Par Ali El Hadj Tahar [email protected] Partout, le Turc Tayyip Erdogan, chef du Parti de la justice et du d�veloppement (AKP), esp�re un retour sur investissement au sein de l�Union europ�enne, au sein de l�OTAN et dans le c�ur des Arabes, pour ses actions de sape dans le cadre des �printemps� foment�s par le Qatar et l�Arabie Saoudite� Les �Printemps arabes� sont des op�rations Baie des cochons hyper-sophistiqu�es avec plusieurs commandements, d�cideurs, op�rateurs et suppl�tifs. Mais malgr� ses services rendus � l�Occident, la Turquie ne cesse de susciter irritation, col�re ou inqui�tudes : sur quel pied danser avec ces n�o-ottomans sp�cialistes de la danse des derviches tourneurs qui donnent le tournis ? L�islamisme � la turque propos� par Erdogan comme une alternative � la formule excessive et radicale du salafisme saoudien est s�duisante pour un Occident qui ne cherche que de nouveaux valets, avec ou sans barbe. Si la Turquie suscite des suspicions, c�est parce qu�elle n�a pas encore clarifi� sa situation avec Isra�l suite � l�affaire des Turcs assassin�s lors du raid isra�lien contre la flottille pour Ghaza, fin mai 2010. Ankara se la joue s�v�re en multipliant les sorties et les coups de gueule contre l�entit� sioniste, mais elle n�a r�ussi � convaincre que les chefs de partis arabes, pas les masses qui, elles, sont allergiques � l�Etat h�breu. M�me les salafistes font d�Isra�l un ennemi bien qu�ils ne l�aient jamais combattu, pr�f�rant assassiner leurs propres coreligionnaires, comme le font Al Qa�da, Aqmi et d�autres hordes criminelles qui prennent pour cibles tous les peuples musulmans sans exception et faisant des millions de victimes, si l�on ne compte que depuis l�Afghanistan. A qui profite le terrorisme islamiste si ce n�est aux ennemis des musulmans ? Excessive, la diplomatie turque multiplie les d�clarations contre Isra�l, fragilisant sans cesse sa position au sein de l�OTAN et des autres organisations mondiales, qui en p�tiraient certainement en cas de rupture des relations diplomatiques entre les deux pays, ce qui est une hypoth�se quasi impossible. Mais les citoyens turcs ne sont pas dupes : voyant la d�rive belliciste de leur pays, ils ont manifest� contre la rampe antimissile de l�OTAN install�e en Turquie en septembre dernier avec pour but de prot�ger l�Europe et Isra�l d�une �attaque� iranienne. Pour sauver Erdogan d�une opposition de plus en plus critique � son �gard, les Etats- Unis ont conc�d� � garantir les �donn�es du syst�me de d�fense antimissile et d��viter toute fuite de ces informations en Isra�l�. Mais ils ne tol�reraient pas encore tr�s longtemps la brouille entre Turcs et Isra�liens, selon le journal turc Zaman. D�ailleurs, l�administration Obama a exprim� son insatisfaction devant la discrimination exerc�e par la Turquie contre Isra�l dans des activit�s partenariales dans le cadre de la mission OTAN-M�diterran�e qui a eu lieu r�cemment. Le sous-secr�taire d'Etat pour les affaires europ�ennes et eurasiennes, Philip H. Gordon, a s�v�rement signifi� le refus �tasunien de voir Ankara bouder les d�cisions de l�Alliance : �Si un alli� va bloquer le partenariat avec un pays, alors les Etats-Unis n'accepteront pas ce partenariat (avec cet alli�)�. Tr�s clair : la porte de sortie de l�OTAN est brandie � tout rebelle dans les rangs. Pas d�indiscipline dans la caserne atlantique ! Avant d�aller bombarder en Palestine, les avions isra�liens reviendront-ils s�entra�ner dans le ciel turc ? Les Irakiens, qui savent la solidit� de l�alliance d�Ankara avec Tel-Aviv et Washington pour en avoir p�ti durant l�invasion de leur pays en 2003, ne sont pas preneurs de l�islamisme ottoman. D�ailleurs, la tradition islamique est puissante dans l�ancienne dynastie abbasside qui a donn� son prestige � l�Islam, sur les plans scientifique, artistique, culturel et religieux. La fiert� des Irakiens et la conscience de leur h�ritage leur interdit d�importer des doctrines. Les groupes salafistes, qui y font des d�g�ts, sont surtout compos�s d��trangers. Selon le quotidien progouvernemental turc, Yeni Safak, le Premier ministre irakien Nouri Al-Maliki aurait r�cemment accus� la Turquie de �vouloir cr�er un climat de trouble confessionnel dans la r�gion, tout en mettant en garde que c�est la Turquie, elle-m�me, qui sera la plus affect�e, (�) vu sa composition confessionnelle et ethnique qui n�est pas diff�rente de la n�tre�. Nouri Al-Maliki aurait mis en garde Ankara contre �l�ing�rence turque dans les affaires internes irakiennes, et ses r�percussions catastrophiques sur la Turquie et la r�gion, dont entre autres celle d�entra�ner (la r�gion) vers une guerre religieuse�, ing�rences qui donnent �l�impression que la Turquie cherche � imposer son h�g�monie sur l�Irak, ce qui suscite la pr�occupation�. Certes, entre Ankara et Baghdad, les relations commerciales sont bonnes avec 7 milliards 400 millions de dollars d��changes en 2009, et souhait�s par les Turcs � un objectif de 12 milliards de dollars pour 2011. Par contre, les relations diplomatiques ne sont pas tr�s chaudes car pour Baghdad, �la Turquie est d�sormais dans un autre axe�. La question qui f�che l�Irak est la vell�it� turque de d�stabiliser la Syrie et d�y cr�er le chaos en aidant une opposition arm�e compos�e essentiellement de terroristes islamistes. En outre, l�Irak tient encore rancune � Ankara pour les bombardements du Kurdistan irakien en 2010, qui ont fait de nombreux morts, sous pr�texte de mater l�opposition affili�e au PKK turc. Il y a �galement la guerre de l�eau entre les deux pays : le d�bit de l�Euphrate se r�duit en permanence � cause des barrages construits en amont par la Turquie depuis 30 ans, en vue d'irriguer ses terres agricoles. Le Tigre et l�Euphrate, les deux grands fleuves du Moyen-Orient et leurs affluents, prennent naissance en Anatolie orientale et dans les montagnes du Zagros avant de se d�verser en M�sopotamie, en Syrie, puis en Irak. Les barrages turcs ont r�duit le d�bit de l'Euphrate � 230 m3/seconde quand il entre en Irak, alors qu'il �tait de 950 m3/s en 2000. Cette guerre de l�eau impose � la Syrie et � l�Irak de sages concessions, mais pas au point de se laisser imposer un islamisme turc m�me mod�r�. Il y a aussi entre l�Irak et la Turquie l�affaire du vice-pr�sident irakien en fuite, Tarik Al- Hachemi, qui sera jug� par contumace par un tribunal irakien et qui se trouve actuellement en Turquie. Tarik Al-Hachemi est accus� d�implication dans des op�rations terroristes. L�islamisme turc ne risque pas de faire des �mules en Irak d�autant que beaucoup d�Irakiens ne pardonneraient pas � Ankara d�avoir fait partie de la coalition qui a �vinc� Saddam, mis le pays � feu et � sang, caus� la mort de plus d�un million de personnes, d�truit des infrastructures, r�duit � la mis�re et � l�ignorance des millions des gens, caus� de graves probl�mes de sant�... L�Irak, qui offrait �ducation, sant�, travail et s�curit� pour tous, se d�bat actuellement dans des probl�mes de sous-d�veloppement et d�ins�curit� qui n�cessitent des ann�es pour se r�sorber. Autrefois ennemi d�Isra�l, l�Irak affaibli ne fait plus de la Palestine sa priorit� ; la cause sacr�e des Arabes �tant d�sormais laiss�e aux n�ophytes qui s�improvisent sur la sc�ne d�un Moyen-Orient qu�ils sont charg�s de d�truire. Le seul ennemi d�Isra�l, la Syrie, est d�stabilis� et en passe d��tre cass� par la Turquie� De l�agit-prop sur le terrain des ayatollahs ! Avec l�Iran, la situation est tout aussi compliqu�e et ce n�est pas en terre chiite que l�islamisme de l�AKP risque de s�implanter. L�Iran a une longueur d�avance dans le domaine sensible et strat�gique du nucl�aire, un domaine qui assure un d�veloppement complet et sans d�pendance, d�o� le rapprochement avec T�h�ran dans le cadre d�un trait� tripartite (Iran-Br�sil-Turquie) le 17 mai 2011. �Dans le cadre de cet accord, la Turquie sera le lieu pour stocker l'uranium faiblement enrichi iranien�, selon le porte-parole du minist�re iranien des Affaires �trang�res qui a ajout� que l�Iran enverrait � la Turquie 1 200 kg de son uranium enrichi � 3,5% dans le cadre d'un �change pour obtenir du combustible hautement enrichi pour son r�acteur de recherche nucl�aire de T�h�ran. Cependant, le dossier syrien f�che les autorit�s iraniennes qui voient en l�ing�rence turque une atteinte � la s�curit� d�un Etat voisin et � la stabilit� de la r�gion, comme ils y voient un renforcement de la puissance de l�entit� sioniste. D�ailleurs, en novembre 2011, le g�n�ral-major Yahya Rahim-Safavi, conseiller militaire du guide supr�me, Ali Khamenei, a dit : �Le comportement des dirigeants turcs envers la Syrie et l'Iran n'�tait pas correct et servait les objectifs des Etats- Unis.� Le g�n�ral-major a ajout� : �Si la Turquie ne se d�partit pas de cette attitude politique �non conventionnelle�, elle va non seulement s'ali�ner ses propres citoyens, mais aussi pousser les pays environnants, notamment la Syrie, l'Irak et l'Iran, � reconsid�rer la nature de leurs liens politiques avec elle.� Depuis 2001, le commerce bilat�ral entre la Turquie et l�Iran n'a cess� de cro�tre : 7,7 milliards d'euros en 2011. La question kurde est bien �ma�tris�e� dans les deux pays : avec la museli�re pour la communaut� qui repr�sente 13 � 15 millions en Turquie et entre 5 et 6 millions en Iran. Ce n�est pas le pros�lytisme turc qui risquerait d�inqui�ter un Iran chiite o� la religion n��chappe pas � un clerg� hi�rarchis� et o� ne se dit pas imam, hodjatollah ou ayatollah qui veut ! La Turquie n�est ni amie ni ennemie, mais l�Iran se m�fie de l�Etat qui a accept� sur son sol la rampe d�antimissiles de l�OTAN qui le vise directement. La Turquie abrite des bases am�ricaines � Incirlik, Izmir et Ankara, et susceptibles un jour de devenir bellicistes, malgr� les assurances turques. En tout cas, dans cette phase de vaches maigres o� les amis lui sont compt�s, T�h�ran n�a pas d�autre choix que d�accepter la main tendue d�Ankara, faute de pouvoir la mordre� Car Erdogan vient m�me faire de l�agit-prop sur son terrain en s�appropriant d�sormais un langage antisioniste, qui sonne en tout cas plus sinc�re dans la bouche des ayatollahs ! Comme il vient la concurrencer � travers le monde en mati�re de pros�lytisme religieux avec les milliards de la fondation Fethullah G�len(1). Grand man�uvrier, Erdogan s�emp�tre cependant dans des contradictions qui risquent de se transformer en tensions ou en conflits, ce qui, en tout cas, donne l�image d�une diplomatie press�e, versatile, opportuniste qui ne sait pas garder ses alli�s ni ne table sur le long terme. C�est apparemment le trait de caract�re de tous les islamistes, qui veulent tout avoir du premier coup et qui se trahissent d�s lors qu�il faut voir loin. La prospective, la science de la politique par excellence, leur manque. La premi�re �quation qui se pose donc pour la Turquie est : peut-on �tre l�ami d�Isra�l et des Arabes en m�me temps ? Ankara a beau faire l��quilibriste, un jour ou l�autre, elle sera oblig�e de choisir entre Isra�l et les Arabes ; d�o� le peu de cr�dit accord� � ceux qui dansent sur deux musiques en m�me temps. La Turquie se fait de moins en moins d�amis mais elle a un bon copain, les Etat- Unis, qui, en contrepartie de toutes les missions allou�es � Ankara, lui assure son engagement ferme � l�aider �� combattre le PKK partout ailleurs�, selon le c�ble 06ANKARA331 dat� du 30 janvier 2006 et cit� par Pierre Villard, pr�sident du Mouvement de la paix fran�ais. Ankara ne peut sacrifier ce soutien, en somme, une v�ritable complaisance �tasunienne vis-�-vis des graves atteintes aux droits de l�homme en Turquie, atteintes qui visent tous les opposants et les Kurdes en premier. Mais si Ankara, l�enfant g�t� de l�Oncle Sam, peut encore tout se permettre, faire du pros�lytisme � la G�len m�me dans les Etats les plus conservateurs d�Am�rique, renverser les r�les en sa faveur sur la question palestinienne ou traiter avec l�Iran sur la question du nucl�aire, c�est parce qu�elle rend des services pr�cieux aux Etats-Unis. Il y a une chose qui lui est cependant refus�e : faire trop longtemps la gueule � Tel-Aviv ! La Turquie a pour concurrents six g�ants avec qui elle entretient des relations mitig�es, de concurrence parfois frontale : Iran, Isra�l, Arabie Saoudite, Syrie, Irak et Egypte. A chacun d�eux, Ankara trouve une parade sans rompre les liens diplomatiques, sauf avec la Syrie � qui elle est oppos�e dans une crise tr�s grave. Cela tient encore � un fil. Mais qu�adviendrait-il au cas o� la r�gion du Moyen-Orient viendrait � subir une crise plus g�n�ralis�e, autour de la question syrienne, iranienne ou palestinienne ? La Turquie a pris le risque d�accueillir sur son sol des centaines, sinon des milliers de mercenaires et de terroristes islamistes qui, un jour, risquent de se retourner contre elle, pour une raison ou une autre, car on ne donne pas impun�ment asile � des chiens enrag�s qui, aujourd�hui, font des carnages en Syrie. Le Liban qui les a accueillis sur son sol est en train de payer le prix avec des affrontements de rue entre pro-Bachar Al-Assad et anti-Al- Assad. Un conflit avec la Syrie risque de mettre � l�eau tout ce qu�a construit Erdogan sur le plan interne. Les prochaines �lections l�gislatives sont pr�vues pour 2015 et il n�est pas dit que l�AKP en sortirait vainqueur, essentiellement � cause de sa diplomatie qui donne des sueurs froides aux Turcs, mais aussi de pr�occupantes questions de droits de l�homme qui touchent essentiellement les Kurdes et l�opposition. Ce dont les droits-de-l�hommistes occidentaux ne se soucient gu�re� A. E. T.