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L�ENTRETIEN DE LA SEMAINE RIADH KHALFALLAH, TITULAIRE D�UN DEUG EN SCIENCES �CONOMIQUES DE L�UNIVERSIT� DE LA ROCHELLE, AU SOIR MAGAZINE :
�Le pourboire doit rester un geste de remerciements�
Dans cet entretien accord� par Riadh Khalfallah, titulaire d�un DEUG en sciences �conomiques de l�universit� de La Rochelle et consultant ind�pendant aupr�s d�entreprises commerciales alg�riennes, nous allons revenir sur une pratique peu commune dans notre soci�t�, mais qui demeure incontournable dans certaines institutions, qu�est le pourboire. Nous conna�trons ainsi les origines de cette tradition illustre ainsi que les raisons qui en font actuellement un art de vivre en disparition, et comment, dans certaines soci�t�s, l�on tombe facilement dans les �cueils du pot-de-vin et du bakchich. Soir-magazine : Monsieur Khalfallah, pouvez-vous, en quelques mots, nous d�finir le terme �pourboire� et nous donner un petit historique quant aux origines de cette tradition commerciale ? Riadh Khalfallah : La d�finition institutionnelle du terme �pourboire� peut �tre donn�e comme telle : �C�est une somme d'argent ou une lib�ralit� vers�e � une personne en remerciement d'un service ou de la qualit� de celui-ci.� Cependant, et si la plupart des gens voient dans le geste du pourboire un acte de remerciement et de g�n�rosit� envers un serveur ou un cafetier, il n�en demeure pas moins que les pourboires ne sont pas vus de la m�me mani�re, et cela selon les secteurs d'activit�, les pays et les personnes qui les pratiquent. Ainsi, depuis le XVIe si�cle, cette pratique est carr�ment devenue synonyme de pots-de-vin dans certains secteurs d�activit� dans lesquels le remerciement co�te cher et o� l�on tombe facilement dans la corruption d�agent. Par ailleurs, chaque soci�t� poss�de des sp�cificit�s par rapport � la pratique du pourboire. Aux Etats-Unis, par exemple, le pourboire est parfois le seul revenu des employ�s, la convention exige de donner un pourboire de 15 � 20% de la facture totale et ne pas en laisser peut donc �tre consid�r� comme un manque de tact et m�me d�incivilit�. D�autres nations, par contre sont tout � fait contre cette pratique ; c�est le cas notamment du Japon o� le pourboire y est inexistant et est per�u comme un manque de respect envers la personne et l�institution qu�elle repr�sente. Concernant l�histoire du pourboire, on dit qu�il trouverait ses origines au XVIIIe si�cle en Angleterre quand un patron de restaurant mit en place une pratique originale qui consistait � installer sur son comptoir un pot comportant les inscriptions To Insure Promptness (pour assurer la rapidit�). Ce pot, qui �tait destin� � recevoir quelques pi�ces des clients press�s qui d�siraient �tre servis plus vite et avec le succ�s qu�a connu cette initiative, les initiales de cette expression rest�rent et form�rent le mot �tip� qui signifie d�sormais pourboire en anglais. Par la suite, vers le XIXe si�cle, cette pratique s�est d�velopp�e en France pour r�compenser les cafetiers et restaurateurs d'un service de qualit�. Le pourboire signifiait, comme son nom l'indique, un verre qu'on offrait en remerciement d'un service rendu ou un sou pour s'offrir ce verre. En espagnol, �la propina� vient d'une ancienne coutume qui consistait � boire la moiti� d'un verre apr�s avoir trinqu� � la sant� de quelqu'un puis d�offrir � cette personne la fin du verre. En Russie, la traduction de pourboire donne �na cha�, ce qui signifie �argent pour le th�. Au fil du temps, cette habitude s'est diversifi�e, et le pourboire s'est vu vers� comme une faveur accord�e par un client reconnaissant aux ouvreurs de cin�ma et de th��tre, aux coiffeurs, aux chauffeurs de taxi, au personnel h�telier et plus largement � de nombreux prestataires de services quotidiens ou ponctuels comme les d�panneurs, les d�m�nageurs, les bagagistes ou encore les coursiers. Estimez-vous, en tant que commercial, que la pratique du pourboire est r�pandue dans la soci�t� alg�rienne ou pensez-vous qu�elle est tomb�e dans la d�su�tude sit�t que les gens ont commenc� � faire face aux vicissitudes de la vie ? Evidemment que le pourboire existe chez nous en Alg�rie. Les gens donnent parfois de grosses sommes en guise de pourboire aux serveurs de restaurants ou de bars et se montrent souvent tr�s g�n�reux dans les h�tels. La majorit� des gens ignorent ce c�t�-l� de leurs concitoyens pour la bonne raison que beaucoup d�entre eux n�ont malheureusement pas le loisir de fr�quenter ces lieux en raison, comme vous l�avez dit plut�t, des conditions de vie de plus en plus difficiles. N�emp�che que les clients des restaurants se montrent g�n�reux � l��gard des serveurs, surtout quand ceux-ci sont aimables et serviables. C�est aussi une fa�on de se garantir la fid�lit� mais aussi l�estime des employ�s du restaurant pour qui le g�n�reux donateur devient le chouchou. On lui montre plus d�attention que les autres, on conna�t ses pr�f�rence et, bien entendu, on le sert avant tout le monde. Il faut croire que laisser un pourboire paye parfois encore plus cher que se qu�on a laiss�. Le secteur de l�h�tellerie est aussi un secteur tr�s touch� par le pourboire : le r�ceptionniste, le bagagiste ou encore la femme de chambre peuvent ainsi empocher gros s�ils savent appr�hender les attentes de leurs clients et aussi et simplement en se montrant courtois, serviables et attentifs. Une pratique qui est de surcro�t encourag�e par le montant des factures. Aller � l�h�tel ou manger au restaurant est relativement cher, par exemple, payer pr�s de 10 000 DA pour une nuit dans un grand h�tel et laisser les 500 DA de diff�rence au r�ceptionniste ou les partager entre lui et le bagagiste demeure d�risoire pour un client qui, semble-t-il, a les moyens de son s�jour. C�est comme �a que les lieux o� le pourboire reste florissant sont sans conteste les lieux o� les prestations de services sont les plus ch�res. Parlez-nous alors des autres commerces ; chez l��picier, le boulanger ou le vendeur de fruits et l�gumes, l� o� la facture est de quelques dinars, peut-on parler de pourboire dans ces cas-l� ? Comme vous avez d� le remarquer, on ne peut parler de pourboire quand il s�agit de petits commerces de proximit�. La premi�re raison en est le prix, car m�me s�il arrive au client d�un boulanger par exemple de laisser les 2 DA de diff�rence � l�achat d�une baguette de pain qui co�te 8 DA, on ne ressent pas vraiment le contentement d�avoir laiss� un pourboire ; ces deux dinars suffisent � peine � s�acheter un bonbon ou un chewing-gum, on parle dans ce cas d�un geste envers le commer�ant qui lui �vite ainsi de chercher la petite monnaie. Mais ce que les gens ignorent, c�est que le cumul de ces petites pi�ces de monnaie peut rapporter gros ; si bien entendu tous les clients le font quotidiennement. Le boucher, l��picier ou encore le coiffeur peuvent parfois trouver de belles surprises en cl�turant leur recette du jour et cela gr�ce aux gestes de certains clients. Par ailleurs, j�aimerais aussi parler d�une certaine cat�gorie de commer�ants qui se donnent le droit de s�attribuer un pourboire sans vraiment avoir le consentement de leurs clients. C�est le cas par exemple du marchand de fruits ou de l�gumes � qui vous demandez un kilo de carottes estim� � 50 DA et qui vous r�torque que la balance p�se un peu plus que pr�vu et que vous paierez donc 8 DA de surplus. Apr�s quoi, il vous ajoutera que, n�ayant pas de petite monnaie, il se trouve dans l�impossibilit� de vous rendre votre monnaie, ce � quoi vous r�pondrez �smah�, ou �ma�lich� sans vous doutez un seul instant que vous avez �t� arnaqu� comme la dizaine de clients avant vous. Une pratique que je juge personnellement malhonn�te car le geste de laisser la monnaie ne doit en aucune fa�on se faire par contrainte mais par pure volont� de faire plaisir ou de montrer son contentement. Il existe une pratique tr�s ressemblante du pourboire mais qui est ill�gale, bien que r�pandue dans certaines soci�t�s ; je parle du bakchich ou � plus grande �chelle du pot-de-vin. Dites-nous la diff�rence entre un geste purement altruiste et g�n�reux et un autre clairement malhonn�te et pervers... Pour certaines personnes, la fronti�re est mince entre laisser un pourboire et offrir un bakchich qui signifie litt�ralement pot-de-vin et corruption. Un ph�nom�ne qu�on observe par exemple dans les pays touristiques comme le Maroc ou l�Egypte et dans lesquels certains employ�s de restaurants ou d�h�tels exigent une �avance� de pr�f�rence g�n�reuse, afin de r�server � ceux qui le d�sirent soit des places de choix soit un service meilleur ou m�me de rendre un service exceptionnel comme faire une course au march� par exemple. Une pratique qu�il ne faut pas confondre avec le pourboire qui est, comme dit auparavant, un acte de remerciement tout � fait volontaire. En Alg�rie, et bien avant que le terme corruption n�inonde nos oreilles de na�fs citoyens, le bakchich fut tr�s longtemps pratiqu�, notamment dans les zones campagnardes. En effet, qui n�a pas entendu quelqu�un raconter un souvenir d��cole o� un de ses camarades avait la chance d��tre le chouchou de la ma�tresse, non pas en raison de ses bons r�sultats mais parce qu�il lui ramenait tr�s r�guli�rement soit du lait de vache, soit des �ufs frais ou encore de la galette chaude que sa maman r�servait expr�s pour madame l�institutrice. Une tradition qui a longtemps perdur� dans les milieux scolaires mais aussi sanitaires ; des �ufs ou du miel pour la sage-femme qui accouchera la belle-fille, un panier de fruits primeurs pour le m�decin traitant du grand-p�re ou encore des g�teaux pour les infirmi�res. Des gestes en apparence anodins mais qui peuvent vite tourner au vinaigre lorsque la personne ainsi remerci�e pour avoir fait son devoir se montre de plus en plus gourmande et ne se montre sous son meilleur jour qu�avec ceux qui savent se montrer g�n�reux. C�est l� que r�side la fronti�re entre donner un pourboire pour dire merci d�avoir �t� et donner, en esp�ces ou en nature, dans l�espoir d�avoir.