Du haut de l'esplanade d'un caf� maure de la Basse Casbah, encombr� de souvenirs enracin�s, en sirotant le fameux th� � la menthe fra�che agr�ment� de pignons doux, nous contemplons El Djaza�r el Mahroussa, fille l�gitime d'Ikosim et anc�tre spirituel d'Alger, offrant � notre regard binaire, un polygone � la blancheur bleut�e �lanc� majestueusement vers le z�nith, et assoupie � ses pieds, la belle et opini�tre baie, de tout temps associ�e � ses destin�es. Un calme olympien que seuls des oiseaux, furieusement jacasseurs, viendront troubler. L'ami �Bidoun Ta�liq�, victime couronn�e par ces volatiles ent�t�s, avoue plein d'indulgence, qu'il voudrait �tre incarn� en oiseau, pour survoler et d�couvrir l'univers voil� des terrasses de La Casbah. Un v�u icarien d�j� caress� par R�da Doumaz, qui se repr�sentait en �Goumri�, planant au-dessus de la belle aux yeux bleus (Moulat A�n E Zerka), allusion romantique �prise de fleur bleue, � Dza�r B'ni Mezghenna. Ces histoires d'oiseaux ont fait resurgir au comp�re �Esprit Curieux�, le souvenir de �Ya Belaredj �, une chanson des ann�es 50 qui, dit-il, fit grand bruit, en raison des paroles sibyllines du refrain : Ya belaredj, ya touil el ga�ma ; ya li saken bine el ghoroff lethnine ; ma tera�chi fi b�hiret lalla ; moulet el khalkhal bouratline. Notre air interrogatif �tait suffisant pour nous valoir des explications sans avoir � les demander � Esprit Curieux. Force est de reconna�tre que nous n'avons rien compris � cette guerre des mots, exprim�s souvent � mots couverts, quelquefois avec des paroles empathiques agitant les faveurs ou l'hostilit�, et en fin de compte, des propos qui nous laissent sur notre faim. Stimul� par cette suppos�e marque d�int�r�t � son anecdote oiseuse, Esprit Curieux, profitant de notre inhabituelle attention, commence son r�cit par un pr�ambule moraliste, en expliquant que tenter de savoir et de comprendre que rester dans le doute, est fort estimable de notre part. Voil� un jugement positif qui modifiera peut-�tre l'incr�dulit� condescendante, qu'il nourrit � l'�gard de notre champ cognitif incultiv�. Mais laissons donc, la parole � notre auguste ami, le bien nomm� Esprit Curieux, qui apr�s s'�tre confortablement install� sur sa chaise, puis rempli de la fum�e de sa cigarette ses poumons et enfin exhal� de sa bouche une s�rie de volutes en forme d'arabesques qu'il suit du regard avec une satisfaction �vidente, annonce solennellement : Une chanson qui d�fraye la chronique Pr�s d'un un si�cle(1) apr�s son �closion, �Ya Belaredj�, (� Cigogne) continue � d�frayer la chronique du fac�tieux populo. Cette chanson du genre hawzi, qui tire sa force de son caract�re intemporel, aurait �t� enregistr�e la toute premi�re fois, par Jacob Zerad, dans les ann�es 50, avant que de nombreux chanteurs tous m�les, lui pr�tent leur voix. Cheikha Tetma (1891-1962), la �Diva rebelle� du hawzi tlemc�nien, � son retour d'un exil forc� au Maroc, aurait �galement interpr�t� cette chanson � l'occasion de f�tes r�serv�es � la gent f�minine, ce qui a accr�dit� l'id�e, des convaincus, que cette chanson est propre au registre f�minin traitant des sujets intimistes. Cependant, c'est Fadila Dziria, (1917-1970), la cantatrice alg�roise, adolescente s�questr�e par un �ph�m�re mariage d�s l'�ge de 13 ans ; puis jeune femme verrouill�e par un s�jour oblig� � Serkadji pour avoir affirm� sa conscience patriotique en faisant entendre la voix de la femme alg�rienne ; enfin adulte mature, lib�r�e par soi-m�me, qui fut la premi�re femme, d�complex�e par les al�as de la vie, � l'introduire dans son r�pertoire discographique. Ce qui alloua � la chanson une dimension suppl�mentaire et suscita un remarquable emballement, au point de la rev�tir du label flatteur, de standard de la chanson alg�rienne. Un quatrain controvers� D�s lors, des esprits curieux, sans �tre n�cessairement des �mes malintentionn�es, se sont int�ress�s au myst�re induit par le refrain � contenu plurivoque qui met en sc�ne la cigogne, cet oiseau migrateur de grande taille. Ce quatrain sera la mati�re qui attribuera � la chanson une place atypique dans le r�pertoire musical alg�rien, car au lendemain de la sortie du 45 tours de Fadila Dziria, dans les ann�es 50, un chipotage plut�t qu'une controverse du reste, est aussit�t n�, en s'appuyant exclusivement sur les paroles du refrain(2) apostrophant la cigogne. 60 ann�es plus tard, les cha�nes radio et tv th�matiques et la perc�e irr�sistible d'internet ont renforc� la �musicalisation� de la soci�t� et refa�onn� l'�coute des anciennes chansons. M�me si la relation auparavant �troite entre genres musicaux et milieux sociaux s'est consid�rablement dilat�e, les avis sont toujours aussi dichotomiques sur cette chanson. La d�monstration est fournie par les commentaires lus �� et l�, dans les pages web visit�es, de mani�re al�atoire. Mais avant d'essayer de comprendre les raisons qui ont conduit � une situation verrouill�e par le cadenas social, o� la rh�torique �motionnelle et la r�gle du passionnel l'emportent sur l�exigence du rationnel, int�ressons-nous � l'auteur, assur�ment un personnage que rien, a priori, ne pr�destine � �crire, encore moins � confier au large public, un texte du genre galant. L'�uvre de Cheikh Boualem Bouzouzou Ces vers sont, nous le savons maintenant, de la plume du grand(3) Cheikh Boualem Bouzouzou (certaines sources s'�vertuent pourtant � attribuer l'�uvre(4) � son fils l'Imam Mahmoud, d'autres encore avancent bizarrement le nom de Belahc�ne Benachenhou de Tlemcen, sans oublier enfin, ceux qui ont d�cid� d'�carter d'un revers de la main cette question, en d�cidant tout de go, que le texte �tait du terroir et son auteur inconnu). Mais que savons-nous de Cheikh Boualem Bouzouzou ? Voici comment le pr�sente une succincte biographie(5), en hommage posthume (il est d�c�d� en juin 1966) � cette figure marquante dans le domaine des arts lyriques. Cheikh Boualem Bouzouzou, de son vrai nom Bouzouzou Ali Ben Ch�rif, est n� en juin 1889, � B�ja�a. Il �tait connu sous le pseudonyme de �Boualem el Qadi� eu �gard � sa qualit� de cadi, charge qu'il tient de son grand-p�re Ch�rif, apr�s de longues �tudes dipl�mantes dans les Medersas. D�s son jeune �ge, il s'�prend de la musique, notamment andalouse qu'il a pratiqu�e, jusqu'� l'�ge de 70 ans environ, avec son instrument de pr�dilection, la �kouitra�. Cheikh Boualem �tait �galement un formateur qui a transmis ses connaissances � plusieurs disciples dont le plus c�l�bre fut le ma�tre, Sadek El Bejaoui �qui lui doit beaucoup, � ce que l'on dit. Cheikh Boualem avait plus d'une corde � sa kouitra. Outre son talent de musicien, �il �tait �galement un prolifique auteur et compositeur de chansons au style l�ger, le plus souvent du genre humoristique (tr�s appr�ci� � l'�poque et qu'il convient de restituer dans son contexte historique et culturel) en kabyle et en arabe, mais �galement de qacidate qui figurent dans le r�pertoire d'artistes de renom. N�anmoins, sa plus c�l�bre �uvre est incontestablement �Y a belaredj� , qui a franchi les portes rarement accessibles de la post�rit�, dans l'art lyrique alg�rien. On ne sait si cette activit� fut une simple parenth�se s�quentielle dans son parcours multifacettes, ou un hobby qui l'a suivi durant une grande partie de sa vie. �Ce qui est certain, c'est que ce f�ru de musique andalouse a rarement d�laiss� sa premi�re passion musicale ; les nombreuses repr�sentations avec les ma�tres de Tlemcen qu'il c�toyait r�guli�rement et � B�ja�a, le prouvent�, si besoin est. Un double questionnement Revisiter ce texte, qui pose un double questionnement sur l'auteur et le sens pr�tendument dissimul� du quatrain s'impose. Pour cette d�marche r�flective, nous nous sommes employ�s � retenir des informations pr�alablement hi�rarchis�es et synth�tis�es, celles qui nous semblent fiables et exploitables. Faute de documentation et de t�moignages de sources primaires suffisants, force est de constater que le r�sultat est assur�ment incomplet. Pour rem�dier � cette lacune, nous nous sommes efforc�s � cr�er des analogies et � �tablir des liens hypoth�tiques. Nous consid�rons toutefois que cette approche est susceptible d'ouvrir des pistes d'exploration attrayantes pour des �tudes, o� la capacit� de pens�e et d�expression musicales, corr�l�es aux particularit�s socioculturelles seront profitables � la collectivit�. Comme mentionn� plus haut, partant de la certitude que l'auteur est Cheikh Boualem Bouzouzou, nous consid�rons que la question de la propri�t� de l'�uvre est d�sormais caduque. Demeure la 2e interrogation, pour laquelle nous viserons � trouver, sinon une r�ponse incontestable, du moins, t�cher de contribuer � sa compr�hension en rep�rant les causes et les cons�quences qui s'y rattachent. F. G. (A suivre) Notes : 1. M. Rouchdy Bouyahia, fils de Cheikh Sadek El Bedjaoui et pr�sident de la fondation �ponyme, et M. Boualem Bouzouzou, petit-fils de l'auteur Cheikh Boualem dit Boualem El Qadi datent l'�crit apr�s la premi�re guerre mondiale, approximativement vers 1920. 2. A la lecture des couplets de ce po�me, qui d�crit avec beaucoup de sensibilit�, l'affliction profonde et la contrition sinc�re d'une �me en peine, il est difficile de railler cet �trange sentiment. Pour ma part, j'estime que cette position s'attache � un sophisme imaginaire. Cependant, il est certain que tout ce qu'on pourra avancer ne sera que conjectures, malgr� cela, il faut croire que ce texte v�hicule d'une fa�on subliminale cette id�e. Et force est d'admettre que la grande majorit� des auditeurs la consid�rent comme une po�sie du genre �courtois�, les commentaires sur la toile confirment qu'il est extr�mement difficile de tordre le cou aux id�es re�ues et � la rumeur. 3. Le patronyme Bouzouzou pourrait provenir de Bouzou ou p�re de Ouzou qui signifie homme grand de taille en osmanli, mais aussi le gen�t en berb�re 4. La futile digression � propos de la paternit� du texte est cons�quemment close. L'�uvre a �t� corrobor�e par son petit-fils Boualem qui a interpr�t� la chanson, � l'occasion de l'hommage rendu par Djamel Allam � Guerrouabi le 9 septembre 2012 (cit� par la presse), �galement par M. Rouchdy Bouyahia, pr�sident de la fondation Cheikh Sadek El Bedjaoui, enfin le Cheikh Sadek El Bedjaoui attribue le po�me �Ya bellaredj ya touil el ga�ma� � Cheikh Boualem Bouzouzou, il a donn� au demeurant le texte avec l'air (version originale) � son dernier �l�ve, M'hamed Schbayen qui l'a enregistr� sur K7 commerciale, ce qui n'�carte pas l'�ventualit� que le po�me chant� auparavant ait subi des alt�rations, voire des pollutions. 5. In Rouchdy Bouyahia, pr�sident de la fondation Cheikh Sadek El Bedjaoui.