Par Soufiane Djilali* ([email protected]). Les juges de la conf�d�ration helv�tique viennent de prendre une d�cision, celle de juger le g�n�ral Khaled Nezzar pour des faits s��tant d�roul�s en Alg�rie entre 1992 et 1994 et qualifi�s de crimes de guerre, voire contre l�humanit�. Cette d�cision risque d�avoir des r�percussions politiques graves dans le pays. En effet, d�s son annonce, les clivages, les passions, les sentiments vindicatifs et m�me de la haine, se sont r�veill�s de toute part et les cicatrices des immenses drames de la d�cennie du terrorisme se sont ouvertes � nouveau. En cherchant � apaiser leurs douloureux souvenirs, les uns et les autres vont devoir ouvrir encore une fois les ar�nes de combats pour que d�autres victimes, d�autres innocents paient � leur tour le tribut du sang au monstre insatiable des conflits de pouvoir et des guerres intestines. Au-del� de la recherche de la v�rit� et de la volont� de mettre en lumi�re les responsabilit�s de chacun, cette d�cision de la justice suisse vient juste de nous informer que l�Alg�rie n��tait pas encore vraiment un Etat souverain, qu�elle n�avait pas le droit d��crire sa propre histoire, bonne ou mauvaise, sans que la conscience occidentale ne s�interpose comme juge, qu�elle est encore colonisable car son peuple est inapte � la responsabilit�. Si le premier magistrat du pays n�est pas capable de mettre le hol� � une telle cabale judiciaire, le pays aura mis la main dans un engrenage fatal dans cette p�riode de �r�volutions arabes�. Gageons d�s lors, que des centaines, des milliers ou des dizaines de milliers d�Alg�riens se l�veront, eux aussi, demandant vengeance pour leurs milliers de morts, de handicap�s et d�orphelins qu�auront caus�s les hordes de terroristes ; et bien s�r, d�autres dizaines de milliers d�hommes et de femmes demanderont alors � leur tour des comptes au �pouvoir� pour les bavures, tortures et assassinats en tous genres ? A la v�rit�, durant cette d�cennie, c��tait une guerre, dramatique, sale, d�loyale et impitoyable qui avait failli emporter la nation. Il faut dire qu�il n�y avait pas d�Etat de droit, et m�me plus d�Etat, ou si peu ! Qui est le plus fautif, qui est le responsable de ces terribles �v�nements ? La politique populiste et autiste des gouvernants int�ress�s par le seul pouvoir depuis 1962 ? Le FLN ? Le socialisme ? Chadli ? Boudiaf ? Le HCE ? L�Etat ? L�arm�e ? Le FIS ? L�islamisme ? Le salafisme ? Les GIA ? L��go�sme monstrueux des hommes ? La b�tise incarn�e ? Les int�r�ts des puissances �trang�res ? L�Arabie saoudite ? L�Iran ? Le diable ? Dans les ann�es 1990, il fallait s�en sortir. Il fallait que la guerre fratricide s�arr�t�t. Pour beaucoup, dont je fus, malgr� une opposition franche et radicale au pouvoir en place, il fallait n�anmoins s�opposer au nihilisme et � la d�composition du pays en combattant la barbarie. Les circonstances de l�histoire avaient alors plac� le g�n�ral Khaled Nezzar au-devant de la sc�ne. Il a assum� une part du feu des responsabilit�s de la conduite de la lutte antiterroriste. Il y a eu des d�passements durant son commandement tout comme avant lui et apr�s lui. Comment instruire d�s lors le cas des dizaines de milliers de morts, victimes de massacres des deux c�t�s sachant tout de m�me qu�une partie poss�dait la l�gitimit� du monopole de la violence et que l�autre partie promettait la dictature th�ocratique une fois au pouvoir et le fil de l��p�e pour les r�calcitrants ? Il n�y a aucun doute que c�est d�abord par les armes que le terrorisme fut vaincu. La politique de la Rahma initi�e par le g�n�ral Zeroual puis continu�e par l�actuel pr�sident par la politique de la r�conciliation n�ont pas fait que des heureux. Pourtant, apr�s le combat fratricide �tait venu le moment de revenir � la raison. Les Alg�riens ont alors compris qu�il fallait oublier ces ann�es de larmes et de sang et confier leurs meurtrissures au temps et � la justice divine. Cela est tellement vrai, que les citoyens d�tournent pudiquement leurs yeux devant des terroristes repentis, revenus dans leurs demeures, les mains humides, les poches pleines, et les projets garantis. C��tait le prix � payer pour pr�server d�autres innocents, d�autres vies, d�autres sacrifices immondes aux d�mons de la �fitna� et de l�autodestruction. Le cas �ch�ant, la prison �tait l� pour punir les r�calcitrants : ceux qui avaient risqu� leur vie pour traquer la terreur ont �t� d�sarm�s et parfois humili�s. C��tait un prix exorbitant, mais il fallait �teindre l�incendie. Depuis lors, les principaux hommes qui ont eu � assumer la responsabilit� des ann�es 90 se sont retir�s. Zeroual est � la retraite et � sa suite, une s�rie de g�n�raux l�ont suivi, d�autres sont aupr�s de leur Juge Supr�me. Le pouvoir est tomb� entre d�autres mains, celles qui ont fait de notre pays un bazar de bric et de broc, un souk d�opportunisme et de corruption � ciel ouvert, une perversion innommable o� le vice semble avoir d�finitivement remplac� la vertu. Cette situation a fait que le citoyen n�a plus les moyens de faire la diff�rence entre l�Etat et le pouvoir, entre institutions et clans, entre la politique et le comportement de voyous en cravate. Les sentiments de frustrations, de m�fiance, de d�fiance et m�me de haine face � l�incurie des gouvernants et de tous ceux qui ont eu un rapport avec le pouvoir sont devenus le moteur essentiel dans la soci�t�. Chacun appelle � la vengeance. Le nihilisme absolu nous guette. La violence, l�insubordination, la r�bellion sont l�, tapis dans l�ombre, attendant la premi�re �tincelle pour prendre feu. Tout sera br�l�. Toutes les repr�sentations de l�Etat (du pouvoir ?), toutes les institutions (les clans ?), tous les centres de pouvoir seront annihil�s. Ne restera que la pr��minence de la force, de la pr�dation, de l�argent et des int�r�ts tiers. La politique du pouvoir actuel aura fait table rase de tout sentiment national, aura d�truit tout le capital symbolique du mythe fondateur de la nation. Ce pouvoir n�a-t-il pas tent� de brader nos hydrocarbures d�s 2005 ? Pour quel motif ? Qu�a-t-il fait de nos 200 milliards de dollars ? Ne les aurait-il pas parfois c�d�s pour mieux rester l� o� il est ? L�argent de la corruption coule � flots, les derni�res l�gislatives ont permis de sentir son odeur ! Pourquoi alors le dernier des quidams ne vendrait-il pas ce qu�il aurait sous la main au premier acheteur �tranger ? Du FLN il ne reste que des d�bris d�shonorants, de la r�volution de Novembre que des souvenirs path�tiques et des vampires sans �ge, du cinquantenaire de la lib�ration que quelques feux d�artifice. S�il faut vendre Nezzar pour acheter un printemps arabe du type libyen ou syrien, pourquoi pas ? N�y a-t-il pas chapelet de l�chet� ? Tr�ve de plaisanterie, le moment est plus redoutable que cela. Voil� qu�un pays �tranger institue sa propre justice en juge des acteurs d�une triste histoire alg�rienne. Derri�re Nezzar, se profile le jugement de l�ANP et pourquoi pas de Zeroual et donc de l�Etat alg�rien cette fois-ci ? La Suisse, pays des banques, va statuer, � travers quelques magistrats, sur l�histoire p�nible de notre nation. Elle �crira alors notre histoire pour nous. Elle nous dira qui est le m�chant et qui est le gentil. Pourtant, la Suisse, pays des droits de l�Homme aussi, ne se permettra pas de demander des comptes � G. Bush pour avoir d�truit l�Irak (sans autorisation du Conseil de s�curit�), l�Afghanistan, et d�autres pays encore, pour avoir institu� la torture l�galis�e � Abu Ghraib et � Guantanamo. Faut-il, encore une fois, se permettre de dire quelques mots sur les crimes contre l�humanit� d�Isra�l qui maintient un peuple dans le d�nuement complet, qui d�truit impun�ment une nation, qui emprisonne des enfants, qui maintient menott�es les femmes pendant leur accouchement, qui br�le les oliviers, qui tue partout dans le monde avec la complicit� directe des Etats dits d�mocratiques, qui se vante des faits d�armes � Sabra et Chatila et qui viole depuis 1948 toutes les r�solutions du Conseil de s�curit� des Nations unies. Ah ! Oui ! eux sont des hommes, nous autres, des justiciables. Peut-�tre que pour ces propos, je me verrai accus� d�antis�mitisme et serait � mon tour poursuivi partout o� la �loi� d�cide l�histoire !? La Belgique, l�Espagne, la Grande- Bretagne changent illico presto leurs l�gislations pour mettre � l�abri Bush, Rumsfeld, Sharon, Olmert, Natanyahu� de toute tentative d�accusation. Mais les Rwandais, quelques autres nationalit�s et bient�t nous les Alg�riens, il nous faudra � tous comprendre que nos peuples sont nuisibles, que nos Etats sont des jouets et que notre souverainet� est sous mandat ! Cette situation, nous la m�ritons, puisque nos gouvernants nous y ont conduits par leur gabegie, leur incurie et leur amour obstin� du pouvoir absolu. Parce qu�aussi, nous nous taisons. Le pr�sident de la R�publique n�a eu aucun mot. Qui se tait consent ! M�me hallucin�, Gueddafi avait fait reculer la pr�tention de ce m�me pays de juger l�un de ses enfants, bien que probablement fautif. La Suisse a alors baiss� les yeux et rendu les armes. Pour l�honneur et surtout pour notre avenir, il aurait certainement fallu que le g�n�ral Nezzar r�ponde � la demande de la justice suisse. Cependant, il lui aurait fallu le soutien ferme et inconditionnel de l�Etat et des Alg�riens soucieux de pr�server leur souverainet�. Le proc�s aurait pu �tre celui du terrorisme en Alg�rie, des Etats tiers qui l�ont soutenu et financ�, et des Etats qui, par la guerre et la puissance, au nom de l�int�r�t �go�ste, d�truisent des nations enti�res dans l�impunit� totale. Mais l�Alg�rie, affaiblie par une politique anachronique, mise au service des personnes et non de la nation, risque de nous offrir, comme � l��poque du coup de l��ventail du dey Hussein, un sc�nario tragi-comique qui finira bien mal ! S. D.