonnancement, mais les hommes d�sign�s par Abou Bakr puis, une douzaine d�ann�es plus tard, par Othman. R�sultat, il faut transiter par les oulamas et les �sciences religieuses� pour acc�der au sens d�un verset.