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R�FLEXION
La foi et les montagnes
Publié dans Le Soir d'Algérie le 18 - 03 - 2012


Par Nour-Eddine Boukrouh
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Selon une all�gorie pr�sente sous une formulation ou une autre dans toutes les cultures o� on trouve trace d�une pens�e religieuse, �la foi d�place les montagnes�. J�sus l�a enseign�e au moins en deux circonstances rapport�es par Saint Matthieu et Saint Marc, mais on la trouve aussi dans le fonds culturel chinois derri�re des l�gendes comme celle de �Yukong des montagnes�. Oui, all�goriquement, la foi peut soulever des montagnes. On pr�te � notre Proph�te la parole : �Si la montagne ne vient pas � Mahomet, Mahomet ira � la montagne.�
N� � la Mecque, mais ayant grandi entre les collines de M�dine, l�islam a fait reculer en un temps record ses fronti�res initiales pour les porter au pied du mont Sina�, du mont Zagros, du mont Taurus, de l�Atlas marocain, du Djurdjura, des Pyr�n�es, de la muraille de Chine, du Caucase, du Kilimandjaro, etc. Le Proph�te n�a pas �t� � ces montagnes, ce sont elles qui sont venues � lui, apr�s sa mort, en entrant dans la religion dont il est le Messager. L�islam n�a pas que d�plac� des montagnes, il a soulev� le monde et l�a port� sur son dos sur une longue distance pendant sept si�cles. Apr�s tout ce temps et cet effort digne d�Atlas, il s�assoupit et s�endormit du sommeil de �Ahl al-Qahf�, cette parabole coranique correspondant � la l�gende chr�tienne des Sept Dormants d�Eph�se qui se sont endormis sous les Grecs et r�veill�s sous les Romains, en croyant qu�ils n�avaient dormi qu�une nuit. Il en est de m�me des islamistes contemporains qui pensent n�avoir jamais ferm� l��il alors qu�ils sont entr�s dans le coma � l��poque d�Ibn Khaldoun, et repris conscience en pleine guerre des �toiles. Ils ont rouvert les yeux avec les derniers souvenirs rest�s de la veille, et s��tonnant de ne pas trouver parmi eux al-Ach�ari ou Ibn Taymiya. Ils ont regard� autour d�eux, n�ont pas reconnu le monde qui s��tait form� en leur absence, un monde dont ils ne poss�dent pas les codes d�entr�e, et conclurent que ce ne pouvait �tre qu�une diablerie, une �bid�� satanique. Ignorant ses secrets de fabrication et ne comprenant ni comment il a �t� mont� ni comment il fonctionne, ils se sont dit qu�il serait plus prudent de retourner � la grotte des Sept Dormants avant de prendre quelque balle ou missile perdu. Tous les malentendus entre le monde moderne et l�islamisme viennent de l�. Bernard Lewis, g�opoliticien anglo-am�ricain, qui, avec Samuel Huntington, a pes� sur les id�es n�oconservatrices de l��quipe de Bush II, a �crit en 2002 dans L�Islam, l�Occident et la modernit�, lui qu�on ne saurait suspecter de sympathie envers l�islam : �Pendant des si�cles, la r�alit� semble confirmer la vision que les musulmans avaient du monde et d�eux-m�mes. L�islam repr�sentait la plus grande puissance militaire : au m�me moment, ses arm�es envahissaient l�Europe et l�Afrique, l�Inde et la Chine. C��tait aussi la plus grande puissance �conomique du monde, dominant le commerce d�un large �ventail de produits gr�ce � un vaste r�seau de communications en Asie, en Europe et en Afrique. Dans les arts et les sciences, l�islam pouvait s�enorgueillir d�un niveau jamais atteint dans l�histoire de l�humanit�. Et puis, soudain, le rapport s�inversa� Pendant longtemps, les musulmans ne s�en rendirent pas compte. La Renaissance, la R�forme, la r�volution technique pass�rent pour ainsi dire inaper�ues en terre d�islam. La confrontation militaire r�v�la la cause profonde du nouveau d�s�quilibre des forces. C��taient l�inventivit� et le dynamisme d�ploy�s par l�Europe qui creusaient l��cart entre les deux camps.� Puis un jour Nietzsche est venu, �L�Ant�christ� � la main, proclamer : �La foi ne d�place pas les montagnes, elle en met l� o� il n�y en a pas.� Le philosophe vitaliste allemand pensait au christianisme et voulait infirmer l�enseignement de J�sus qui disait : �Ayez foi en Dieu. Je vous le dis en v�rit�, si quelqu�un dit � cette montagne ��te-toi de l� et jette-toi dans la mer�, et s�il ne doute point en son c�ur, il le verra s�accomplir.� Or, depuis les Concordats (accords entre le Saint-Si�ge et les Etats pour r�gler leurs rapports) puis la s�paration de l�Eglise et de l�Etat, le christianisme ne pouvait plus obtenir de permis de construire pour �riger des montagnes sur le sol chr�tien. Il prit sa retraite et, depuis, on ne le voit plus que dans les f�tes religieuses et les actions humanitaires. A sa place, l�Etat moderne s�est dot� de gros engins de terrassement pour abattre les montagnes sans le secours de la foi. Il ne l�a pas supprim�e du c�ur ou des pratiques des hommes, il lui a adjoint de nouvelles sources d��nergie : le libre arbitre, l�aspiration au bonheur, la libert� de pens�e, la cr�ativit� de la raison, l�esprit de comp�tition, le savoir, l�ordre social, le d�veloppement technologique� Devant les nouveaux et prodigieux moyens de levage et de transport, il n�y avait plus besoin du miracle de la foi pour d�placer les montagnes. Les oracles et les prodiges n��taient plus n�cessaires, et plusieurs pouvoirs qu�on croyait �tre des attributs r�serv�s � Dieu ont �t� reconstitu�s dans les laboratoires de l�homme : sillonner l�espace intergalactique, sonder l�infiniment petit et l�invisible, communiquer � la vitesse de la lumi�re, cr�er la vie� Le nouveau syst�me de valeurs permit de pacifier et de stimuler les soci�t�s humaines, quand le pr�c�dent avait emp�ch� leur �panouissement et leur progression pour cause de guerres de religions et d�entraves intellectuelles � l�instigation des hommes de religion. L�Occident ne pr�chait plus le bien, il l�accomplissait humblement, l�am�liorait de jour en jour, domaine par domaine, probl�me apr�s probl�me. Et qu�est ce bien ? L�instruction, l��ducation, le progr�s social, la sant� publique, la s�curit� sociale, la s�curit� des biens et des personnes, l��galit� de tous devant la loi et l�imp�t, la libert� de d�expression et de cr�ation� C�est-�-dire ce � quoi aspiraient, avec d�autres mots, toutes les religions. La loi du talion fut remplac�e par une meilleure justice, les ch�timents corporels bannis, le fort ne pouvait plus �craser le faible, le riche assujettir le pauvre, ou les gouvernants opprimer les gouvern�s. Quant � l�esclavage, il dispar�t pour de bon. Autrement dit, les enseignements prodigu�s par toutes les religions, mais r�alis�s par aucune, sont devenus des r�alit�s tangibles. Si la parole de Nietzsche ne vaut plus pour le christianisme, elle va � merveille � l�islamisme qui, en moins de deux d�cennies, a cr�� nombre de montagnes l� o� il n�y en avait pas : il en a mis entre Ghazza et Ramallah, entre le Sud-Liban, occup� par Hezbollah, et le reste du Liban occup� par les dix-huit confessions reconnues par la Constitution, entre le Soudan d�al-Bachir et de Tourabi et le Sud-Soudan chr�tien, entre les moudjahidine et les Taliban en Afghanistan� Depuis peu, il se propose d�en �lever trois en m�me temps en �gypte, pays habitu� depuis les pyramides aux travaux pharaoniques : l�une, destin�e � �tre infranchissable, entre les coptes et les musulmans, une deuxi�me, de taille un peu moins imposante, entre les 85% d��gyptiens qui ont vot� �islamistes� et les 15% ayant vot� �modernistes�, et une troisi�me enfin, toute petite pour pouvoir �tre franchie � tout moment, entre Fr�res musulmans et salafistes. Ces derniers auraient bien aim� que l�on n�en construise que deux, la moyenne et la petite, et qu�on jette les � kouffar � coptes une fois pour toutes � la mer, mais il y a cette satan�e �communaut� internationale �, essentiellement chr�tienne, qui ne laisserait pas faire. L�islamisme s�est donc r�veill� avec un app�tit pharaonique de b�tisseur. En Alg�rie, il a �lev� une montagne de cr�nes entre lui et les musulmans alg�riens non-islamistes. Dans la �verte Tunisie� de nos anciens chants patriotiques, il est en train de rassembler ses moyens logistiques pour la doter d�une nouvelle montagne. De la Libye, nous parviennent les �chos des explosions et les bruit des chenilles des engins de travaux publics, nous renseignant sur l�activit� sans rel�che des chantiers. Et il a d�autres projets sur sa table de dessin, l�islamisme : la Somalie, le Nigeria, le Pakistan� Il �rige ici et l� des montagnes pour prot�ger du monde ext�rieur les �Chari�land� qu�il multiplie, comme nous multipliions jadis les villages socialistes de la R�volution agraire. Balfour avait promis en 1917 aux juifs un �homeland� en Palestine. Ce n�est pas en r�ponse � ce �Jewishland� que Hamas a cr�� son �Chari�land �, mais pour se s�parer des Palestiniens non-islamistes actuellement concentr�s dans le �Fatahland �. C��tait plus urgent. Ainsi a �t� r�gl� le probl�me qui a donn� lieu � cinq guerres isra�lo-arabes, et ainsi disparut le dossier palestinien de la politique internationale. L�islamisme ne gagne pas des territoires comme l�islam jadis, il en perd. La seule montagne qu�il a pens� enlever est celle o� �taient taill�es les statues de Bouddha en Afghanistan. Les taliban les ont pilonn�es � l�artillerie lourde parce qu�il leur semblait qu�il ne leur restait que cela � faire en leur pays pour satisfaire compl�tement Allah. Qui se souvient que l�Afghanistan �tait une paisible monarchie ? L�islam a �largi l�horizon des musulmans, l�islamisme l�a r�tr�ci. L�islam s�est ouvert aux Perses, aux anciens �gyptiens, aux Berb�res, aux Slaves, aux Indiens, aux Turcs, aux Mongols, aux Africains et aux Europ�ens, l�islamisme s�est referm� sur lui-m�me et a divis� les peuples au sein desquels il s�est form�. L�islam a d�velopp� les sciences exactes, les sciences humaines et les sciences de la nature, l�islamisme ne reconna�t pour vraie science que le �ilm� (savoir religieux). L�islam a d�velopp� l�art, l�architecture et la musique comme aucune culture avant lui, selon le t�moignage peu complaisant de Bernard Lewis, l�islamisme a proscrit le cin�ma, le th��tre, la musique, les jardins publics, et veut qu�on s�assoie par terre, mange avec les doigts, se brosse les dents avec du �swak� et s�habille �sans fa�on� ne serait-ce que pour ne plus s�astreindre � la corv�e de cirer ses chaussures le matin. Plus de chaussures, plus de cirage. C�est celle-l� la v�ritable � djahiliya du XXe si�cle� dont parlait Sayyed Qotb. Ibn Khaldoun (1332-1406) a �crit de tr�s belles pages sur le processus de d�civilisation du monde musulman, mais personne, en son temps, ne pouvait comprendre ce qu�il �crivait. Tout le monde ronflait dans la grotte de �Ahk al-Qahf�. Il faudra attendre le XIXe si�cle pour que son oeuvre soit d�couverte par les Occidentaux, et la moiti� du XXe pour que les
intellectuels musulmans commencent � s�y int�resser. Il �tait le dernier grand cerveau de la civilisation islamique, et le t�moin d�sabus� de son entr�e en d�cadence. Il est surprenant qu�aucun scientifique ou penseur musulman n�ait fait �tat (� ma connaissance) de ce que, parmi d�autres id�es g�niales, il a � cinq si�cles avant Charles Darwin � esquiss� la th�orie de l��volution : �Que l�on contemple l�univers de la Cr�ation ! Il part du r�gne min�ral et monte progressivement, de mani�re admirable, au r�gne v�g�tal puis animal. Le dernier �plan� (ufuq) min�ral est reli� au premier plan v�g�tal : herbes et plantes sans semence. Le dernier plan v�g�tal � palmiers et vignes � est reli� au premier plan animal, celui des limaces et des coquillages qui n�ont d�autre sens que le toucher. Le mot relation (itti�al) signifie que le dernier plan de chaque r�gne est pr�t � devenir le premier du r�gne suivant. Le r�gne animal (�lam al-hayawan) se d�veloppe alors, ses esp�ces augmentent et, dans le progr�s graduel de la Cr�ation (tadarruj attakwin), il se termine par l�homme, dou� de pens�e et de r�flexion. Le plan humain est atteint � partir du monde des singes (qirada) o� se rencontrent sagacit� et perception, mais qui n�est pas encore arriv� au stade de la r�flexion et de la pens�e. A ce point de vue, le premier niveau humain vient apr�s le monde des singes�� (Muqaddima, traduction V. Monteil, 1968). Cette th�orie est bien s�r d�pass�e, mais peut-on imaginer un savant se r�clamant de l�islam �crire des choses semblables aujourd�hui � un propos ou � un autre ? En comparant la libert� d�esprit qui r�gnait au XIVe si�cle, avec le terrorisme intellectuel exerc� par l�islamisme de nos jours, on mesure combien le monde musulman a r�gress�. De mani�re fatidique peut-�tre. Ceux qui ont suivi les premiers pas du courant islamiste qui a gagn� les �lections en Tunisie et en �gypte ont d� noter que la nouvelle Assembl�e tunisienne a consacr� ses r�unions inaugurales � d�battre du r�glement int�rieur pour y loger de nouvelles dispositions relatives � la suspension des s�ances aux heures de pri�re et aux lieux de pri�re. Ils sont peut-�tre tomb�s aussi sur cette s�quence hallucinante o�, au cours d�une s�ance pl�ni�re de l�Assembl�e �gyptienne fra�chement d�sign�e, un d�put� en costume-cravate, la barbe blanche et le front marqu� du sceau de la d�votion s�est lev�, a port� une main � son oreille, et entonn� l��Adhan� comme Bilal le jour de la prise de la Mecque. Le pr�sident de l�Assembl�e eut beau s��gosiller dans son micro pour lui signifier l�incongruit� de sa pieuse initiative, Bilal n�en avait cure et continua jusqu�au bout. Il appelait les �gyptiens � la nouvelle aube de l�islam. De m�me, le monde fut surpris au lendemain de la lib�ration de la Libye d�entendre le pr�sident du CNT annoncer dans son premier discours � l�humanit� le retour prochain de la polygamie dans son pays, comme si les dizaines de milliers de Libyens morts sur les champs de bataille s��taient battus pour cette conqu�te, et que ceux qui ont surv�cu n�attendaient que cette r�compense. L�islamisme ne fera pas avancer l�islam ou les musulmans � cause de cette mentalit�. Ceux qui l�incarnent p�seront sur l�avenir de leurs peuples du poids d�une montagne. Dans l�avant-derni�re contribution, j�ai �voqu� la r�union de Sant�Egidio en 1994 � Rome. J�en garde un autre souvenir. On nous faisait visiter, Abdallah Djaballah, quelques autres leaders politiques et moi, la basilique Saint-Pierre � Rome, le plus grand �difice de la chr�tient� dont la construction a n�cessit� plus d�un si�cle. En cet endroit, se trouve la plus grande concentration de chefs-d��uvre du monde chr�tien. Impressionn� par les riches d�cors, les fresques des plafonds, les sculptures, les mosa�ques, les colonnes torsad�es, l�immense coupole dessin�e par Michel-Ange, et les merveilleuses peintures r�alis�es par Rapha�l, Michel- Ange et autres g�nies de la Renaissance italienne, je voulus savoir ce qu�en pensait Djaballah qui, visiblement g�n� de se trouver en ce lieu, laissa tomber, l�air blas� : �A quoi �a sert, puisque tout cela finira en Enfer.� Je restais sans voix puis, devant l�impassibilit� et la sinc�rit� du leader islamiste, j�eus un des plus grands fous rires de mon existence. Ace jour, je ne peux me retenir de rire quand ce souvenir me revient. S�il ne tenait qu�� Djaballah, aux islamistes o� qu�ils se trouvent et sous quelque d�guisement qu�ils se cachent, les chefs-d��uvre accumul�s par l�humanit� depuis le N�olithique finiraient en une montagne d�objets iconoclastes auxquels ils auraient mis le feu avec d�lectation. C�est la deuxi�me montagne qu�aurait d�truite l�islamisme, en �tant s�r d�aller au-devant des v�ux de Dieu. Djaballah s�est autoris� � statuer � la place de Dieu sur la base d�une double erreur : premi�rement, il s�est mis � Sa place pour juger et condamner deux mille ans de christianisme et d��uvres humaines grandioses ; deuxi�mement, il a oubli� que Dieu affirme en divers endroits du Coran que les musulmans ne seront pas privil�gi�s dans l�au-del� par rapport aux adeptes des autres religions, notamment dans ce verset : �Ceux qui croient, ceux qui sont juifs, chr�tiens ou sab�ens, quiconque croit en Dieu et au Jour dernier et fait le bien, � ceux-l� est r�serv�e leur r�compense aupr�s de leur Seigneur ; il n�y aura pas de crainte pour eux et ils ne seront point afflig�s.� (II-62). Il a oubli� que le christianisme est une religion du Livre, que Jean-Baptiste, J�sus, Marie et l�Esprit Saint sont mentionn�s dans le Coran, reconnus et d�sign�s au respect des musulmans, que la Bible et le Coran se ressemblent et se rejoignent sur de nombreux points du dogme et de l�histoire hagiographique, que le Coran affirme que ceux qui aiment le plus les musulmans sont les chr�tiens, que le Proph�te, pers�cut� � La Mecque, a recommand� aux premiers croyants qui ont �pous� sa cause d�aller s�exiler chez le N�gus de l�Ethiopie, �un roi chr�tien pieux chez qui personne n�est humili� ou opprim�, selon ses propres termes, en attendant de meilleurs jours pour l�islam chez les Arabes. Quand, de nos jours, les leaders islamistes �taient pers�cut�s par les despotes, c�est chez les chr�tiens d�Occident qu�ils sont all�s chercher refuge et y ont v�cu � l�abri de l�humiliation et de l�oppression, peut-�tre m�me aux frais du contribuable chr�tien. De retour chez eux, ils ont vite retrouv� leurs impr�cations contre l�Occident pour ne pas perdre leur base �lectorale. Le musulman de toujours, lui, ne l�a pas oubli� et sait faire la part des choses, y compris entre le colonialisme et le christianisme. En fait, ce n��tait pas Djaballah qui parlait, c��tait l�islamisme dans son impersonnalit� et son universalit�. Cette r�action qui a fus� spontan�ment de lui renseigne sur l�assurance avec laquelle l�islamisme excommunie et le terrorisme tue. Elle montre que l�islamisme n�est pas, comme l�islam, une soumission � Dieu, mais � une ex�g�se �troite et anachronique de l�islam. Un po�te arabe a dit : �Yaf��lou-l-djahilou binafcihi ma la yaf��lou al-adawwou bi adawwihi� (L�ignorance fait faire � l�ignorant contre lui-m�me ce que ne lui ferait pas son pire ennemi). Ajustant cet aphorisme, je dirai : l�islamisme fait aux musulmans ce que ne leur feraient pas leurs pires ennemis : coaliser l�univers contre eux, dresser les fr�res les uns contre les autres, diviser les nations, infantiliser l�esprit, abolir le sens du discernement, exclure la raison du champ de la vie� Avant, il y avait une entit� sociologique qui s�appelait �l�homme musulman�, celui de la grande �poque, comme de la d�cadence. Cette entit� s�est cass�e en deux sous-entit�s au d�but du XXe si�cle pour donner naissance au musulman traditionnel (par exemple Ben Badis) et au musulman moderniste (par exemple Ferhat Abbas). La conception de la Nahda s��tait cliv�e entre partisans de la renaissance par le r�formisme qui pr�naient un retour aux valeurs morales et religieuses, et partisans du modernisme qui voulaient s�inspirer de l�Occident pour rattraper leur retard. Les deux visions n��taient pas oppos�es l�une � l�autre, mais agissaient en compl�ment l�une de l�autre. Elles cohabitaient et coop�raient comme on l�a vu au temps du Congr�s musulman alg�rien de 1936, lorsque nationalistes, oul�mas, lib�raux et communistes faisaient cause commune pour faire front au colonialisme. Un demi-si�cle plus tard, avec la propagation des id�es de Mawdudi et de Sayyed Qotb, le musulman traditionnel et le moderniste n��taient plus ni fr�res, ni compatriotes. Ils �taient devenus des conjoints s�par�s par une querelle ext�rieure � eux, un couple divorc� pour cause d�incompatibilit� dict�e de dehors, puis des ennemis irr�ductibles. Or, ils occupent une seule et m�me maison qui ne peut �tre abandonn�e � l�un ou � l�autre. Avec l�exacerbation des diff�rences et l��loignement progressif des points de vue, l�ancien respect mutuel s�est bris� et a donn� naissance, par les extr�mes, � l�islamiste et au la�c. Le brave �homme musulman� de toujours, rest� au milieu, ne sait plus s�il est islamiste ou moderniste. Il refuse d��tre coup� en deux car il pressent qu�il est les deux � la fois ; il ne veut �tre ni exclusivement islamiste ni exclusivement moderniste. C�est ce que nous �tions en Alg�rie jusqu�� la fin des ann�es 1980, m�me si on �tait plut�t musulman moderniste dans sa jeunesse, et plut�t musulman traditionnel dans sa vieillesse. Les mots islamiste et la�c n�existaient pas. On n��tait pas d�chir�, tiraill� comme on l�est aujourd�hui, et on ne se posait pas trop de questions car on �tait pareils. Les diff�rences n��taient pas criantes par la fa�on de s�habiller, de parler, de se regarder ou de se comporter. On �tait ce qu�on �tait, et tout allait plus ou moins bien. Jusqu�� ce que l�islamisme ait gagn� les �lections communales de 1990 et fait de l�Alg�rie une immense �baladiya islamiya� o� le musulman moderniste ne se sent plus chez lui partout, tandis que le musulman islamiste
trouve qu�il n�est pas assez chez lui. Nous ne sommes plus une soci�t�, mais deux campements. La nature accomplissait dans le silence et l�indiff�rence g�n�rale son �uvre de d�sertification sur notre territoire, le grignotant chaque jour un peu plus. Mais une autre d�sertification, culturelle celle-l�, s�est attaqu�e � l��me alg�rienne. La culture est une accumulation. Or, nous sommes en train de faire table rase de ce qu��taient notre vie, nos habitudes de vie, nos traditions familiales et sociales. Nous �tions un seul peuple, nous sommes devenus deux communaut�s, presque comme les Blancs et les Noirs am�ricains jusqu�aux ann�es soixante. Or, on sait que quand il est pouss� dans ses derni�res limites, le communautarisme ne se satisfait plus du voisinage, de la mixit� ou du �melting-pot�, il aspire � la s�paration. Nous avions des craintes du c�t� de nos fronti�res avec le Maroc. Celles nous s�parant du Mali, de la Libye, du Niger et peut-�tre m�me un jour de la Tunisie, si de nouvelles montagnes y apparaissaient, sont de plus en plus pr�occupantes. Faudrait-il se pr�parer � des fronti�res int�rieures ? Finalement il avait raison Nietzsche : la mauvaise foi met des montagnes l� o� il n�y en a pas.


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