Par le Dr Ahmed Benbitour Septembre 2012 L�Alg�rie traverse aujourd�hui une situation difficile et paradoxale. Ses fondamentaux n�ont jamais �t� aussi favorables : des richesses mini�res et agricoles abondantes, une d�mographie ma�tris�e, une masse de cadres de niveau tr�s appr�ciable pour un pays de taille interm�diaire, une infrastructure qui couvre tout le territoire pour enclencher rapidement un v�ritable processus de d�veloppement, une population qui est largement revenue des vertiges id�ologiques qui ont fait perdre beaucoup de temps au pays. Toutefois, les ressources en hydrocarbures n�cessitent une r�vision du mode de leur exploitation. Je souhaite, aujourd�hui, demander � mes compatriotes d�initier un d�bat responsable et lucide. Je les invite, tous, et o� qu�ils soient, en Alg�rie et � l��tranger, � commencer � relever ensemble d�s 2012 les huit d�fis auxquels l�Alg�rie est confront�e, afin de reprendre le chemin du d�veloppement ; des d�fis de nature politique, �conomique et sociale, culturelle, s�curitaire, de gouvernance, morale, de mobilisation des �lites, d�insertion dans un monde de plus en plus globalis�. La probl�matique de la perspective de financement des activit�s de l�Etat se pose avec acuit� aujourd�hui, au regard de l��volution inqui�tante des param�tres d�exploitation des hydrocarbures durant la derni�re d�cennie et du laxisme dans la gestion budg�taire. Les r�serves de p�trole restantes ont enregistr� une baisse de -7,4% entre 2001 et 2011. Pour le gaz, la baisse des r�serves restantes a �t� de -35% sur la m�me p�riode. La production de p�trole a enregistr� un pic en 2006 pour amorcer une baisse continuelle ; se situant � -17% entre 2006 et 2010. Pour le gaz, le pic de production a �t� enregistr� en 2004, suivi d�une baisse de -8% entre 2004 et 2010. Face � cela, la consommation interne de p�trole a enregistr� une augmentation de 77%, entre 2001 et 2011. Pour le gaz, l�augmentation est de 36,5% sur la m�me p�riode. Les importations de biens (marchandises) sont pass�es de 9,48 milliards US $ en 2001 � 45,10 milliards US$ en 2011, soit une augmentation de 475%, pr�s de 5 fois plus. Celles des services sont pass�es de 2,44 milliards US $ � 12,30 milliards US $ sur la m�me p�riode, soit une augmentation de 500%, 5 fois plus ! Les hydrocarbures �tant une ressource naturelle non renouvelable, la fiscalit� p�troli�re tir�e de leur exportation devrait �tre �pargn�e pour financer les investissements dans le cadre d�une politique rigoureuse et efficace de transformation du capital naturel non renouvelable (les hydrocarbures) en capital humain g�n�rateur de flux de revenus stables et durables (investissements dans les ressources humaines : �ducation, sant�, savoir, comp�tences �). Effectivement, cette r�gle d�or, de ne jamais utiliser la fiscalit� p�troli�re pour financer le budget de fonctionnement, �tait respect�e durant les ann�es 1970. De 1969 � 1978, les recettes budg�taires totales, hors fiscalit� p�troli�re, se sont �lev�es � 97 milliards de dinars ; alors que les d�penses de fonctionnement ont �t� de 71 milliards de dinars, d�gageant ainsi une �pargne budg�taire sans la fiscalit� p�troli�re. Malheureusement, un inqui�tant d�rapage a �t� enregistr� ces derni�res ann�es, puisqu�une partie non n�gligeable de la fiscalit� p�troli�re (68% en 2011) va au financement du budget de fonctionnement. En effet, les recettes ordinaires n�ont couvert que 50% des d�penses de fonctionnement en 2009. Ce taux de couverture s�est aggrav� puisqu�il s�est limit� � 48% en 2010 et 36% en 2011 ; donc 64% du budget de fonctionnement est couvert par la fiscalit� p�troli�re. Sur trois fonctionnaires employ�s par l�Etat, deux sont pay�s sur la fiscalit� p�troli�re ! Sur chaque �quivalent de baril de p�trole export�, 28,5 US $ en 2009 ; 38 US $ en 2010 et 70 US $ en 2011, sont partis vers le budget de fonctionnement. Cela signifie qu�au niveau actuel du volume d�exportations, si le prix du baril descend � moins de 70 US $, il ne restera plus un seul dinar de recettes pour financer le budget d��quipement ! Pour faire face au danger imminent de d�ficits structurels intenables, il faut travailler � la r�alisation des trois hypoth�ses suivantes : - Parier sur un prix de baril sup�rieur � 115 US $, celui qui �tait n�cessaire pour financer la totalit� du budget de l�Etat en 2011 ; - Maintenir les d�penses budg�taires � un niveau acceptable, � savoir appliquer une aust�rit� budg�taire ; - Maintenir les exportations d�hydrocarbures � un niveau au moins �gal � celui r�alis� en 2011. En ce qui concerne le prix du baril, beaucoup de facteurs poussent vers l�incertitude dans les march�s de l��nergie, � court terme : - la mont�e de la consommation dans les pays �mergents, - la n�cessaire r�duction de l��manation du dioxyde de carbone dans l�atmosph�re, - les crises de l�endettement dans les pays de la zone euro, - ce qui est appel� �le Printemps arabe� dans la r�gion du Moyen-Orient et de l�Afrique du Nord, - la capacit� d�autosuffisance en gaz aux Etats-Unis, gr�ce � la production de gaz non-conventionnel. Malgr� cette incertitude sur le court terme, les prix se situeront autour de 100 US $/baril en valeur r�elle ; m�me si des fluctuations importantes sont enregistr�es. Le prix moyen a �t� de 38 US $ entre 1990 et 2011 ; passant par des niveaux diff�renti�s, 147 US$ � mi-2008 et 35 US $ en d�cembre de la m�me ann�e. En 2011, il a fluctu� entre 75 US $ et 125 US $. Il appara�t tr�s risqu� de parier sur un baril � 115 US $. En ce qui concerne l�aust�rit� budg�taire, le budget de fonctionnement a enregistr� des augmentations tr�s fortes, 50% de plus en 2011 par rapport � 2010. Cela a �t� justifi� par le volume important des rappels. Plusieurs facteurs poussent vers le pessimisme quant � la capacit� de l�ex�cutif � maintenir le budget de fonctionnement � son niveau actuel. La nature des d�penses r�alis�es dans le budget d��quipement entra�nera une augmentation importante des d�penses r�currentes pour le fonctionnement et la maintenance des �quipements nouveaux. La qualit� d�cevante des services sociaux (sant�, �ducation, services � la population�) ainsi que le niveau faible de fourniture des moyens de services dans l�administration n�cessiteront des augmentations importantes du budget de fonctionnement. La faiblesse de la capacit� r�galienne de l�administration face aux manifestations diverses des fonctionnaires et des populations d�munies poussera � l�augmentation des salaires et autres transferts. D�o� la difficult� d�envisager des baisses sensibles dans le budget de fonctionnement. En ce qui concerne le niveau d�exportation des hydrocarbures et si la tendance enregistr�e ces derni�res ann�es dans la baisse de production et l�accroissement de la demande interne se poursuit, le pays enregistrera une baisse tr�s forte des exportations d�hydrocarbures � l�horizon 2018-2020. A cet horizon, la baisse probable de production de p�trole se situera � 30% et la demande interne augmentera de 75%. Pour le gaz, la baisse de la production serait de 10% et l�augmentation de la demande interne de 35%. D�o� la forte probabilit� d�une baisse importante de la capacit� d�exportation et ce faisant une baisse sensible des recettes budg�taires � l�horizon 2018-2020, dans moins de dix ans ! Il faut rappeler que lorsque la production de p�trole �tait tomb�e de 54 millions de tonnes en 1978 � 31 millions de tonnes en 1982, il s�en est suivi, avec la baisse du prix du baril en 1986, les �v�nements douloureux qu�a connus l�Alg�rie pendant plus d�une d�cennie. Il reste les possibilit�s d�utilisation des schistes bitumineux, mais ceci, dans une perspective � plus long terme, avec des investissements importants face � une raret� des recettes d�un c�t� et les probl�mes de disponibilit� des quantit�s d�eau n�cessaires � cet effet ainsi que la technologie � ma�triser, de l�autre. Vous l�aurez compris, face � ces d�fis, l�urgence d�une prise de conscience collective de la n�cessit� du changement du syst�me de gouvernance s�impose comme le fil conducteur et le point de d�part de notre redressement. Et toute la strat�gie consistera � sortir la rente de sa situation actuelle, au service de la corruption et de la pr�bende, pour la mettre au service du d�veloppement et de la protection pour la p�riode n�cessaire au redressement du pays. Le sentier de la d�liquescence de l�Etat est pr�visible et m�me visible. Il suit celui de l�amenuisement de la rente et l�augmentation de l�app�tit des pr�dateurs. L�amenuisement de la rente est inscrit dans la politique aventureuse d�exploitation des hydrocarbures. Le chemin de l�augmentation de l�app�tit des pr�dateurs suit celui de la corruption. Mais la rente se r�tr�cira lorsqu�il ne sera plus possible d�exporter assez de p�trole et de gaz pour la nourrir. Le pays persistera, alors, dans la situation de non-gouvernance avec la forte probabilit� de vivre en m�me temps la violence sociale, le banditisme et la violence terroriste. Pour faire face aux huit d�fis, dans un contexte marqu� par la baisse importante des capacit�s d�exportation d�hydrocarbures et de baisse sensible des recettes budg�taires, il faut que l�Alg�rie mette d�urgence en place un syst�me de gouvernance dans lequel les citoyens puissent s�exprimer et sanctionner, c'est-�-dire o� les citoyens ont les moyens d�exiger des comptes de la part de leurs gouvernants et d�en recevoir effectivement. C�est toute la dimension du d�bat responsable et lucide auquel j�appelle par cette contribution. Je m�adresse aux citoyennes et citoyens jeunes et �g�s, en Alg�rie et � l��tranger, mais aussi aux �tudiants et universitaires, aux travailleurs des secteurs public et priv� et aux syndicalistes, aux fellahs, aux responsables des associations de la soci�t� civile, aux gens des m�dias, aux hommes d�affaires nationaux. Tous ceux qui ont � c�ur de sauver l�Alg�rie doivent se mobiliser dans ce d�bat crucial pour l�avenir imm�diat de l�Alg�rie. Pour que ce d�bat aboutisse � des solutions, il faut l�organiser. Il faut mobiliser ; � titre individuel mais surtout en groupes au niveau local, tous les moyens de communication qu�offrent les r�seaux sociaux, sans n�gliger les discussions directes. Il faut cr�er des blogs d�di�s � ce sujet. Par exemple, le lancement de cercles de d�bats sur l�avenir de l�Alg�rie peut offrir un instrument efficace de communication. L�Alg�rie n�a plus de temps � perdre.