Jean-Charles Brisard, Spécialiste du terrorisme, ancien enquêteur en chef pour les familles de victimes du 11-Septembre s'est penché dans sa dernière analyse sur la situation que prévaut le nord du mali .L'auteur s'est dit convaincu que la France a un rôle important à jouer au Sahel, car elle dispose au Sahel d'intérêts économiques stratégiques. Faut-il pour autant que la France apporte son soutien à une opération militaire dont certains estiment qu'elle s'apparenterait à une forme de néocolonialisme, engendrerait un risque de partition et d'islamisation ou menacerait la vie des otages, tandis que d'autres préconisent la voie pacifique. Qu'elle le veuille ou non, la France est déjà engagée dans cette crise. Elle dispose au Sahel d'intérêts économiques stratégiques ; elle est, pour des raisons historiques, l'une des principales cibles des groupes djihadistes qui y opèrent ; et elle a déjà subi le terrorisme d'Al-Qaïda au Maghreb Islamique (Aqmi), responsable de l'enlèvement et de la mort de français. Le Nord du Mali est aujourd'hui aux mains des islamistes d'Aqmi, du Mouvement pour l'Unicité et le Jihad en Afrique de l'Ouest (Mujao) et d'Ansar Dine, qui sont parvenus à évincer la rébellion touareg du Mouvement National de Libération de l'Azawad (Mnla). S'ils sont divisés sur les objectifs (partition ou maintien de l'intégrité du Mali sous l'empire de la charia), ils partagent néanmoins une même stratégie pour s'imposer : celle de la terreur.
La terreur d'Aqmi
Aqmi et le Mujao, sa filiale locale, sont des organisations djihadistes aux méthodes identiques. Le Mujao est responsable du rapt de diplomates algériens et de trois ressortissants européens libérés moyennant une rançon de 15 millions d'euros, et vient de revendiquer l'enlèvement d'un français dans l'Ouest du pays. Ansar Dine, mouvement islamiste à dominante touareg, a pris le contrôle des villes du Nord avec le soutien d'Aqmi avant d'accueillir ses chefs à Tombouctou au mois d'avril dernier et d'annoncer un front commun pour « combattre les impies ». Depuis, il multiplie les exactions sur la population. Son dirigeant est familier des chefs d'Aqmi, qu'il qualifiait en 2003 de simples « trafiquants sans motivation politique ». Pourtant, depuis quelques semaines, Ansar Dine se présente comme la vitrine politique des islamistes, offrant même de renoncer au terrorisme et à l'application de la charia. Ce revirement spectaculaire et opportuniste ne doit rien au hasard, à l'heure où la menace d'une intervention militaire se précise. Il s'agit d'un repli tactique qui n'estompe en rien le fondamentalisme de ce groupe, ni son alliance objective avec les terroristes d'Aqmi. La stratégie des terroristes, là comme ailleurs, est invariable : profiter des faiblesses étatiques, qui ont permis le repositionnement d'Aqmi de l'Algérie vers le Sahel, et des opportunités, en l'occurrence la rébellion touareg au Nord Mali, aussi faible que l'Etat dont elle prétendait s'affranchir, qui a servi involontairement de cheval de Troie aux djihadistes. L'ambition d'Aqmi n'est pas limitée au Mali, ni au Sahel. Depuis qu'elle a rallié la stratégie du djihad mondial d'Al-Qaïda en 2006, l'organisation multiplie les convergences opérationnelles et stratégiques avec d'autres groupes en Afrique, notamment le mouvement Boko Haram, dont les activités étaient jusqu'alors centrées sur le Nigéria, et qui intervient désormais au Niger et au Mali aux côtés d'Aqmi. La mission d'évaluation des incidences de la crise libyenne sur la région du Sahel de l'Onu a relevé qu'Aqmi assurait la formation militaire de certains de ses membres, et leur première opération conjointe a été l'enlèvement d'un ingénieur allemand au Nigéria en janvier dernier, une action menée par Boko Haram et revendiquée par Aqmi.
La montée en puissance des terroristes
La montée en puissance des groupes islamistes djihadistes qui sévissent au Nord Mali constitue le nœud gordien de la crise actuelle. La principale inquiétude concerne l'émergence d'une base terroriste opérationnelle, sorte de Sahelistan, aujourd'hui limitée au Nord Mali, mais qui pourrait rapidement s'étendre en raison des relations nouées par Aqmi avec Boko Haram et certains rebelles libyens. Une coalition de groupes autofinancés et surarmés, constituant un pôle d'attraction majeur pour les djihadistes de tout poil du monde entier. Plusieurs centaines de combattants sont déjà parvenus à rallier le Nord Mali en provenance d'Egypte, du Soudan, du Pakistan et de pays européens, dont la France. Le contexte actuel pourrait également favoriser de nouvelles vocations djihadistes dans la région et en Europe.A terme, cette situation aboutirait à la constitution, aux portes de l'Europe, d'un sanctuaire terroriste dominé par une organisation qui a fait de la France sa principale cible et qui, n'en doutons pas, n'aurait d'autre objectif que de frapper notre pays, et ce d'autant plus qu'il s'agit de la branche d'Al-Qaïda la mieux financée au monde grâce à l'argent des prises d'otages. Un marché si lucratif que le chef d'Al-Qaïda, Ayman Al-Zawahiri, a récemment appelé à deux reprises à multiplier les enlèvements d'occidentaux dans les pays musulmans.
Intervention militaire ou solution politique ?
Ce que l'on observe au Nord Mali est la reproduction d'un phénomène historique auquel nous assistons depuis 30 ans de la part des organisations djihadistes, consistant à se greffer sur des conflits internes ou des zones de guerre à population musulmane. Or, dans chacune de ces guerres, de l'Afghanistan à la Somalie, en passant par la Bosnie, le Kosovo, le Cachemire ou l'Irak, la participation de djihadistes s'est toujours accompagnée d'une externalisation du conflit dans nos pays, sous la forme d'actions de propagande, de recrutement, de soutien ou de terrorisme. La capacité de projection de ces groupes est réelle, comme en témoigne le démantèlement depuis 2001 en Europe de dizaines de cellules de soutien financier ou logistique, et de filières de recrutement au profit d'Aqmi ou de son prédécesseur le Gspc. Les risques d'une offensive militaire ne doivent pas être sous-estimés. Le facteur temps, le format du déploiement et la coopération des Etats limitrophes constitueront les principales clés d'un succès militaire contre les djihadistes. Une telle offensive doit être rapide et massive pour éviter plusieurs écueils et neutraliser la menace. Le premier serait le renforcement des groupes djihadistes par l'apport en hommes et en armes venus de l'extérieur. A cet égard, il devient urgent de prévenir dès à présent l'afflux de nouveaux combattants étrangers dans la perspective de l'offensive militaire africaine, par le déploiement de troupes aux frontières des Etats limitrophes. Le second serait une dispersion des groupes terroristes avec une dissémination de la menace dans d'autres pays du Sahel, d'où l'importance d'une offensive qui cible les villes mais également les poches terroristes dans le désert, et que les Etats limitrophes, notamment l'Algérie, verrouillent leurs frontières afin de couper les voies de repli des terroristes. Enfin, le principal écueil serait l'enlisement de l'offensive militaire qui résulterait d'un formatage inadapté du contingent africain, et le risque d'une opération se transformant en conflit asymétrique larvé de type guérilla, créant les conditions d'une nouvelle terre de djihad.Le règlement politique que plusieurs Etats appellent de leurs vœux relève d'une équation encore plus complexe, sinon insoluble, où interviennent les intérêts divergents des Etats limitrophes et des groupes contrôlant le Nord Mali qui en ont fait un préalable à la résolution de la crise sécuritaire. Le piège tendu par les islamistes, au premier rang desquels Ansar Dine, n'est destiné qu'à gagner du temps et à préparer l'avenir, car ceux qui prônent le dialogue à Alger ou Ouagadougou sont les mêmes qui font parler les armes, qui tuent, lapident, mutilent, violent et pillent à Tombouctou et Gao. Que l'Algérie favorise cette approche pour écarter le spectre d'un retour du terrorisme sur son sol est compréhensible, mais négocier une solution politique sous la pression et la menace des islamistes serait un leurre. Le règlement politique, nécessaire pour assurer la stabilité du Mali dans le respect de ses composantes, est illusoire temps que les djihadistes n'ont pas déposé les armes et renoncé à leurs conquêtes territoriales.
Depuis le début de la crise, la France a joué un rôle majeur en appuyant au plan international la demande de la Cédéao et de l'Union Africaine d'une force d'intervention. Sur le plan opérationnel, son rôle sera essentiel par le soutien apporté aux troupes de la force internationale avec ses capacités de renseignement électronique, aérien et satellitaire. Au-delà du seul volet militaire, la France pourrait, avec ses partenaires africains, aider à établir les responsabilités des exactions et des destructions des biens culturels religieux auxquelles se livrent les islamistes dans le Nord Mali, actes constitutifs de crimes de guerre comme l'a rappelé le procureur de la Cour pénale internationale. La stabilisation politique de la région passera également, à terme, par des actions structurantes sur les plans économiques et sociaux grâce à l'aide au développement.