Par Mohand Bakir Pour en faire une chasse gard�e, un domaine r�serv�, les experts, les politiques, les initi�s nous disent : �La g�opolitique, c�est compliqu�e !� Et si les choses n��taient pas aussi inaccessibles que cela ? La crise malienne est vieille, comme l�est son �tat postcolonial. Les institutions et les fronti�res, h�rit�es de l�occupation fran�aise, ont servi peu ou prou � reproduire les m�mes rapports d�autorit�, d�all�geance et de soumissions. Les convulsions r�currentes au nord du pays sont les cons�quences �videntes, souvent violentes, de cet h�ritage. La France a gard� dans la r�gion des �int�r�ts vitaux�. D�abord, soulignons la n�cessit� pour elle de s�assurer le contr�le de l�acc�s et de l�exploitation de l�uranium dans le nord du Niger. Pour vendre des centrales nucl�aires, la France est tenue de garantir � ses clients la disponibilit� et l�accessibilit� du minerai. En toutes circonstances, et quelle que soit la nature du pouvoir en place dans ces pays, elle veille constamment sur cette source d�approvisionnement. Au-del�, il y a sans doute un int�r�t pour le potentiel en hydrocarbures des diff�rents bassins s�dimentaires de la r�gion� Les �tats postcoloniaux des sous-r�gions nord-africaines, sah�liennes et ouest-africaines ont f�tichis� les fronti�res h�rit�es de � l��uvre� coloniale. Ils se sont dispens�s de rechercher des dynamiques int�gratrices qui auraient progressivement gomm� ces fronti�res pour faire place, dans le m�me �lan, � l��mergence d�espaces r�gionaux int�gr�s et de territoires r�habilit�s. Comme cela se fait en Europe ou en Am�rique du Nord. Cette r�gion concentre des enjeux �conomiques monumentaux. Elle suscite des rivalit�s strat�giques entre les puissances, et couve un terreau de conflictualit�s ethno-�conomicosociales propices � en faire les Balkans du XXIe si�cle. Le grand jeu auquel s�y livrent les puissances ne pouvait que se doubler de l�intrusion violente du �djihadisme� islamiste. Ces nouveaux Balkans l�attirent de mani�re irr�sistible. Les int�r�ts de la France et des islamistes sont les plus lisibles dans cette crise. L�une y pr�serve le nerf de son industrie �lectronucl�aire. L�autre y saisit une occasion unique de pr�cipiter ses ennemis dans �un conflit en cha�ne�. La pr�cipitation de la confrontation, en ce mois de janvier 2013, r�pond d�abord � l�agenda des islamistes. Collat�ralement, et ce n�est pas pour d�plaire � Paris, elle consolide le leadership de la France dans cette zone. La France se pose en garante de l�int�grit� territoriale du Mali. Elle agit par l�entremise de la C�d�ao, qu�elle �rige en interface qui la distancie formellement des �v�nements, mais, dans le m�me temps, lui en assure le contr�le. Les islamistes font le choix de la confrontation imm�diate pour faire sauter cette interface et impliquer directement l�Europe, avec la France en t�te de pont. Une fa�on pour eux de planter le d�cor d�une guerre de religions. Les autorit�s de transition, en place � Bamako, ne sont pas en reste. Elles tirent leur �pingle du jeu, et trouvent leur compte dans la l�gitimation fran�aise. Le pouvoir r�el, exerc� par le capitaine Sanogo � partir du camp de Kati, se voit r�habilit�. Il est officiellement appel� � partir � la conqu�te du Nord. La vision fran�aise, pour les besoins de la cause, ne retient de la situation de l�Azawad que la pr�sence des djihadistes. Exit, la cause des populations qui aspirent � l�exercice de leur droit � l�autod�termination. Occult�e la crise humanitaire qui y perdure depuis des d�cennies. Gomm�es les exactions de l�arm�e malienne habitu�e � tailler en pi�ces les populations de ces r�gions. L��vidence du p�ril islamiste cache mal l�opposition de la France au r�veil des aspirations autonomistes des populations de l�Azawad, sa crainte de voir ce ph�nom�ne d�teindre sur le nord du Niger est � peine dissimul�e. Les interrogations qui surgissent se rapportent toutes � la position alg�rienne. Concern�e � plus d�un titre par la crise malienne, Alger pr�tend pouvoir rester en marge du conflit. Question touar�gue, s�curit� aux fronti�res, menaces djihadistes, influence n�ocoloniale de la France� Autant de facettes qui ne peuvent qu�impliquer l�Alg�rie. Mais, celle-ci fait le choix de l�isolationnisme. Elle disposait pourtant d�un cadre idoine au traitement de la situation. Le Comit� d��tat-major op�rationnel conjoint entre l�Alg�rie, la Mauritanie, le Niger et le Mali, habituellement d�nomm�s les pays du champ, aurait pu �tre le cadre d�une prise en charge rapide et efficace de la crise de l�Azawad. Ce cadre a �t� pr�sent� comme une r�ponse aux vell�it�s d�implantation d�un commandement am�ricain sur le continent. Il a pu �tre consid�r� comme une volont� de soustraire cette sous-r�gion � l�influence fran�aise. Mais, � l��preuve du feu, il a �t� sans aucune efficacit� op�rationnelle. La presse alg�rienne a rapport� que des programmations militaires n�ont pas connu d�ex�cution faute d�avoir obtenu l�aval politique pr�sidentiel. Faut-il conclure � une divergence d�approche entre El-Mouradia et les Tagarins ? L�hypoth�se se tient, mais il faudrait plus d��l�ments probants pour la soutenir. Il y a tout de m�me lieu de s��tonner de la r�action alg�rienne devant l�avanc�e islamiste vers Bamako. Devant un revers politique s�v�re, l�Alg�rie, qui avait mis� sur les �An�ar� au point de para�tre les chaperonner, s�en est remise � la France. Elle lui a ouvert son espace a�rien. L�aviation fran�aise est ainsi partie stopper l�offensive islamiste avec l�aval d�Alger ! Pour surprenante qu�elle soit, cette d�cision s�inscrirait dans la mise en �uvre d�un accord de coop�ration militaire entre l�Alg�rie et la France. Cet accord, conclu en 2008 et ratifi� cette ann�e, donne une piste pour expliquer le mauvais sort fait au C�moc dans la crise malienne. Le seul invariant de la position alg�rienne reste ce curieux �isolationnisme� qu�elle a adopt� depuis le d�but du �printemps arabe�. L�Alg�rie �nonce depuis quelque temps �une doctrine� qui interdirait la projection de ses forces arm�es hors de son territoire. Cette doctrine n�a pas toujours �t� la sienne. La 8e division blind�e du pays a eu � se battre au Sina� et en Syrie. D�autres unit�s alg�riennes se sont battues au Sahara pour prot�ger les populations sahariennes de l�avanc�e des forces royales marocaines. Il y aurait eu, entre-temps, un changement de la doctrine militaire alg�rienne, mais quand ? Comment ? Ce qui est certain, c�est que durant l��re bouteflikienne, les appareils de contr�le de la soci�t� ont supplant� l�institution militaire dans le jeu politique alg�rien. Ce glissement se traduit par l�inf�odation de la politique �trang�re du pays aux int�r�ts de l�oligarchie bureaucratique et de ses alli�s et protecteurs �trangers. �L'imp�ratif de survie du syst�me bureaucratique rentier a fini par se poser comme une finalit� en soi. Il s'oppose � la pr�servation de la souverainet� et de la s�curit� nationale. Devant le choix exclusif entre sa s�curit� et celle de la Nation, le syst�me a choisi sans h�siter, et sur toute la ligne, de pr�server la sienne.� La diplomatie alg�rienne ne d�fend plus les int�r�ts du pays, mais ceux d�un syst�me compradore en mal de reproduction. Nonobstant tout cela, et malgr� l��tat calamiteux du front int�rieur l�zard� par la politique renonciatrice dite de �concorde nationale�, l�arm�e alg�rienne poss�de l�expertise et les moyens n�cessaires � l�efficacit� d�une intervention dans le Nord- Mali. Non seulement elle poss�de cette capacit�, mais l�int�r�t m�me de l�Alg�rie appelle cette implication. L�Alg�rie peut-elle voir d�un bon �il l�enkystement durable du �djihadisme� dans sa profondeur strat�gique naturelle ? Apr�s avoir r�sist� au projet d�instauration d�un Etat th�ocratique obscurantiste sur son territoire, entend-elle accompagner passivement la construction de cette th�ocratie � l��chelle de l�aire islamique ? Se laissera-t-elle passivement inclure comme �province� d�une variante �khalifale� du projet du Grand Moyen-Orient ? Apparemment non, puisqu�elle apporte son concours � la France et au projet onusien de la Misma. Mais, la France dans son action n�est pas exempte de relents n�ocoloniaux, elle occulte la crise institutionnelle cons�cutive au coup d�Etat du 22 mars, minimise � dessein l�importance des aspirations autonomistes dans l�Azawad et pose sa pr�sence comme un appui � l�arm�e malienne dans la reconqu�te du nord du territoire malien. L�implication de l�Alg�rie dans le cadre de la Misma (Mission internationale de soutien au Mali) changerait toute la donne. Pour faire court, disons que sans l�Alg�rie, la Misma, c�est la France. Ce qui, en cons�quence, a le double inconv�nient d�une intervention n�ocoloniale doubl�e d�une guerre de religions. La Misma dans cette configuration est un billet confirm� pour le �Sah�listan�. En l�absence de l�Alg�rie, les forces qui s�appr�tent � investir l�Azawad vont consolider, par leurs pr�visibles exactions et leurs in�vitables outrances, les forces �djihadistes� au sein des populations. Telle que configur�e, la Misma est une promesse d�enlisement durable. Elle est inadapt�e � la nature du terrain, sans exp�rience d�interop�rabilit�, sans oublier les insuffisances sur le plan des effectifs et des moyens. Plus grave, cette force n�a pas suffisamment de �distance � et de �neutralit� pour agir avec mesure et discernement. Elle est loin de pouvoir �viter les haines et passions latentes entre elle et ces populations. La catastrophe est annonc�e. L�autre pr�occupation, la crise humanitaire. Sur le terrain de guerre, dans les rangs des djihadistes, il y a en v�rit� peu d�illumin�s, les �fous de Dieu�, qui ne sont pas en premi�res lignes, ce sont des centaines d�enfants soldats qui seront massacr�s. Ils serviront de chair � canon. Des enfants partis �gagner� de quoi nourrir leurs familles. Hier, c��taient les l�gions de Kadhafi qui permettaient, aux populations de cette r�gion oubli�e des hommes et des dieux, d�avoir ces revenus. Le succ�s de la r�ponse militaire � cette crise d�pend de deux volets essentiels : le volet humanitaire et le rapport aux populations. Le volet humanitaire est colossal, aussi immense que le sont les besoins. La place de la population est centrale et nulle autre force n�est mieux plac�e que l�ANP pour savoir l�importance de l�adh�sion populaire. L�implication directe de l�Alg�rie transfigurera la Misma. Elle serait un facteur majeur pour faire tomber le caract�re n�ocolonial de cette force. Elle impliquerait une modification majeure du concept op�rationnel pour le recentrer sur une op�ration humanitaire sans pr�c�dent. Il faudrait aussi qu�elle int�gre l�implication du MNLA au nord et adopte le trac� du fleuve Niger comme limite � l�action des forces arm�es maliennes au sud. Ainsi, l�action de la Misma ne d�terminerait pas les r�ponses aux diff�rents aspects de la crise malienne. Elle se limiterait � l�extirpation de l�abc�s djihadiste et � la stabilisation de la situation pour ouvrir la voie aux solutions politiques qui associeraient l�ensemble des populations du Mali, au Nord comme au Sud. Si l�Alg�rie fait le pas de s�impliquer dans la Misma, ce serait une avanc�e pour elle dans sa lutte pour la r�forme du syst�me des Nations unies, si elle n�assume pas une telle implication publique, le pire serait qu�elle opte pour une participation honteuse. Entre les deux, il y a l�attentisme qui n�est pas un meilleur choix.