[email protected] Inconnus du public et n�glig�s par les grands groupes p�troliers jusqu�� tout r�cemment, les gaz de schistes, appel�s aussi shale gas, ont fait une irruption aussi brusque qu�inattendue sur le march� de l��nergie. Leur d�veloppement prodigieux aux Etats-Unis a m�me hiss� ce pays au rang de premier producteur mondial du gaz. Dans un contexte de raret� annonc�e des �nergies fossiles, l�apport de ressources de gaz de schistes aussi abondantes marquera certainement de son sceau l��volution future de la sc�ne �nerg�tique mondiale. En tout cas, ils ne laissent d�j� indiff�rents ni les Etats, ni les op�rateurs gaziers, ni les opinions publiques des pays o� sont initi�s des programmes d�exploration/ production. Les premiers les encensent comme le rem�de miracle qui assurera leur s�curit� �nerg�tique ; les deuxi�mes y voient une manne financi�re inesp�r�e tandis que les derni�res les per�oivent comme un cataclysme �cologique. Etablir un �tat des lieux aussi objectif que possible est, dans ces conditions, un exercice d�licat auquel nous nous essaierons dans cet article. � Gaz de schistes : nature chimique identique � celle du gaz naturel Les gaz de schistes, constitu�s essentiellement de m�thane, sont exactement de la m�me nature chimique que le gaz naturel domestique que nous connaissons tous. Ce sont des gaz non conventionnels qui ne se distinguent des gaz conventionnels que par les caract�ristiques g�ologiques des gisements qui les renferment. Les gisements de gaz conventionnels se pr�sentent sous forme de �poches� de gaz facilement r�cup�rables par forage vertical, tandis que les gaz non conventionnels sont emprisonn�s dans des roches compactes et imperm�ables. Ils ne peuvent y �tre extraits que par des techniques particuli�res combinant la fracturation hydraulique et le forage horizontal. � Fracturation hydraulique : une technique controvers�e La technique de fracturation hydraulique consiste � injecter un fluide sous une pression de plus de 100 bars afin de briser la roche m�re, compacte et dure, et lib�rer le gaz qui y est pi�g�. Le fluide utilis� est un m�lange de 99% d�eau et de sable et 1% de produits chimiques. Cette technique pr�sente l�inconv�nient majeur de consommer de grandes quantit�s d�eau. Aux Etats-Unis, le forage d�un seul puits, parmi les 6 500 for�s jusqu�� pr�sent, consomme entre 15 000 � 20 000 m3. Elle soul�ve aussi une opposition farouche des milieux environnementalistes qui lui imputent de graves probl�mes de contamination des nappes phr�atiques. En Pennsylvanie, des cas de pollution, tr�s m�diatis�s par le documentaire nomin� aux oscars 2011, Gasland, r�v�lent l�infiltration de gaz et de produits chimiques toxiques jusque dans les robinets des m�nag�res. Ces griefs sont jug�s suffisamment fond�s par le Congr�s am�ricain qui vient d�enjoindre l�Agence de protection de l�environnement (EPA) de pr�parer une �tude approfondie sur les effets de la fracturation hydraulique sur l�environnement. Ils sont �galement pris au s�rieux par les op�rateurs gaziers qui, sans attendre les r�sultats d�finitifs de l��tude de l�EPA qui ne seront connus qu�en 2014, ont d�j� initi� des programmes de recherche dans le domaine de la fracturation pneumatique et �lectrique ainsi que dans la formulation de nouveaux produits chimiques moins nocifs. � R�serves de gaz de schistes : l�Alg�rie en pole position A la demande du d�partement am�ricain de l��nergie (DOE/EIA), le bureau de consulting Advanced Resources International (ARI) a �tabli une �tude dans laquelle il a �valu� � plus de 185 000 milliards de m3 les r�serves de gaz de schistes r�cup�rables dans les pays qui pr�sentent un haut potentiel (voir figure 1). Selon cette �tude, la Chine d�tiendrait les plus grandes r�serves (36 000 milliards m3) suivie de l�Argentine et des Etats-Unis avec environ 22 000 milliards de m3 chacun. Quant aux r�serves de l�Alg�rie, elles sont estim�es � 7 000 milliards de m3, soit pr�s de 2 fois nos r�serves actuelles de gaz conventionnel. Cette estimation est nettement inf�rieure � celle des responsables du secteur de l��nergie qui, dans leurs diff�rentes d�clarations, situent le niveau des r�serves nationales plut�t autour de 25 000 milliards de m3. En tout cas, quels que soient les chiffres retenus, ces r�serves demeurent immenses. � Localisation des r�serves : une nouvelle donne g�ostrat�gique Le passage de la situation actuelle, o� 60% des r�serves mondiales sont d�tenus par trois pays (Russie, Iran et Qatar), � cette nouvelle situation, plus �quilibr�e en termes de localisation des r�serves, ne manquera pas d�entra�ner une refonte des �changes commerciaux entre les pays consommateurs et producteurs. De nombreux pays tels la Chine, l�Inde et l�Europe, ne seraient plus aussi tributaires des importations en provenance de Russie et du Moyen-Orient. Les �tats-Unis deviennent m�me autosuffisants et cesseront, avant 2030, toute importation de gaz. En un mot, la s�curit� �nerg�tique des pays de l�OCDE, sujet hautement sensible, ne d�pendrait plus aussi �troitement, comme c�est le cas aujourd�hui, de pays ayant des int�r�ts politiques antagonistes ou de r�gions jug�es instables. � Prix du gaz : une d�sind�xation de fait par rapport au prix du p�trole La production de 120 milliards de m3 de gaz de schistes aux Etats-Unis et, en m�me temps, l�arriv�e sur le march� de grandes quantit�s suppl�mentaires de GNL en provenance du Moyen-Orient ont engendr� un exc�s de l�offre par rapport � la demande que l�AIE estime � plus de 200 milliards de m3 pour 2011. C�est ce d�s�quilibre offre-demande qui explique la chute brutale des prix enregistr�s sur le march� spot depuis 2007. Ce mouvement baissier n�a pas, non plus, �pargn� les prix du gaz livr� dans le cadre des contrats d�approvisionnement � long terme. Sous la pression des consommateurs, Gazprom, premier exportateur mondial, a d�j� accept� de changer la formule de prix de ses contrats pour y inclure une part d�indexation sur le march� spot. Bien que les autres exportateurs n�aient pas communiqu� sur ce sujet, il est clair que le niveau actuel du prix, qui se n�gocie sur le march� am�ricain (henry hub) � moins de 4 dollars le million de Btu alors que le prix index� sur le p�trole est de 16-17 dollars/million Btu, atteste d�une d�sindexation de fait par rapport au prix du p�trole. � Fili�re GNL : annulation-report de nombreux projets La mise en service r�cente de plusieurs complexes de GNL (30 millions tonnes/an en 2010) a conduit � une saturation du march� du GNL. Cette d�prime du march� a entra�n� la diminution, � moins de 70% en 2010, du taux de fonctionnement des usines de GNL. Elle a aussi eu pour effet l�annulation et le report de nombreux projets. D�apr�s les statistiques du CERA (Cambridge Energy Research Associates), plus de 50% des projets programm�s entre 2012 et 2016 ont �t� annul�s ou report�s. A court terme, la rentabilit� des unit�s de GNL sera �plomb�e�, non seulement par la baisse structurelle des prix du gaz, mais aussi en raison du rel�vement des co�ts d�investissement qui se sont carr�ment envol�s ces derni�res ann�es. Ces co�ts sont, selon une �tude de la CEE, pass�s de 300 US$/tonne en 2005 � plus 800 US$/tonne aujourd�hui. A plus long terme, le rapprochement entre les lieux de production et les centres de consommation, induit par la plus large r�partition g�ographique des r�serves de gaz de schistes, rendra encore moins avantageuse la fili�re GNL par rapport au transport par pipelines. Les nombreux projets de gazoducs en cours de lancement (Galsi, Southstream, Nabucco, TAP �) semblent confirmer cette tendance. � Perspectives de d�veloppement : ralenties par la question environnementale Les perspectives de d�veloppement des gaz de schistes sont r�elles en Am�rique du Nord et dans certains pays tels que la Chine, l�Argentine et la Pologne, o� de nombreux contrats d�exploration- production ont d�j� �t� conclus. En Alg�rie, des forages pilotes sont annonc�s pour l�ann�e en cours. A l�inverse, dans d�autres pays, comme la France, l�annonce de programmes d�exploration des gaz de schistes a soulev� une forte mobilisation de l�opinion publique qui s�inqui�te des risques environnementaux li�s � la production de ces gaz. En France, les autorit�s ont fini par interdire toute exploitation des gisements utilisant la technique de fracturation hydraulique au motif, selon le rapport de l�Assembl�e nationale de ce pays, que cette technique serait incompatible avec une politique de pr�servation de l�environnement. Dans le continent africain, l�Afrique du Sud, malgr� sa d�pendance des importations de gaz, vient, pour les m�mes raisons, de d�clarer, elle aussi, un moratoire sur l�utilisation de la technique de fracturation hydraulique. Conclusion Bien que connue depuis la fin des ann�es 1970, la production des gaz de schistes n�est r�ellement mont�e en puissance qu�� partir des ann�es 2007-2008. L�exploitation de ces gaz suscite de grands espoirs notamment dans le secteur de la g�n�ration �lectrique o� ils peuvent �tre utilis�s en remplacement du charbon, �nergie polluante s�il en est, et du nucl�aire que la catastrophe de Fukushima a d�finitivement condamn�. L�utilisation pleine et enti�re de l��norme potentiel en gaz de schistes semble, cependant, conditionn�e par le d�veloppement de techniques d�exploitation plus respectueuses de l�environnement. S. A. *Ing�nieur en raffinage et p�trochimie