Turques et Syriens font cause commune face aux Kurdes. La décision a été annoncée à l'issue de la visite de Bachar El-Assad en Turquie. Ce n'est pas dit clairement, mais c'est ce qu'il faut lire dans la mise en garde conjointe adressée par les deux pays “contre toute atteinte à l'unité territoriale” de leur voisin irakien. Les Kurdes d'Irak, qui ne veulent être mangés à aucune sauce islamiste, ni celle des chiites et, encore moins, celle des sunnites, ruent dans les brancards pour établir un Irak fédéral et récupérer les champs pétrolifères de Mossoul. Cette perspective inquiète au plus au moins Damas et Ankara qui chevauchent, avec l'Irak et l'Iran, cette aire géoculturelle, qu'est le Kurdistan. Les pouvoirs syrien et turc ont toujours eu à faire avec leurs Kurdes. Ankara n'a pas hésité à faire violence à sa laïcité en donnant naissance à un groupuscule islamiste (hezbollah), pour essayer de contrer les velléités autonomistes de ses Kurdes. Les attentats terroristes qui ont frappé Istanbul portent la signature de ces groupuscules que l'armée et les services turcs avaient utilisé comme de véritables escadrons de la mort contre le PKK. Damas, moins peuplé de Kurdes, a ajouté plus finement en soutenant la rébellion des Kurdes turcs. Pour donner le change à ses propres kurdes et, dans le même temps, déstabiliser son voisin (la deuxième force de l'Otan), qui a toujours été l'allié des Etats-Unis et d'Israël dans la région. Ankara avait menacé en 1998 de recourir à la force, exigeant de Damas la suspension de ses immixtions et la livraison du chef du PKK. La crise n'a été désamorcée qu'avec l'expulsion d'Ocalan, aujourd'hui emprisonné en Turquie. Depuis lors, découvrant des points de convergences, notamment au plan sécuritaire, les deux voisins cessent de se regarder en chiens de faïence. En décembre dernier, les autorités des deux pays ont signé un accord de lutte commune contre le terrorisme, quelques jours après l'extradition par Damas de 22 suspects recherchés par Ankara dans le cadre de l'enquête sur les attentats qui avaient visé une synagogue et le consulat britannique dans la vitrine du pays, Istanbul. De ce fait, c'est la seconde guerre contre l'Irak qui rapprochent Damas d'Ankara. Isolé, Assad vit sous la menace permanente des Américains. Erdogan, lui aussi, est perpétuellement en sursis. Arrivé au pouvoir par la voie de l'Akp, un parti islamiste, il doit calmer les ardeurs de son électorat, tout en se gardant de susciter la moindre colère au sein du triptyque républicain turc : l'armée, l'administration et la justice. La visite d'Assad donne à Erdogan l'occasion de montrer qu'il n'est pas seulement l'allié des Américains et des Israéliens et que son forcing pour entrer dans l'UE ne le coupe pas pour autant de ses voisins arabes. Damas, selon les commentaires de la presse turque, ne verrait pas d'un mauvais œil une intercession turque auprès des Israéliens, en prévision d'un dialogue. Assad, dont le Golan est sérieusement menacé d'annexion, cherche à relancer les négociations de paix avec Israël. Il a rencontré également durant son séjour turc le chef d'état-major de l'armée turque, le général Hilmi Ozkok.Satisfait, Erdogan pense que la Turquie — grâce à sanormalisation avec la Syrie — pourrait même être appelée à jouer “un rôle entre le monde arabe, les Etats-Unis, l'Europe et Israël”. Cela dit, Assad et Erdogan ont évacué, lors de leurs rencontres, les sujets de fâcheries ainsi que les points de litige qui séparent Damas d'Ankara, dont le partage des eaux de l'Euphrate et la souveraineté turque sur la province de Hatay dans le nord syrien. D. B.