Par Zineddine Sekfali En �gypte, pour la premi�re fois dans l�histoire de ce grand pays, un pr�sident de la R�publique a �t� �lu d�mocratiquement. En effet, contrairement � ces pr�d�cesseurs qui ont toujours �t� des candidats uniques, automatiquement �lus lors d�un scrutin � un tour, avec des scores pharaoniques, le nouveau pr�sident n��tait pas le seul � se pr�senter au suffrage de ses concitoyens ; il n�a pas �t� �lu du premier coup, mais a d� passer par un deuxi�me tour, et il n� a obtenu que 51,73% des voies exprim�es� Les r�volutions arabes n�ont donc pas fini de nous surprendre par les horizons d�mocratiques qu�elles ont ouverts dans le Machrek et le Maghreb. C�est bien cela que voulait exprimer Marco Vargas Llosa, �crivain et homme politique p�ruvien, prix Nobel 2010, en d�clarant : �Apr�s l�effondrement du communisme, le Printemps arabe est l��v�nement le plus important de l�histoire r�cente.� Et pourtant, il y a encore ici et l� des gens qui affirment obstin�ment que les Tunisiens, les Libyens, les �gyptiens� vivaient mieux �au temps b�ni du petit p�re du peuple� qu�ils ont renvers� et que la d�mocratie n�a pas d�avenir dans ces pays ni dans aucun autre pays arabe. D�autres insinuent que ce printemps est termin� et que les r�volutions sont d�j� en situation d��chec. Ces esprits obtus et ceux qui ont la d�mocratie en sainte horreur sont encourag�s et soutenus dans leur r�sistance au mouvement libertaire qui traverse le monde arabe, par ce qu�on appelle la �presse bashing� sp�cialis�e dans la calomnie et le d�nigrement, de m�me que par toute une faune de �complotistes� qui squattent Internet, et enfin par tous ces avocats du diable, d�fenseurs z�l�s des r�gimes autoritaires ou totalitaires. Voyons un peu en quoi ils commettent une erreur grossi�re. Faux fr�res, faux amis et supp�ts du despotisme Tous ces faux fr�res et faux amis des Arabes, tous ces vrais supp�ts du despotisme oriental ont pour mission de formater les Arabes et d�en faire des sujets livr�s pieds et points li�s aux monarques r�gnant ou aux oligarchies dominantes. Or, ce qui vient de se passer en �gypte est la preuve que ni le d�sordre qu�on attise ni l�autoritarisme qui frappe n�ont d�avenir dans le monde arabe. Les ann�es 2011 et 2012 sont des ann�es-phares dans l�histoire du monde arabe. Elles mettent un terme � une �poque r�volue et ouvrent pour les peuples arabes, en m�me temps que la voie vers la libert�, de nouvelles et prometteuses perspectives �conomiques, sociales et culturelles. L�avenir est � la d�mocratie dont chacun doit se convaincre qu�elle n�a ni de race, ni de couleur, ni de religion, qu�elle n�a pas de propri�taire exclusif et qu�elle n�est le monopole d�aucun pays ni d�aucun peuple. Ce qui a r�ussi en Europe occidentale, en Europe orientale, en Am�rique du Nord et en Am�rique latine, en Asie et en Extr�me- Orient, sur le continent noir et en Afrique du Sud notamment, ne saurait que r�ussir dans le monde arabe, t�t ou tard. Le changement fait peur, non seulement � ceux qui s�accrochent au pouvoir, mais aussi � une certaine frange de la soci�t� politique qui aspire � prendre la rel�ve des r�gimes autoritaires en place. Cette frange-l�, balayant de la main des si�cles d��volution politique, annonce � ses ouaillesmilitants, qu�elle va restaurer le �califat� des premiers �ges de l�Islam. On feint de ne pas savoir que le Califat n�a jamais �t� un mod�le exemplaire de gouvernance des Etats et de croissance �conomique et sociale. Il n�a pas non plus laiss� un souvenir imp�rissable par son attachement � la justice ni par son respect de la dignit� humaine. Il s�en faut de beaucoup ! Faut-il � cet effet rappeler que sur les quatre califes �orthodoxes�, trois ont �t� assassin�s pour des motifs politiques, que le calife Muawiya 1er qui a ordonn� la mort du calife Ali pour lui prendre sa place a fait du califat, � l�origine �lectif, une institution dynastique et h�r�ditaire, que son fils Yazid a mis � mort la descendance d�Ali qui lui contestait sa l�gitimit�, que la dynastie abbasside de Baghdad a chass� la dynastie Omeyyade de Damas d�o� un seul a pu s��chapper pour cr�er � Cordoue un autre califat qui disparut sous les coups conjugu�s des Almohades venus de l�Ifrikiya et des chr�tiens d�Espagne, que les Fatimides install�rent � leur tour un califat au Caire jusqu�� ce que Salah Eddine (Saladin) le d�truisit, enfin qu�� partir de 1515 le monde musulman est pass� sous l�autorit�, � bien des �gards th�orique et symbolique, du califat �ottoman � lequel sera purement et simplement supprim� par le g�n�ral Atat�rk en 1924� Le califat a �t� instaur� aux premier si�cle de l�Islam, il a v�cu dans les troubles et les divisions, et il a sombr� corps et biens du c�t� d�Istanbul : c�est du pass� et c�est un pass� r�volu. Il n�y aura � l�avenir pas plus de califes que d�empereurs du Saint Empire romaingermanique, de Basileus � Constantinople ou de pape avec les pouvoirs de C�sar ! On ne refait pas l�Histoire. Et enfin, que je sache : ni les Turcs y compris ceux de l�AKP, ni les Egyptiens y compris les Fr�res musulmans d�aujourd�hui, ni les Tunisiens d�Ennahda, ni les Irakiens chez qui il y a du reste une forte communaut� chiite qui, comme chacun sait, n�a pas le califat en odeur de saintet�, ni les Syriens qui souffrent le martyre, ni les Arabes de la P�ninsule �ponyme qui n�en demandent pas tant, ne revendiquent la restauration du califat ! Il para�trait qu�il n�y aurait que les chouyoukhs qui ont �lu domicile dans les monts de l�Hindou-Kouch, qui veulent avoir un calife ou le devenir ! On voit bien qu�en mati�re de revendications politiques, il y a des limites qu�on ne peut franchir sans se ridiculiser. Restaurer le califat, c�est LOL, diraient nos jeunes branch�s sur le web ! Islam et islamisme : assez d�amalgame ! Il n�en demeure pas moins que les d�mocrates se fourvoient � mon avis, quand sous le pr�texte formel de combattre l�islamisme qui est un mouvement politique avec lequel chacun a le droit de ne pas �tre d�accord, s�en prennent en r�alit� � l�Islam, � son dogme, � ses principes et � ses institutions notamment aux r�gles du corpus composant le droit de la famille ou statut personnel. Il importe ici de rappeler qu�en terre d�islam, l�islam est forc�ment majoritaire par rapport au christianisme qu�il soit catholique, protestant ou orthodoxe. En terre d�islam, l�islam est naturellement pr�f�r� � l�ath�isme et au mat�rialisme. En terre d�Islam, la vie de chacun des musulmans est jalonn�e, comme le fut celle de ses parents, de ses grandsparents, de ses a�eux et de ses anc�tres, de rites, de pratiques et de c�r�monies religieuses ; si donc nous n�admettons pas qu�on vienne nous dire qu�on va nous convertir � l�Islam, de la mani�re et avec la m�me force m�me nous nous inscrivons en faux contre ceux qui osent pr�tendre que la d�mocratie est incompatible avec l�Islam. En Alg�rie, notre islamit� est rest�e intacte malgr� 130 ann�es de colonialisme. Nous n�avons pas attendu les islamistes pour embrasser l�Islam : notre islamit� est de beaucoup ant�rieure � leur islamisme et nous sommes de plus en plus convaincus que l�Islam est victime d�un d�tournement politique effectu� par une minorit� de gens que le pouvoir et ses avantages financiers et mat�riels ont fascin�s. En terre d�Islam, il n�y a rien de surprenant que les musulmans se soul�vent pour chasser ceux qui, sous pr�texte qu�ils sont des �wali el amr�, s�exercent � les opprimer ; de ce point de vue aussi, les musulmans n�ont pas attendu l�apparition de l�islamisme pour se soulever et r�clamer leurs droits. En terre d�Islam, on nomme les combattants �moudjahidine� et le combat �jihad� ; on y appelle aussi �chouhada� ou �martyrs� ceux qui meurent au combat. Ce vocabulaire fortement empreint de religion est pr�cis�ment celui pour lequel la R�volution alg�rienne a opt� d�s le premier jour. Je conviens cependant, qu�on n�a jamais parl� � propos de notre R�volution, en termes de �foutouhat � ni d�ailleurs de �ghanima� : c�eut �t� totalement hors sujet ! Voil� bri�vement indiqu� ce qui distingue en terre d�Islam la religion musulmane du mouvement politique islamiste. A l��tranger, l�anti-islamisme de certains politiques et journalistes cache mal en v�rit� une islamophobie quasi maladive. C�est chez ces gens-l� qu�on retrouve ceux qui soutiennent que �les indig�nes� �taient mieux sous B�nali, Kadhafi, Moubarek� Pourquoi ? Parce que �les indig�nes� ignorent selon eux ce qu�est la libert�, ce que signifie la d�mocratie et ce qu�on entend par droits de l�homme. De Gaulle a dit : �Il y a en France un esprit de Vichy.� ; on voit bien aussi qu�il existe encore �un �tat d�esprit colonial�. Mais le plus choquant c�est que cet �tat d�esprit colonial, tr�s r�ducteur de �l�indig�ne�, est approuv� et partag� par certains indig�nes. C�est en tout cas le d�sagr�able constat que l�on fait parfois en suivant certains d�bats t�l�vis�s diffus�s par des cha�nes �trang�res ou en lisant certaines tribunes ou articles de presse internationale. Ces d�bats et �crits, loin d��clairer les esprits, ajoutent au contraire de la confusion � l�incompr�hension. De vraies r�volutions, pas des feux de paille Il reste � dire quelques mots � ceux qui croient que les r�volutions arabes sont d�ores et d�j� termin�es et qu�elles n�ont �t� qu�un feu de paille. Ils ont bien tort de le croire ; nous les renvoyons � ce grand succ�s d�mocratique qu�a �t� l��lection pr�sidentielle pluraliste �gyptienne. Certes, il y a encore, en place dans le monde arabe, des pouvoirs despotiques. Mais on sait qu�aucun despote ne part de lui-m�me et moins encore n�accepte de c�der sa place � un pouvoir d�mocratique. La d�mocratie ne se r�alise pas du jour au lendemain, comme d�un coup de baguette magique. Cela prend du temps, contrairement au despotisme qui, lui, est capable de se mettre en place en quelques heures, d�s lors en effet qu�il dispose de moyens arm�s, qu�il fait occuper de force les lieux de pouvoir et mettre en prison les r�calcitrants. N�oublions pas non plus de jeter un regard rapide ou un coup d��il � deux r�volutions connues : la r�volution fran�aise et la r�volution russe, pour en tirer quelques enseignements. La premi�re, d�clench�e en juillet 1789, fut, au d�part, un immense mouvement populaire improvis�, libertaire, sans parti ni leader politique. En 1793, avec la �Convention�, a commenc� l�une des p�riodes les plus sanglantes de l�histoire de France. La �terreur� devint institutionnelle et la guillotine fonctionna � plein r�gime. C�est en r�f�rence � cette �poque qu�on a invent�, je crois, cette formule effrayante : �La r�volution mange ses enfants.� Les choses ne deviendront calmes qu�apr�s plusieurs ann�es de troubles et de violences. La situation se normalisera, si j�ose dire, avec le coup d�Etat du g�n�ral Bonaparte, de novembre 1799. Ce g�n�ral se fera proclamer, peu de temps apr�s, �empereur des Fran�ais �. C�est lui qui a dit : �Il y a ceux qui font les r�volutions et ceux qui en profitent. � Il me semble int�ressant de signaler qu�un �crivain slov�ne, Zlavoj Zizek, rapporte dans un livre publi� en 2007, qu�� un journaliste occidental qui l�interrogeait en 1953, sur le point de savoir quand s�est achev�e la r�volution fran�aise, le Premier ministre Chou Enlai a r�pondu, apr�s une longue r�flexion : �Il est trop t�t pour le savoir !� La r�volution russe d�octobre 1918 a �t�, elle aussi, l�une des plus violentes de l�Histoire. Elle submergea le pays, mis � mort le tsar, sa femme et tous leurs enfants, massacra la noblesse. La Russie connut la �Terreur blanche�, la �Terreur rouge�, la guerre civile, la �Grande terreur�, les purges et liquidations de la Tcheka, des proc�s kafka�ens. Les leaders politiques de cette r�volution seront tu�s les uns apr�s les autres, d�autres jet�s dans le goulag, peu parviendront � fuir � l��tranger o� ils ne seront pas toujours en s�curit�. Dans tout le lot, un visage va �merger : celui de Staline. S�accaparant de tout le pouvoir, il sera jusqu�� sa mort en 1953 le nouveau �tsar de toutes les Russies �. Ses successeurs ont tent� de d�clencher un processus de normalisation ou de d�mocratisation, dans ce pays profond�ment impr�gn� d�autocratie et de traditions orthodoxes. Les choses ont quelque peu �volu� dans les ann�es 1980, mais il y a eu des rechutes autoritaires. Dans l�ensemble, il semble bien qu�il reste beaucoup � faire pour que la d�mocratie s�instaure en Russie. Et puis, il est opportun de rappeler que chez nous, l�arr�t de la guerre de Lib�ration n�a pas �t� suivi d�une longue p�riode de stabilit� politique. Moins de trois mois apr�s le cessez-le-feu, de graves dissensions et divisions ont �clat� au grand jour, le Congr�s de Tripoli ayant mis en minorit� le GPRA, lequel a r�agi en d�mettant le chef d��tat-major de �l�arm�e des fronti�res�. Deux clans se sont alors cr��s : l�un � Alger favorable au GPRA et l�autre � Tlemcen avec un �bureau politique�. Puis, on est pass� � l�usage de la force. Des combats ont en effet oppos� les hommes des Wilayas aux troupes dites des fronti�res, � Constantine, � Alger, � Ksar-El- Boukhari et pr�s de Chlef. Ces combats ont fait des centaines de morts et de bless�s dans les deux camps. D�o� les manifestations populaires aux cris de �7 snin barakat !� Pis encore, en 1964, des insurrections se sont produites : l�une dans le sud du pays men�e par le colonel Chabani, l�autre en Kabylie sous la houlette du colonel Mohand Oulhadj et de Hocine A�t Ahmed. Des attentats ont �t� perp�tr�s dans la capitale qui n�avait pas encore oubli� ceux de l�OAS. Des partis politiques ont �t� cr��s (PRS, FFS, ORP�) en violation du principe de l�unicit� du parti, principe �sacro-saint� � cette �poque. Les fondateurs et militants de ces partis clandestins furent pourchass�s. Des juridictions sp�ciales ont �t� instaur�es pour juger les insurg�s et les opposants ; des condamnations � mort ont �t� prononc�es et plusieurs ont �t� ex�cut�es. Courant 1965, le pr�sident Ben Bella d�mit trois � quatre ministres r�put�s proches du ministre de la D�fense nationale et s�attribua plusieurs portefeuilles minist�riels. Il sera � son tour destitu� les 19/06/1965, et gard� en d�tention durant quinze ann�es. Le 15 d�cembre1967, le colonel Tahar Zbiri lan�ait un putsch qui �choua, en entra�nant de nombreux morts et bless�s et des arrestations massives. Le 27 avril1968, le pr�sident Boumedi�ne a fait l�objet d�un attentat au cours duquel il a �t� bless� au visage. N�oublions pas d�ajouter � cette triste liste des faits plus r�cents, comme : l�apparition au d�but des ann�es 1980 du maquis de Bouyali, les �meutes d�octobre 1988, la terrible �d�cennie rouge�, le l�che assassinat du Pr�sident Boudiaf, le sinistre �terrorisme r�siduel� qui ne finit pas de tuer militaires et policiers� Non ! l�histoire politique de l�Alg�rie n�a pas �t� �un long fleuve tranquille �, mais, h�las, une s�rie �pouvantable de violents et sanglants soubresauts. Et nous sommes toujours en qu�te de d�mocratie ! D�o� cette conclusion que j�emprunte � un �crivain et politicien br�silien, fou de libert� et de d�mocratie, Ruy Barbosa (mort en 1923) : �La pire des d�mocraties est pr�f�rable � la meilleure des dictatures !�