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MAURICE TAREK MASCHINO AU SOIR D�ALG�RIE :
�Les Alg�riens essayent de vivre le moins mal possible�
Publié dans Le Soir d'Algérie le 26 - 06 - 2012


Entretien r�alis� par Brahim Taouchichet
Une vie d�engagements, de r�ves �veill�s, l��il vif, une m�che rebelle blanc-neige sur le front renseignent d�embl�e sur le personnage. Cet octog�naire �tonne par son air enjou� quand il �voque les difficult�s de ce monde, lui qui a vu et v�cu tant de drames mais aussi d�espoirs. Lui que les pires �v�nements n�ont pu �mousser, des moments forts dans des p�riodes o� il fallait assumer ses convictions par l�engagement� et l�action. Moment historique : on imagine Maurice Tarek Maschino, en ce 3 juillet 1962, roulant vers Alger dans sa Fiat 500 dans l�euphorie d�une Alg�rie enfin libre et ind�pendante.
�Je ne m�inqui�tais pas pour mon avenir, il se situait en Alg�rie�, dit celui qui choisit l�insoumission plut�t que d�aller �pourchasser les maquisards, les tuer ou les jeter dans un camp de concentration, rassembler des villageois dans une mosqu�e et y mettre le feu�(*). Maurice Tarek Maschino, d�noncera les �enfumades� dont ont �t� victimes par centaines ses compatriotes puisque. Plus tard, il prendra la nationalit� alg�rienne et accusera la France coloniale d�avoir �t� la premi�re � inventer les fours cr�matoires. Durant la guerre de lib�ration, il est �Porteur de valises� � avec tant d�autres Europ�ens � dans le r�seau Jeanson. Au Maroc, o� il enseigne, son engagement pour l�ind�pendance de l�Alg�rie se manifeste. De fa�on pr�coce d�autant qu�il est le t�moin privil�gi� des �bienfaits� de l��uvre civilisatrice de la colonisation et l�apartheid des colons vis-�-vis des Marocains. Dans son comportement comme dans ses prises de position, il posera alors probl�me � l�ordre colonial. Il �chappera aux gendarmes fran�ais qui le recherchent activement. Ses coll�gues europ�ens se d�tournent de lui quand ils ne le d�nigrent pas : �Tra�tre � la France�. Les nationalistes alg�riens au Maroc le prot�gent, le cachent mais �a devient dangereux. Les militants FLN le prennent en main et vite le transf�rent en Tunisie. A Sfax, Maurice Tarek Maschino radicalise son engagement, et pour mieux le marquer, dit-il, il prend le pr�nom de Tarek. En Alg�rie, il �pouse une native de Skikda, Fad�la M�rabet qui deviendra une �crivaine de renom. Cet Alg�rien dans l��me activera dans plusieurs secteurs. Il enseignera aux lyc�es El- Mokrani et El- Idrissi. Il est en plein dans l�ambiance post-ind�pendance o� l�on pouvait tout se permettre tant l�atmosph�re r�volutionnaire se pr�tait � l��closion des id�es de fraternit�, de solidarit� et de l�amour d�autrui. Journalisme, �missions � la radio o� beaucoup de choses se disent, beaucoup d�id�es d�rangeantes aussi sont d�velopp�es. �a ne pla�t pas en haut lieu, du temps du r�gime de Boumedi�ne. Le moudjahid Maurice Tarek Maschino, la mort dans l��me, est forc�, paradoxalement le 5 juillet 1971, � la 9e ann�e de l�ind�pendance, de quitter l�Alg�rie, pays qui repr�sente tout pour lui et qu�il porte dans son c�ur. Avec Fad�la, ils �chouent en France dans une soci�t� o� ce descendant de l�aristocratie russe se sentira toujours �tranger comme il l�affirme. D�sillusion. Cependant, l�attachement � l�Alg�rie reste intact. Son dernier livre, il le situe dans ce contexte. Il a des mots tr�s durs � l�endroit du pouvoir. Le Soir d�Alg�rie est all� � la rencontre de ce militant rebelle.
B. T.
Apr�s une absence de plus de 30 ans, avez-vous, par nostalgie, revisit� votre premi�re demeure � Bordj-El-Kiffan, les premiers lyc�es o� vous avez enseign� ?
On est rest� assez longtemps sans revenir parce qu�au consulat, on ne nous d�livrait pas de passeport alg�rien. Pendant dix ans, on a �t� en quelque sorte interdits de s�jour. A moins de venir avec un passeport fran�ais et un visa, mais cela on le refusait. On va en Alg�rie, on est Alg�rien avec des passeports alg�riens. Et puis, un jour, sans explication aucune, au consulat, on nous a redonn� nos passeports ! Evidemment je suis all� � Bordj-El-Kiffan puis au lyc�e Emir-Abdelkader y jeter un coup d��il. Je ne suis pas s�r d�avoir bien fait, Bordj-El- Kiffan a compl�tement chang�. Avant, tout autour de la ville, il y avait des champs et aujourd�hui, il y a ce qui ressemble � des bidonvilles. J�ai �t� vraiment frapp� par la d�gradation du paysage urbain.
De L�Alg�rie des illusions, L�Alg�rie retrouv�e � L�Alg�rie toujours, c�est une fresque historique d�un pays dans lequel vous vous �tes investi corps et �me...
L�Alg�rie retrouv�e parce que �a correspond � la v�rit� puisque je revenais apr�s une dizaine d�ann�es d�interruption, et L�Alg�rie toujours car quel que soit le syst�me politique de ce pays, je me sens extr�mement attach� � lui et plus exactement aux Alg�riens eux-m�mes. Je me sens depuis longtemps mieux dans la soci�t� alg�rienne que dans la soci�t� europ�enne ou fran�aise.
Dans la critique que vous faites du pays, � aucun moment, on ne sent en vous l�homme d��u ou aigri. Vos observations sont plut�t empreintes de nuances.
Peut-�tre parce que vivant � Paris, je ne souffre pas du quotidien et d�avoir un regard distanci�. C�est peut-�tre in�vitable que les Alg�riens soient trop press�s. Quand on regarde ce qui s�est pass� en France : la fameuse devise �Libert�-�galit�, c��tait en 1789, mais quand cette �galit� a �t� effective pour les femmes ? Deux si�cles plus tard. Le droit de vote c��tait en 1945 seulement, et n�oublions pas tous les autres droits comme travailler. Il leur �tait interdit de travailler sans l�autorisation du mari. Donc �a a pris du temps. Il ne faut pas �substantialiser� l�Alg�rie, dire demain sera comme aujourd�hui. Moi j�ai confiance dans les ressources du peuple. S�il y a quelque chose � esp�rer, c�est de ce c�t�-l� pas en regardant les hommes politiques. Ceux-l� passeront d�autres leur succ�deront. Ce sont les peuples qui font leur histoire. On comprend qu�actuellement le peuple alg�rien soit fatigu� : 132 ans de colonisation, la d�cennie noire, et qu�il n�y ait pas entre guillemets de printemps arabe. En 1988, il y a eu le printemps alg�rien. Les Alg�riens font preuve d�une tr�s grande sagesse, essayent de vivre le moins mal possible. Et que faire d�autre dans l�imm�diat ? De toutes les fa�ons, il se passera quelque chose t�t ou tard.
A voir cette tendance qu�ont les Alg�riens � s�autocritiquer, c�est comme de l�auto-flagellation. Y a-t-il une explication � cet �tat d�esprit ?
(Moment d�h�sitation puis un peu amus�). Vous me posez l� une question � laquelle je ne saurai r�pondre� C�est tr�s bien qu�ils s�autocritiquent, mais�
Votre regard d�Alg�rien sur la soci�t� alg�rienne...
(Hochement de t�te, soupir). Il est difficile de parler de la soci�t� alg�rienne dans son ensemble comme un tout unifi�. Il y a certainement des groupes d�Alg�riens vis-�-vis desquels le je ne me sens pas particuli�rement proche. Mais il y a des jeunes tr�s vivants qui ne comptent que sur eux-m�mes pour s�en sortir, avoir une vie tout � fait d�cente, s��panouir. Quand je pense � l�Alg�rie, c�est ceux-l� que j�ai en t�te, ceux qui �tudient, ceux qui vont � l��tranger puis qui reviennent pour travailler ici malgr� tout. C�est �a la force de l�Alg�rie. Que tout le monde ne d�sesp�re pas sauf les anciens peut-�tre qui avaient des illusions auxquelles ils s�accrochent.
En 2004, dans le cadre d�un reportage vous vous �tes rendu dans les r�gions les plus recul�es. Qu�est-ce qui vous a frapp� dans vos observations vous qui avez sillonn� le pays juste apr�s l�ind�pendance ?
Ce qui me frappe, c�est que malgr� tout, �norm�ment d�Alg�riens comptent sur leurs propres forces et non, comme on veut le faire croire, que c�est un peuple d�assist�s. Ce qui est tout � fait remarquable, c�est leur sens de la d�brouille entre guillemets. Ils ont en eux, dans la vie pratique, toutes sortes de possibilit�s qu�ils exploitent et n�attendent pas que le Bon Dieu leur apporte le bonheur.
On a pour habitude de d�signer par d�cennie noire les massacres et la terreur islamistes. Sachant votre attachement au pays, comment de France o� s�vissait le �qui-tue-qui� avez-vous v�cu ces tragiques �v�nements ?
C��taient des moments tr�s forts, douloureux d�autant que dans les m�dias fran�ais et occidentaux, il n�y avait que des images de sang du matin au soir, comme si l�Alg�rie tout enti�re ne se r�duisait qu�� cela. Il y avait de jeunes enseignantes qui allaient � l��cole, qui ne portaient pas n�cessairement le voile et qui faisaient de la r�sistance. Dans toutes les �poques de l�histoire de l�Alg�rie, il y a eu des hommes et des femmes debout qui ne se couchaient ni devant le colonisateur ni devant les fondamentalistes et autres int�gristes, pour la dignit� de l�homme et de l�Alg�rie.
Le 3 juillet 1963, dans une Fiat 500, venant de Tunisie, vous avez emprunt� l��troite route Moutonni�re. Quelle commentaire vous inspirent le m�tro et le tramway d�Alg�rie, l�autoroute Est-Ouest ou celle de l�a�roport ?
C�est certainement n�cessaire qu�il y ait des routes et des autoroutes. Mais ce qui frappe, je me trompe peut-�tre, ce sont tous ces investissements dans ces infrastructures, le peu de place au logement, la salubrit� publique. Je trouve qu�Alger offre un spectacle d�solant quant aux immeubles, aux rues. C�est vraiment se payer la t�te du peuple que de l�obliger � vivre dans un tel paysage urbain. L�autoroute c�est tr�s bien pour ceux qui ont des Mercedes mais quel dommage qu�une partie de cet argent ne soit pas aussi mis dans l�entretien de la ville et du d�cor de la vie quotidienne.
44 partis politiques ont pris part aux derni�res l�gislatives, mais l�on se retrouve un mois apr�s dans l�impasse : sans Parlement et sans gouvernement ?
(Soupir). Les d�put�s n�ont apparemment aucun pouvoir et le Parlement est une chambre d�enregistrement. En tout cas, ce ne sont pas des d�put�s ou des ministres qui font l�histoire. Quant au nombre de partis (rire) cela donne de la visibilit� � un certain nombre d�individus mais de loin �a para�t une mascarade. Ce n�est pas s�rieux. Il y a ceux qui veulent que �a change, les d�mocrates, et ceux qui freinent de toute leur force pour que rien ne bouge.
Apr�s la p�riode euphorique des d�colonisations et des ind�pendances, nous assistons aujourd�hui � une sorte de reflux avec le retour � la politique de la canonni�re des anciens colonisateurs comme c�est le cas en Libye et les menaces sur l�Alg�rie. Une fatalit� ?
Non, ce n�est pas une fatalit�. Ces pays-l� n�ont qu�un projet, c�est de faire en sorte que les richesses du Maghreb et de l�Afrique continuent de leur �tre profitable. Autrefois, ils s�introduisaient sous pr�texte de civiliser les Africains et aujourd�hui pour leur apprendre la d�mocratie. On s�introduit en Libye, on casse la Syrie, on d�molit l�Irak dans l�int�r�t exclusif du monde capitaliste et � sa t�te les Etats-Unis.
La France de Sarkozy a jou� les premiers r�les dans cette affaire. Comment l�expliquez-vous ?
Parce qu�il a �t� le repr�sentant du capitalisme fran�ais. Il n�y a qu�� voir ses discours sur l�Afrique qui n�est pas encore entr�e dans l�histoire selon lui. Ce qui est encore plus grave, c�est son discours de haine envers le monde arabe et africain tout au long de ses cinq ans de pr�sidence. Jusqu�� la fin de son mandat, c�est le racisme officiel, la x�nophobie d�Etat. Je doute qu�elle recule avec le pouvoir actuel. Le ministre de l�Int�rieur, c�est la droite du PS (ndlr : Parti socialiste fran�ais). Comme Sarkozy, il a dit r�gulariser au cas par cas, ce qui veut dire que ce sont les pr�fets qui font la loi. Au moins Mitterrand a r�gularis� 130 000 clandestins, mais il n�y a rien � esp�rer de tel aujourd�hui.
Il se trouve qu�en France, �pays des libert�s�, des intellectuels de gauche cautionnent une volont� inavou�e d�un nouveau partage du monde et notamment des anciennes colonies. Cela vous interpelle-t-il ?
C�est comme � l��poque de Sartre quand il parlait de la �gauche respectueuse�, asservie au pouvoir. L��tre le plus malfaisant de cette gauche fran�aise, c�est assur�ment BHL.
Vous dites que 40 ans apr�s : �Je ne me sens toujours pas fran�ais� et : Je ne me reconnais pas dans cette soci�t� (In : L�Alg�rie toujours. Chronique d�une vie). Le refus d�int�gration est-il une marque de fabrique fran�aise ?
Peut-�tre de fabrique europ�enne. Il faut rappeler qu�au XVIe si�cle, Montaigne s�indignait que ses compatriotes se pr�cipitent sur les quais au port du Havre � Bordeaux quand arrivait un bateau charg� d�Africains. Ils les touchaient pour savoir si c��tait des hommes ou pas ! Et �a continue ! Ce qui m�a emp�ch� d�s l�enfance de me sentir bien dans cette soci�t�, c�est qu�avec un nom italien, une grand-m�re russe et une m�re russe qui me parlait russe devant l��cole, j��tais syst�matiquement trait� comme on traite aujourd�hui les immigr�s. Quand on est discrimin� dans les premi�res ann�es de sa vie, �a marque et �a reste. Quand on parle avec un Fran�ais du monde arabe ou de l�Alg�rie, � un moment donn�, il y aura toujours le petit mot, le petit d�tail qui va couper le contact et qui montre malheureusement qu�il n�a rien compris � l�histoire de ces peuples.
Un sort peu enviable donc pour les immigr�s, dirais-je alors na�vement...
Etre immigr� aujourd�hui en France est un v�ritable calvaire ne serait-ce que quand il faut aller renouveler sa carte de s�jour. Les contr�les d�identit� qui se font au faci�s, c�est terrible.
Vous terminez votre livre L�Alg�rie toujours. Chronique d�une vie par une salve nourrie contre ceux qui nous gouvernent : �Ils sont � leur image, pillent le pays et condamnent � la mis�re une population qu�ils m�prisent.� D�pit amoureux ou constat sans appel d�un Alg�rien qui en a gros sur le c�ur ?
(Sourire). D�pit amoureux, non. Depuis l�ind�pendance, ceux qui ont pris le pouvoir l�ont fait pour eux-m�mes, il y a un ab�me entre les besoins du peuple et la politique que m�nent les dirigeants de ce pays. C�est une �vidence que les Alg�riens m�ritent une �quipe qui s�occupe des besoins du peuple.
Maurice T. Maschino, quelle r�ponse � votre question aujourd�hui : �Je ne sais si en juillet 2012, j�irai participer � la c�l�bration de l�ind�pendance� ?
(Rire). Je viendrai au Sila (ndlr : Salon international du livre) fin septembre. C�est tout � fait subjectif. On ne peut pas dire, je ne vais pas dans un pays � cause de ses dirigeants, dans le m�me temps, je ne leur laisse pas l�Alg�rie parce que c�est aussi la mienne, m�me si pour des raisons pratiques, je suis l� en ce mois de juin.
Peut-�tre un mot que vous voudrez dire aux Alg�riens...
Comptez sur vous-m�mes et n�attendez rien du ciel, je veux dire du pouvoir.
B. T.
*L�Alg�rie de toujours. Chronique d�une vie.160 pages-Editions Dalimen. Prix 500 DA. [email protected]


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