Un compromis, mi-figue mi-raisin, a permis d'éviter la rupture entre les Américains et le reste du monde au plus grand sommet jamais organisé par l'ONU. Très attendue par les 23.000 participants au sommet mondial sur la société de l'information qui se tient depuis hier au Palais des expositions de Kram, à Tunis, l'intervention du secrétaire général de l'ONU a fait baisser la tension, en apportant la preuve qu'un compromis de dernière minute a été trouvé entre les Etats-Unis et le reste du monde sur la supervision de la Toile. M. Kofi Annan a en effet déclaré que l'ONU ne souhaite pas prendre le contrôle de l'Internet, mais que le but commun était de le protéger et de le consolider pour que tous puissent en bénéficier, en demandant à la communauté internationale de se mobiliser pour mettre les nouvelles technologies de la communication au service des pays pauvres. Deux points essentiels auront dominé les débats des représentants des 170 pays présents à Tunis avant l'ouverture du sommet : la gouvernance d'Internet d'un côté, et la résorption de la fracture numérique entre pays riches et pays pauvres de l'autre. Concernant le premier point, il y a tout lieu de remarquer qu'un accord sur une évolution de la gestion de l'Internet est intervenu in extremis, mardi, évitant une rupture entre les Etats-Unis et le reste du monde, au terme de trois journées d'intenses discussions dans la capitale tunisienne. Le compromis en question prévoit la création d'un forum international, destiné à discuter des questions relatives au statut actuel de l'Internet Corporation for assigned names and numbers (Icann), la société californienne chargée d'attribuer les noms de domaine tels que .com, .org, .fr, ou .che. Alors qu'une grande majorité de participants auraient souhaité imposer une structure internationale au-dessus de l'Icann, qui est actuellement chapeautée par l'administration américaine, il semble qu'une telle évolution ait été évitée du fait de la pression des Etats-Unis, berceau historique de la Toile, et dont le principal négociateur, David Gros, s'est félicité de voir le rôle du secteur privé reconnu dans l'accord parrainé par la communauté internationale. Pour l'heure, ce sont les Européens qui crient victoire, estimant que ce compromis est proche de leur position initiale, telle que défendue par la présidence britannique. «Le pire a été évité mais le meilleur n'est pas garanti pour l'avenir», a estimé le Français Bernard Benhamou, maître de conférences à Sciences Po. «On n'a pas fermé la porte à l'essentiel: la coopération internationale pour la gouvernance d'Internet». Le forum en question sera convoqué par le secrétaire général de l'ONU, Kofi Annan pour le premier semestre 2006, en Grèce (Athènes). Les arguments de Washington sont pourtant imparables. Pour le secrétaire d'état adjoint au Commerce, Michael Callaghan, la position américaine visait à défendre «la sécurité et la stabilité». Cette position est défendue par l'association française Reporters sans frontières, pour qui la position actuelle est préférable à la mise de la Toile sous la coupe de pays dictatoriaux, et qui censurent la cyber-dissidence. «Le désir d'internationaliser ou d'instaurer une supervision gouvernementale sur la gestion des noms de domaine est une idée malvenue et reviendrait à ralentir le souffle extraordinaire de l'innovation auquel nous assistons», avait déclaré Michael Callaghan. Le deuxième point des débats a trait, comme on l'a dit, à la fracture numérique, amenant les participants aux travaux du sommet à envisager de connecter tous les villages du monde à l'Internet en 2015. On estime que l'opération en faveur de 800.000 villages du monde encore coupés de la Toile reviendrait à un milliard de dollars, soit 1% de l'investissement annuel mondial dans la téléphonie mobile, selon M.Utsumi, président de l'Union inernationale des télécommunications (UIT). «Ce montant est à tout à fait à notre portée» a-t-il estimé. Entre la nécessité de sauvegarder le caractère universel de la toile, en évitant son éclatement en plusieurs réseaux régionaux, et celle de permettre aux pays pauvres d'avoir accès à Internet, la communauté internationale cherche les meilleurs voies qui permettront d'aboutir à ces résultats. Le pari consiste en quelque en sorte à ménager la chèvre et le chou, le jeu en vaut la chandelle.