Ecrivain* Par� de l�incandescence du r�ve accompli ! C�est ainsi que, longtemps auparavant, j�avais imagin� ce jour souverain ; un jour que je ne pouvais concevoir que comme un fragment d��ternit� pr�t� au temps ordinaire pour un retour au point Qanta des origines. J�en avais, patiemment, tiss� les atours convenant � sa majest�, dans la solitude des nuits noires de l�occupation, taraud� par l�angoisse d�une mort jouant � cachecache, derri�re chaque pas lourd de la patrouille de minuit ; celle-l� qui venait, tra�treusement, chercher, par del� les barbel�s et les tourniquets de Aouinet-El-Foul, le sinistre butin de son affiche rouge quotidienne, au milieu du cliquetis des mitraillettes et de l�aboiement d�enfer des bergers allemands. Oui, ce jour-l�, je l�avais pressenti, ainsi, habill� de vert, de rouge et de blanc, les couleurs juv�niles de l�arbre de vie refleuri, nimb� de la ros�e des matins tranquilles de mon enfance. Il devait, dans mon esprit fantasque, ressembler � Warda, la complice de mes �veils sensuels pr�coces, la platonique ge�sha qui savait, si bien, sacrifier au rite des ablutions de l�aurore, � l�entr�e de la sqifa bleue de notre petit cube de maison, le regard �namour�, charg� de promesses et de serments, explorant, au-del� des �claboussures de l�eau limpide de son amphore d�argent, les profondeurs alambiqu�es de mes non-dits. Et lorsque ce jour survint, en plein �t�, dans le grondement torrentiel d�un fleuve lib�r� de ses �cluses, je le pris, � bras-le-corps comme s�il s�agissait du p�re que j�avais perdu dans les d�dales de la ferme Am�ziane et que je revoyais, l�, en face de moi, intact, entier, rescap� miraculeux de la g�henne de Belz�buth, le ma�tre cyclope du centre de tortures le plus terrifiant de Constantine. Le pressentiment qui z�bra, alors, mon esprit, fut que ce jour, tant attendu, sera le premier solstice de la grande esp�rance qui fera, bruyamment, irruption dans le bastion du dernier hiver pour m�ter les ultimes soubresauts de l�unique et longue saison des t�n�bres impos�e par l�hydre d�outremer au doux climat de ma terre. A l�apparition de ses pr�misses, mon p�re me mit en garde, dans un langage mi-po�tique, mi-philosophique, contre le risque de me faire abuser par les charlatans du dernier quart d�heure dans mes premi�res convictions qu�il me recommanda de conserver fermes et non n�gociables. Il me dit : �Mon fils, retiens bien que ce jour promis ne s�est pas invit� dans notre nouvelle saison, par le fait d�un caprice voulu par quelque r�volution de plan�tes croisant � des ann�es lumi�re d�ici. Il n�est pas, non plus, le don offert par une bonne fortune ou la g�n�reuse obole de g�nies mis�ricordieux. Il est le fils de la nuit du Ph�nix qui fit briller dans le ciel d�automne, d�il y a sept ans, l��tincelle de l�incendie d�un champ de bl� usurp� ; celle qui le couva et le fit grandir avec la s�ve de sa juste col�re jusqu�� ce qu�il vola de ses propres ailes. Puisse Dieu le faire poser, bient�t, avec la clef de la d�livrance, au pied de la br�che, la blessure s�culaire, encore b�ante, � l�endroit pr�cis o� fut commis le premier crime contre le Rempart.� Arm� de cette recommandation et alors que j�avais accompli, le 1er juillet, ma mission de scrutateur du r�f�rendum sur l�autod�termination, au bureau de vote de l��cole Julien Puyade o� les habitants du village n�gre, comme tous les autres, avaient choisi l��tre contre le n�ant, j�avais, dans un p�lerinage de reconnaissance, long� le Chemin rural n�3 sur le mur duquel j�avais peint, en vert, deux ann�es plus t�t, lors des manifestations du 11 D�cembre 1960, un �norme �Vive l�Alg�rie ind�pendante � en hommage � Abdelkader, mont�, pieds nus, � l�assaut d�une colonne de paras, avec, pour seule arme, une branche de figuier. Je le revois, noy� dans une mare de sang, le corps ch�tif cribl� de balles, un filet de lumi�re survolant ses l�vres bl�mes et je me sentis, � ce souvenir, terriblement frustr� par cette fin de guerre. Une guerre qui venait, inopportun�ment, me l�ser, me dessaisir, � l�or�e de mes 17 ans, de la gloire de rev�tir, au maquis, la tunique de l�honneur et venger, dans l�engagement d�une adolescence rebelle, sans concession, non seulement Abdelkader mais aussi Za�mouche, Kaghouche, Boudjeriou, Aouati et bien d�autres parents, voisins et amis, guillotin�s, supplici�s, meurtris qui m�avaient appris la plus haute vertu des hommes, le sacrifice de leur vie pour la sauvegarde de celle des autres, sans attendre, en retour, une quelconque reconnaissance ou gratification. Je dus me consoler de ne pouvoir acc�der � leur sanctuaire, d�sormais, hors de port�e, et me contenter du bonheur terre � terre de ne plus escalader, quatre � quatre, les marches abruptes de l�escalier du Coudiat Aty pour ramener du kiosque du Palais consulaire Le Monde, l�Express, France Observateur, T�moignage Chr�tien et Jeune Afrique, le dernier-n� des journaux amis. J�avais pris l�habitude, en ces temps-l�, d�aller glaner, sous les signatures de Sartre, Beuve � Mery, Servan Schreiber, Montaron, Jean Daniel, Ben-Yahmed de quoi rassurer les miens et me rassurer moi-m�me sur l�imminence de la victoire et la fin des massacres, en m�employant � d�coder la d�mission du g�n�ral de la Bollardi�re, la p�tition des 121 et la nomination de Paul Delouvrier. Je m�empressais d��clairer, le soir, ces informations � la lumi�re de la science de A�ssa Messaoudi, le speaker de la radio du Front � la voix martiale duquel je m�accrochais, avec une addiction de d�vot, comme � une bou�e de sauvetage qui me requinquerait pour r�sister aux vagues de la propagande et des harc�lements sadiques de la D�p�che de Constantine, de l�Echo d�Alger, de la D�p�che d�Alg�rie et de l�Echo d�Oran, les hauts-parleurs de Schiaffino, Blach�re et Laqui�rre, le pr�sident ultra de l�Assembl�e alg�rienne. M��tant finalement fait une raison, je consentis � ranger les armes de la revanche, me suffisant de ce d�nouement qui mettait un terme � des souffrances qui n�avaient que trop dur�. Et quel bonheur plus que parfait fut, alors, pour moi, de me fondre, corps et �me, dans une foule, en fusion, attendant, au matin de ce 5 Juillet, dans la position d�un nouveau-n� sur le point de vagir, que sonne le tocsin, l�heure des noces du peuple avec l�histoire, annonc�es pour midi, face � la Mairie, au beffroi de laquelle devaient �tre hiss�es, pour la premi�re fois � cette hauteur, les couleurs de la R�publique, une r�publique populaire, sans pr�c�dent, �rig�e sur le territoire d�un pays-continent d�o� seraient bannis, selon les oracles en circulation, les privil�ges acquis par la force, l�argent ou la naissance. La clameur qui salua, sur le boulevard de l�Ab�me, le flottement au vent du croissant et de l��toile rouges, scintillant d�une virginit� triomphante, sembla provenir des entrailles d�un volcan sulfureux, r�veill� � point nomm�, pour fertiliser une contr�e demeur�e longtemps st�rile. Elle s��levait, vers un ciel lav� � grande eau, comme le levain d�un pain de partage ou le feu de joie d�une f�te ancestrale, imm�moriale, exultante et exaltante, pouss�e par la gorge de centaines de milliers de Lazare ressuscit�s et purifi�s par une lumi�re verticale, r�demptrice, au sortir d�une gigantesque fosse commune, portant au-dessus de leur t�te transfigur�e, une for�t de drapeaux sous laquelle ployait toute la ville surprise par cette d�bauche de couleurs, hier encore, interdites. Il en venait de partout, de la Souika, du Bardo, de Aouinet-El-Foul, de Ouled Braham, du Hamma, de Sidi Mabrouk, de Mansourah et de plus loin encore, des Aur�s, de Chemora, d�Arris et Barika, des pi�monts d�El-Milia, de Taher, Grarem et Catinat, des massifs de Jijel, Jemmapes et Collo, des Hauts-Plateaux s�tifiens, de Canrobert et St-Arnaud, des Babors et des Bibans � Personne ne voulait rater ce rendez- vous avec soi-m�me, un autre soi-m�me, un nouveau soi-m�me qu�on devait rencontrer sur les plages inviol�es d�une Atlantide, depuis longtemps perdue de vue et que seuls les restes de manuscrits d�chir�s des anciens oumanas d�crivaient sous les traits d�un astre bienheureux � l�atmosph�re compos�e d��me, d�amour et de libert�. Son horizon �tait l�, � port�e de main, on pouvait le sentir, le palper, le savourer. Il avait pour nom l�Avenir. Ce fut, � ce moment-l� que du haut du balcon du Th��tre, s��leva, sem� aux quatre vents, Kassaman, �vad� de son ghetto clandestin, bient�t couvert par la clameur revenue sur la sc�ne, plus forte, scandant : �N�oubliez pas les martyrs ! N�oubliez pas les martyrs !� Presque au m�me moment, pr�s du tribunal o� fut jug� et condamn� El-Mokrani et des centaines d�insurg�s d�port�s � Cayenne, la foule, press�e par l�irr�sistible instinct de se d�barrasser des symboles et du mythe de l�invincibilit� de l�Autre, brisa, d�un coup sec, � mains nues, le coq gaulois, battant, orgueilleusement, des ailes, sur une ob�lisque de marbre et fit choir, une � une, tout au long de son ancien chemin de croix, les verrues de bronze des statues et des bustes de Lamorici�re et de Valle, de Perr�gaux et de Lamy, de Gambetta et de Cl�menceau qui se ramass�rent, � la pelle, comme des fruits blets, sentinelles dor�navant inutiles, remis�es au mus�e des objets perdus. Qu�il �tait grand ce peuple qu�on disait petit, qui pr�serva les statues de Moli�re et de Racine de l�Op�ra, de Pasteur et de la Vierge Marie perch�e sur le bord du pr�cipice de Ghar-Ettouba, � c�t� du Monument aux morts ! Quel triste sire avait dit de ce peuple que c�est le bendirqui le rassemble et le gourdin qui le disperse ? Dans sa volont� l�gitime de reprendre possession des pulsations du jour levant et de combler la vacuit� des lieux abandonn�s par l�autre, il restait admirablement lucide et savait faire la part des choses et s�parer le bon grain de l�ivraie, de son propre chef, sans avoir besoin d��tre orient� ou instruit autrement que par une conscience qu�il avait choisie, par-dessus tout humaine et universelle. Il inventait sa r�incarnation, un pas apr�s l�autre, entre vacillement et fermet�, r�occupant ses territoires, les terres du fruit d�fendu, rev�tu d�un costume de parade. Ah ! qu�il �tait bon de fouler d�un pas all�gre Bellevue, la Pyramide et St Jean, les rues Seguy Villevaleix et Rohault de Fleury, l�Avenue Liagre, les rues de France et Caraman jusqu�aux rues Grand et Thiers sans avoir � craindre les tirs des snipers de l�OAS ou de se faire lyncher par les nervis de jeune nation. Ah ! qu�il �tait bon d�arpenter les contr�es occup�es, il y avait quelques jours seulement, par les brutes de la L�gion �trang�res et du 1er REP qui chantaient sur l�esplanade de Bab-El- Oued, au son de leur fanfare, l�arrogant : �C�est nous les Africains qui venons de loin�, ou par les terroristes de la Main rouge, commer�ants le jour et tueurs de vieillards sans d�fense la nuit, ou encore par les tortionnaires de la Cit� qui offraient � leurs molosses affam�s les corps � demi-enterr�s des jeunes pousses cueillies au pied de leur lit, � l�heure du laitier. �N�oubliez pas les martyrs !� reprit la foule �-tue-t�te � l�adresse de moudjahidine en uniforme, le colt bien en vue, puis s��branla, comme un seul homme, d�un m�me mouvement, ob�issant � la main invisible d�un d�miurge qui lui indiquait la direction du cimeti�re central, l� o� �taient enterr�s les �nucl�es, les d�fenestr�s, les �chaul�s, les enfum�s, les d�membr�s, les guillotin�s, les victimes d�un m�ga-Guernica dont les auteurs avaient quitt� subrepticement, en cachette, les lieux de leurs crimes, sans en rendre compte, sans �tre jug�s et punis. C�est avec ce poids sur le c�ur que le peuple s�inclina devant la grandeur de ceux qui avaient pay� le prix fort de sa survie. Mama, mon a�eule, venue c�l�brer l��v�nement � la maison, nous r�galant de cr�pes au sucre d�orge et de galettes � l�eau de rose, r�pondant � la question de savoir comment cela fut rendu possible, eut ce mot d�une grande sagesse : �Dieu leur a band� les yeux ! Notre sort aurait �t� pire si la guerre avait continu�, une le�on magistrale de r�alisme pour le jusqu�au boutiste que j��tais. Je compris alors, de retour du cimeti�re vers la Br�che, le point nodal du ralliement, la raison d�une telle liesse. Les hommes et les femmes s��taient rendus compte que leur esp�rance de vie s��tait allong�e de plusieurs ann�es cosmiques, qu�ils pouvaient agir � leur guise, sans �tre oblig�s de donner d�explications sur le sens de leurs actes, qu�ils �taient propri�taires, �gaux en droits d�un h�ritage fabuleux, et eux qui s�appelaient fr�res et s�urs, si familiers des combats de Spartacus et de Bolivar, de C�saire, de Despetres et de Toussaint Louverture, de la Commune et de Dien Bien Phu, de la Sierra M�stra et de 1789, ils partaient pour la conqu�te d�un monde sans ma�tres ni esclaves. Et d�buta alors sans annonce ni introduction le festival le plus inimaginable qui fut, dirig� par un chef d�orchestre collectif retranch� derri�re les tr�teaux de Rahbat El-Djemal, divisant les rangs de la foule en centaines de farandoles d�hommes, de femmes et d�enfants chantant, dansant, battant des mains, tapant des pieds, formant au-dessus de la Grande Place, un halo de son et de lumi�re grandiose. Je ne pouvais distinguer les visages et les corps de ceux qui me croisaient � la vitesse de la lumi�re, adonn�s � un d�senvo�tement, � un exorcisme rendu n�cessaires apr�s plus d�un si�cle de d�possession de soi. Il y avait l� les femmes dont on n�aurait jamais, hier seulement, soup�onn� la pr�sence dans un lieu pareil. C�est � peine si je pus reconna�tre, entra�n�e par la folle sarabande, ma propre m�re que j�aper�us d�voil�e, prenant, en compagnie de mes tantes, de mes s�urs et de mes cadets, conscience d�une puissance, jusque l� insoup�onn�e, dont elle s�empara, le regard d�termin�, avec le bonheur des innocents combl�s. Une bouff�e jaillit de mon c�ur pour cette femme sublime de beaut� et de sinc�rit� qui ne sortait en ville que pour aller au bain, escort�e et recouverte, de pied en cap, de sa m�layanoire et de son long voile blanc qui ne laissait poindre � l�air libre que la pupille des yeux, juste de quoi pouvoir reconna�tre son chemin. Quel changement ! Quelle R�volution ! Et ces jeunes filles agglutin�es par dizaines aux camions, klaxonnant � tout-va, n��taient pas en reste. Habit�es d�une audace impr�vue, la poitrine turgescente, elles �taient pr�tes � en d�coudre avec le soleil auquel elles disputaient le rayonnement torride, satisfaites de ce que la R�publique fut proclam�e - � bonheur ! - moderne, fond�e sur l��galit� des chances et du m�rite. Je revois d�ici mon p�re, si r�serv� d�habitude, applaudir � tout rompe, le sourire en bandouli�re, heureux comme un enfant � qui on venait d�offrir la lampe d�Aladin et je l�entends m�annoncer, dans une br�ve �claircie du tumulte, que le nom des rues avait chang�, � l�instant m�me : l�avenue Liagre est devenue l�avenue Mostefa-Ben-Boula�d, la rue Georges Cl�menceau rue Larbi-Ben-M�Hidi, la rue Rohault de Fleury rue Abane- Ramdane� Incroyable ! Mais comme cela sonnait plus vrai, plus proche ! Ils sont tous venus. Ils sont tous l� ! Sid-Ahmed, le joueur de banjo en fer blanc, le po�te �bacchusien � qui �gayait nos journ�es de blues � Aouinet-El-Foul, entr� en hibernation depuis Mathusalem, se r�veillait lentement, dessillant les paupi�res lourdes pour plonger dans une autre ivresse, le sommet de l��bahissement devant cette soudaine richesse. Fatoum de Dar Boutma�ra, la SDF recueillie par mama, l�ann�e de la temp�te de neige, Akila la naine, l�ancienne domestique de l�institutrice de la rue Bienfait, tous les anciens parias, P�tit Ali, Guilloume, Sisb�ne, El-Hadja, Yamina �Matat�, Ribouh le feinteur, personne n�avait manqu� � l�appel. Mais que d�absents ! Que de disparus ! O� �taient Moussa, Mohamed, Dahmane, Ali, Messaoud, Kamel, Ly�s, Omar, M�riem, Reda, Mekki, les �cardinaux� du magasin, les fida�nes du bain-douche et de l��curie Benzahia ? Assassin�s, lapid�s, d�pec�s, enterr�s sans s�pulture ! Est-ce ainsi que les hommes vivent et que leurs t�tes, d�capit�es, au loin les suivent ? Leurs familles �plor�es avec, en t�te, Nouar, le p�re des guillotin�s, la barbe blanche port�e avec panache, tentaient de se donner une contenance, consol�s par Selim, un des anciens chefs de l�OS de la M�dina, lib�r�, il y a peu, de la prison de Barberousse d�Alger. Du haut de son militantisme initiatique montrant la route, lorsque les a�n�s n��taient qu�une poign�e � y croire, Salim, qui avait subjugu� mon enfance par ses discours de mentor au caf� El-Goufla, regardait ce fleuve lib�r�, aux eaux �tales, semblant poser son fusil � terre� peut-�tre pour toujours. Il avait vu la chienlit de la cinqui�me colonne pousser et �tendre ses ailes sur la ville, montrant les dents de la voracit�. Rong� par la maladie de l�enfermement, il avait les traits tir�s, las, mais encore lucide, r�fractaires � l�illusion du spectacle. Avait-il encore la force de mener d�autres combats, peut-�tre plus durs ? C��tait l�ann�e de la premi�re partie du bac. Sur l�esplanade, chez Bentchouala, nous nous �tions donn� rendez-vous, quelques jours plus tard, Zouaoui, Nono, Youcef, Malek � l�emplacement m�me des baraquements de la L�gion, remplac�s par les paillotes de glace et de cr�me, au comptoir desquelles des �Jacquot� des Iles reprenaient langue, d�une voie rauque, avec la �nakhoua� d�antan. Nous tirions des plans sur la com�te. Le monde nous appartenait, un monde sans fronti�res qui nous ouvrait les portes de l�universit� MPC, HEC, ponts et chauss�es, sciences po, m�decine, droit, prop�deutique� Qui l�eut cr� ? Les enfants de Sidi M�cid, sur lesquels personne n�aurait pari� un kopeck, l�ann�e des Am�ricains, volant plus haut que les aigles du Pont suspendu, la preuve palpable que le serment de la nuit du ph�nix n��tait pas qu�une vague promesse ! Alors que la f�te continuait, nuit et jour, � battre son plein au stade Turpin rebaptis� Benabdelmalek, le premier martyr de Novembre, sur les airs de la fantasia de Djebel Bouzegza et du Djorf aux batailles pass�es � la l�gende, chacun de nous arrivait � la bifurcation de son propre destin. Apr�s les retrouvailles, voici venu le temps des s�parations, des nouveaux d�parts, des amours � profusion, des larmes chaudes de ma m�re qui voulait, dans un dernier recours, me retenir, emp�cher le sevrage pour lequel elle avait pourtant tant travaill� sous la houlette de mon p�re dont le credo basique de la vie �tait la science et la libert�. Des bleus plein la m�moire, l��me et le c�ur, je partais au devant de l�inconnu pour participer � d�autres luttes, dans la trajectoire de ce 5 Juillet que j�esp�rais, de toutes mes forces, ne pas �tre le feu de paille que certaines appr�hensions, n�es un certain 19 Mars, m�avaient laiss� entrevoir. La d�sillusion, voil� le tra�tre mot que je ne voulais ni entendre ni rencontrer dans mon autre existence. Un mot qui devint, malheureusement, une r�alit� qui me rattrapa quelques mois plus tard. Mais cela fut une autre histoire� B. M. * Auteur de La Br�che et le Rempart (2009) et Les Miroirs aux Alouettes(2011), parus aux �ditions Chihab