Par Moncef Benouniche Citoyen d�mocrate �Il est de l�essence d�une puissance souveraine de ne pouvoir �tre limit�e ; elle est tout ou elle n�est rien.� (Jean-Jacques Rousseau) �Une distinction classique oppose Etat de police et Etat de droit. Dans l�Etat de police, les r�gles protectrices des libert�s ne s�imposent qu�aux personnes priv�es, alors que dans l�Etat de droit elles s�imposent aussi aux pouvoirs publics ; les libert�s publiques ne peuvent donc se d�velopper que dans un Etat de droit. L�Etat de droit qui, �tant � la fois esclave et protecteur des libert�s, tire sa l�gitimit� de son aptitude � les d�velopper et � s�y soumettre. Pour que cette �mission-soumission�, caract�ristique de l�Etat de droit, soit men�e � bien, deux conditions doivent �tre r�unies : il faut, d�une part, que l�action des gouvernants soit enserr�e dans une hi�rarchie des normes au sommet de laquelle figure une d�claration des droits ; d�autre part, que les juges soient suffisamment ind�pendants pour en sanctionner la m�connaissance. � (G. Lebreton, Libert�s publiques et droits de l�homme; Armand Colin. Coll. U. 1995.) Il y a longtemps, d�j�, que les hommes r�vent de l�Etat de droit et que la facult� de �procrastination� � remettre au lendemain ce qu�on peut faire le jour m�me � s�exerce, ici plus qu�ailleurs, avec une remarquable constance car il faut bien admettre qu�il s�agit d�une notion qui nous vient du Moyen-�ge, et qu�elle a �t� mise en forme en Allemagne (Rechsstate) au XIXe si�cle. Certes, elle n��tait pas encore formul�e de cette fa�on mais les premiers pas ont �t� accomplis d�s le XIIIe si�cle, en Angleterre, avec la �Magna Carta� en 1215 � qui limite le pouvoir du souverain sur les d�placements des sujets dans et hors du royaume, puis l �Habeas corpus� en 1679 � obligation pour les services de police de pr�senter toute personne d�tenue dans les trois jours devant un juge � et le �Bill of Rights� (1689 - D�claration des droits) qui pose les fondements de la monarchie constitutionnelle et limite les pouvoirs du monarque par ceux du Parlement. On sait le chemin parcouru � partout, ici et ailleurs � et surtout celui qui reste � accomplir avec toutes les diff�rences, richesses, subtilit�s et obstacles � cependant jamais insurmontables � que supposent Culture et Histoire ; on sait, aussi, que tout cela est affaire de conscience et volont� politiques ; on sait, enfin, que cette revendication d�Etat de droit est aujourd�hui un pilier de l�ordre d�mocratique � construire. Mais qu�est-ce que cet Etat de droit qui, pour certains, est une exigence absolue, pour d�autres un pl�onasme et, pour d�autres encore un oxymore ; pourquoi l�Etat et jusqu�o� l�Etat ? La situation est d�autant plus incertaine et franchement compliqu�e que l�unique organisation sociale connue dans le monde est, tr�s pr�cis�ment, l�Etat qui peut rev�tir des formes diverses mais reste, quant � l�essentiel, l�exercice de l�autorit� et de la violence l�gitime pour imposer la volont� de certains, souvent jamais assouvis, sur l�immense majorit� soumise. Quoi qu�il en soit, et c�est heureux, la notion d�Etat de droit s�est impos�e dans le vocabulaire politique depuis peu apr�s avoir �t� la pr�occupation des seuls juristes et philosophes et nul doute que sa popularisation peut �tre le ferment d�un projet commun mobilisateur, de l�ach�vement de la culture de la soumission et l�affirmation de la citoyennet�. Fondamentalement, l�Etat de droit suppose l�existence d�une autorit� qui accepte la limitation du pouvoir par la loi et organise une justice ind�pendante qui sanctionne toute m�connaissance de ce cadre juridique fond�, en toute mati�re, sur les valeurs partag�es et le respect du citoyen ; certes, cela suppose une effective s�paration des pouvoirs et une v�ritable hi�rarchie des normes, la loi ne pouvant s�opposer � la constitution ni le d�cret � la loi� Ainsi donc, l�Etat de droit est cette construction institutionnelle dans laquelle le pouvoir s�autolimite et �auto-contr�le� cette limitation. Mais pourquoi et comment cette autolimitation ? Cette interrogation indispensable n�a rien d�original et cela a d�j� �t� pr�cis� par le fameux juriste autrichien, Hans Kelsen (1881-1973) pour lequel l�Etat de droit est un pl�onasme dans la mesure o� tout Etat est un Etat de droit et cela dans la mesure o� c�est, tr�s pr�cis�ment, l�Etat qui produit les normes juridiques et l�organisation institutionnelle charg�e de la mise en �uvre de ces normes. En effet, seul l�Etat est comp�tent pour traduire des r�gles sociales en normes juridiques et transformer la volont� politique en r�gle de droit en mettant au service de celle-ci, si besoin est, la violence l�gitime dont il est l�unique d�tenteur. Il appara�t, tr�s clairement dans cette vision, que l�Etat de droit est anim� d�une volont� politique protectrice des droits de l�homme et des libert�s individuelles qui le conduit � la mise en �uvre, toujours plus efficace, d�un syst�me qui r�duit ses propres pouvoirs et sanctionne tout d�passement, quelle que soit sa nature. Cependant, le droit produit par l�Etat a le seul contenu que son auteur d�cide et c�est ainsi qu�il semble, peut-�tre, plus pertinent de s�interroger sur l���tat du droit� que sur l�Etat de droit. Pl�onasme pour Hans Kelsen, l�Etat de droit serait un oxymore pour Henry David Thoreau dans la mesure o�, pour le philosophe am�ricain qui ne veut ob�ir qu�� lui-m�me, l�Etat est, par nature, pr�dateur des libert�s, r�pressif dans son essence et ne peut produire que le droit des libert�s correspondant � sa nature. A ce stade, il se dessine que, dans la construction th�orique de l�Etat de droit, une confusion volontaire est propos�e pour signifier le droit comme une expression de protection des libert�s individuelles et de la citoyennet� alors que le terme � droit � ne signifie que le syst�me juridique qui fonde l�organisation sociale et peut tendre, aussi bien � la protection de ces libert�s qu�� leur r�pression. Quoi qu�il en soit, c�est le propre d�une revendication politique que de situer l�objectif � atteindre au-del� de la situation v�cue et, en cette occurrence, la l�galit� � application du droit � est appr�ci�e � l�aune de la l�gitimit� qui tend � l�affirmation des valeurs sociales qui fondent le �vivre ensemble�. S�il est l�gitime de vouloir manifester pacifiquement pour affirmer son m�contentement face � une situation consid�r�e insupportable, il est ill�gal, quand on est alg�rois � ou alg�rien � de le faire et cela provoque in�vitablement la mise en mouvement de l�appareil de r�pression sur la base du droit positif, c'est-�-dire de l�ordre juridique existant. Aussi, est-il tout � fait indispensable et urgent de mettre cette question de l�Etat de droit au c�ur du d�bat et que les citoyens s�en emparent pour en appr�cier la �substantifique moelle� et c�est dans cette perspective que cette modeste contribution est propos�e au d�bat et � la r�flexion de tout citoyen, lecteur du journal le Soir d�Alg�rie qui aura eu la patience et l�amabilit� d�aller au bout de la lecture de ce pensum. Encore faut-il pr�ciser que le d�bat propos� et souhait� est parfaitement �tranger � un quelconque exercice de style, mais r�pond � une n�cessit� exigeante tant la situation, en Alg�rie, se caract�rise, aujourd�hui, par la rupture entre l�un des peuples les plus jeunes du monde et un Etat soumis � la volont� d�hommes du pass�, � l�an�antissement programm� de la �soci�t� civile� et la d�liquescence du politique aliment� par des partis politiques dits d�opposition dont le souci principal semble �tre celui de ne pas exister. Pour cela, l�auteur de ces quelques lignes indique son adresse mail et souhaite recevoir le plus de r�actions possibles de la part des citoyens lecteurs du journal et cela, tr�s pr�cis�ment, pour faire revivre le d�bat, condition substantielle de tout ordre d�mocratique. Cela aussi, dans l�attente d�autres propositions de d�bat. M. B. [email protected]