Par Ahmed Halli [email protected] A Katia Bengana, ray�e d�finitivement des listes �lectorales le 28 f�vrier 1994, pour avoir refus� de dire oui au voile islamiste. Lorsque vous demandez aujourd'hui � un Alg�rien pourquoi il s'est empress� d'enterrer � 16h de l'apr�s-midi son p�re, d�c�d� dans la matin�e, il vous r�pond en g�n�ral que �c'est mieux ainsi�. �C'est mieux ainsi� renvoie aussi bien � l'exigu�t� des logements d'aujourd'hui, � leur taux d'occupation tr�s �lev�, qu'� d'autres consid�rations d'ordre pratique. Sauf s'il est un �musulman engag� �, selon l'expression en vogue, l'Alg�rien admettra rarement qu'il est sous influence. Au mieux, il vous r�citera l'antienne suivant laquelle il faut se h�ter d'enterrer les morts, conform�ment au Hadith, lequel Hadith, soit dit en passant, est battu en br�che par le sort r�serv� � la d�pouille du Proph�te lui-m�me. � l'�poque du FIS, le Hadith sur les fun�railles exp�ditives �tait appliqu� de fa�on caricaturale, voire ridicule par des militants plus exalt�s que conscients. Ainsi, c'est un groupe de fier-�-bras barbus qui s'emparait du catafalque et le portait au pas de course jusqu'au pied de la future demeure du de cujus. Ces �marathoniens� des cimeti�res pratiquaient aussi le volontariat mortuaire, et prenaient en charge, sans m�me en r�f�rer � la famille, l'inhumation de tous les d�funts aux alentours. Sensibles, toutefois, aux critiques et aux sarcasmes des la�cs r�siduels, les islamistes ont affin� la technique. Plus besoin de s'�poumoner � courir avec un brancard, au risque de se d�mettre l'�paule et de distancer dangereusement le reste du peloton. L'application intelligente du Hadith consiste � �viter que le mort n'encombre trop les lieux en l'emmenant vite fait � sa derni�re demeure. Ainsi est-il instamment recommand� aux bons musulmans d'avoir le tact de mourir � la bonne heure. Quitter la vie entre minuit et sept heures du matin n'est pas une obligation, mais ce serait le meilleur moment, selon les sp�cialistes, pour quitter ce monde de larmes sans trop faire couler celles des siens. Une fois que toute la procession fun�bre est au bord de la tombe, on peut se permettre de prendre son temps pour �couter le long sermon de circonstance, qui justifiera l'omission de l'invocation traditionnelle. Un d�tail � ne pas perdre de vue de nos jours : pr�voir un lieu appropri�, une mosqu�e ou une placette, pour la pri�re rituelle. Selon les nouveaux dogmes fondamentalistes, il est absolument interdit de faire ladite pri�re � l'int�rieur du cimeti�re. Pour les justificatifs, on vous ass�nera toujours les t�moignages oubli�s de quelques �Compagnons�, y compris si ces derniers avaient � peine l'�ge de dix ans lors du d�c�s du Proph�te. Il y a des surdou�s pour toutes les �poques, et pour toutes les circonstances. On sait que l'authentification, ou �blanchiment�, des Hadiths ne rebute plus personne, depuis que Muawya a install� � demeure le plus prolifique des �narrateurs �, Abou Horre�ra. Avec le rituel de morts, est venu aussi le temps des pieux commer�ants qui ferment leurs �choppes � toutes les pri�res du jour, et sp�cialement celle du vendredi. Depuis, l'obligation de fermer boutique s'est aussi �tendue � d'autres m�tiers, � d'autres monuments de pi�t�. Il y a quelques semaines, le journal �lectronique de notre Farid Alilat, D.N.A ( Derni�res nouvelles d'Alg�rie), rapportait la d�convenue d'une cons�ur qui voulait prendre le m�tro � Alger. Elle s'est donc adress�e � la pr�pos�e au guichet, voil�e comme tout le monde, pour acheter un ticket. La dame a refus� fermement, mais poliment, de d�livrer le titre de passage, arguant que la pri�re du vendredi n'�tait pas encore termin�e et que c'�tait �haram� pour elle de vendre des tickets. Seulement, la journaliste ne s'est pas laiss� arr�ter par cette curieuse explication, et a exig� son ticket, d'autant plus que le distributeur automatique �tait en panne, et que les rames continuaient de circuler. Finalement, la tr�s pieuse guicheti�re a consenti � d�livrer le fameux billet non sans ajouter que l'acheteuse devrait assumer les cons�quences du p�ch� que la fonctionnaire �tait oblig�e de commettre. Voyez-vous, ce qui m'a le plus frapp� dans cette histoire absurde, ce n'est pas tant qu'une guicheti�re observe le �sabbat� lors de la pri�re du vendredi, mais le fait qu'un distributeur automatique s'arr�te aussi. Cela veut dire qu'avec l'argent du Qatar, les fatwas de Karadhaoui et l'imb�cillit� ambiante, m�me les machines peuvent s'arr�ter au moment de la pri�re collective. De l� � ce qu'ils nous programment l'arr�t complet des rames, il n'y a qu'une station, et je n'ai pas le ticket idoine. Comme je n'ai pas l'habitude de vous vous faire broyer du noir, sans essayer d'en att�nuer l'amertume, et m�me si, hors du football, le malheur des �gyptiens ne fait pas toujours le bonheur des Alg�riens. Sachez que nous ne sommes pas les seuls � subir des m�saventures comme celle qui est arriv�e � notre cons�ur dans une station de m�tro. Mardi dernier, l'observateur lucide et engag� qu'est l'�crivain �gyptien Ala Aswani nous a racont� l'histoire v�cue par l'un de ses amis, une histoire comme il peut en arriver entre Alger et Tizi-Ouzou. Alors qu'il roulait vers Le Caire, la maman de cet ami qui voyageait avec lui a �t� prise d'un malaise. Comme elle �tait diab�tique et qu'elle avait besoin d'une injection d'insuline, le fils s'est arr�t� devant la pharmacie d'un village. Il a demand� au pharmacien, barbu, de lui injecter une dose d'insuline, mais � sa grande surprise, le praticien a refus� : �D�sol�, a-t-il dit, je ne fais pas d'injections aux femmes, car c'est contraire � la Charia, cherche une doctoresse pour le faire.� L'homme a eu beau faire valoir que sa maman avait plus de soixante- dix ans et qu'elle �tait donc loin d'�tre une source de tentation et de discorde (fitna) mais le pharmacien n'a rien voulu entendre. Ala Aswani cite encore d'autres exemples de ce pi�tisme ostentatoire, comme celui, nuisible, de ces agents des urgences hospitali�res qui ne rejoignent leurs services, en p�riode de Ramadan, que deux heures apr�s la rupture du je�ne. Le pr�texte invoqu� � ce retard est l'obligation, qui n'en est pas une en r�alit�, de s'acquitter de la pri�re des tarawihs. Comme quoi, chez les �muta'aslimine� ou �musulmanisants �, pour reprendre l'expression de Sa�d Achemaoui, on peut pratiquer l'urgence fun�raire, et prendre son temps lorsqu'il s'agit de sauver des vies humaines. Selon une habitude �tablie, l'�crivain �gyptien conclut sa chronique par cette phrase : �La d�mocratie, c'est la solution. � Mais il semble y croire de moins en moins, et nous avec lui, surtout depuis que les Am�ricains, avec Hillary Clinton, nous d�livrent des satisfecit et nous incitent � approfondir la d�mocratie. En attendant qu'ils aient fini de sonder les profondeurs de nos sous-sols.