C'est Steven Soderbergh, un r�alisateur am�ricain, qui disait : �Un cin�aste se trouve face � trois options : embrasser le syst�me et en devenir l'esclave, l'ignorer et le combattre, ou l'utiliser � son avantage.� Lui, il ne l'a ni embrass� ni utilis� � son avantage. Il est rest� lui-m�me. Un artiste qui avait la culture du �non�, comme disait Kateb Yacine, � propos de l'intellectuel vrai. Le cin�aste Abderrahmane Bouguermouh tire sa r�v�rence. Triste nouvelle. Il y a quatre jours, un ami passionn� de cin�ma et moi l��voquions au cours d�une discussion sur le 7e art. J�ai eu l�occasion et le privil�ge de le conna�tre, alors que j'�tais correspondant d�un quotidien national. Il m'avait accord� une interview vers les ann�es 1991-92 (je ne me rappelle pas exactement de l�ann�e). Pour le rencontrer, j�ai d� passer par un responsable du centre culturel d'Ighzer Amokrane Ouzellaguen qui a eu la gentillesse de m�accompagner chez le cin�aste. Il est venu � notre rencontre, souriant. Lorsque je me suis pr�sent� et lui ai expliqu� l'objet de ma �visite�, il a tout de suite accept�. Nous nous sommes rendus dans un caf� qui se trouvait � quelques m�tres de sa maison. Une fois attabl�s, j'avoue que j'�tais un peu g�n�, parce que je ne donnais pas l'air de quelqu'un venu r�aliser une interview. Il faut dire que j'�tais dans une tenue quelque peu n�glig�e, �d�braill�e�. �a ne faisait pas �s�rieux�. C'�tait l'�t�. Mais il m'avait tout de suite mis � l'aise. Il nous a command� des boissons et j'en profitai pour fouiller dans ma cervelle de correspondant �d�barqu� pour trouver des mots � ma premi�re question. Celle qui me permettrait de structurer l'entretien avec ce monument du 7e art. J'ouvre mon bloc-notes, tout tremblant. Il suit tous mes gestes. Je crois qu'il s'attendait � ce que je lui tende un dictaphone� �a y est, la premi�re question arrive et l'interview coule comme un long fleuve tranquille. Tout ou�e, je le fixais des yeux � croire que j��tais l�-bas pour dessiner son portrait. Je m'effor�ais de noter le moindre mot. Je ne devais rater aucune information pour les besoins de mon papier. Son itin�raire, son �uvre, le cin�ma en Alg�rie, gloires et d�cadences, ses projets cin�matographiques... Mouloud Mammeri, Ahmed Rachedi et� L�Opium et le B�ton, La Colline oubli�e, une �uvre de Mammeri qu�il finira, malgr� tout, malgr� les �r�sistances �, par porter au cin�ma, en 1996. A la fin de l'entretien, je relis mes notes et sollicite son avis sur le titre que je mettrais � l'interview... Il me r�pond par un regard comme pour me dire : �C'est toi l'auteur de l'interview. � Et je r�plique : - Monsieur Bouguermouh, que pensez- vous de �Un cin�aste sans film ?� - Oui, approuve-t-il, sans la moindre h�sitation, �a marche !� En fait, pour tout dire, cet intitul�, je l'avais d�j� pr�par� et mis en r�serve d�s les trois premi�res questions. A l��poque, le cin�aste n�avait pas encore r�alis� La Colline oubli�e, un projet qui lui tenait � c�ur. A travers ses propos, l'artiste laissait transpara�tre une certaine d�ception, une profonde amertume en �voquant le traitement qui lui �tait r�serv� en tant que cin�aste marginalis�, ne cadrant pas avec �le cin�ma� officiel, les sc�narios ficel�s d'avance. Deux jours apr�s, entretien avec Abderrahmane Bouguermouh : �Un cin�aste sans film�, en page �Culture� du quotidien. Je ne l�ai pas revu pour lui demander ce qu�il pensait de l�article. Jusqu'� ce jour, j'�prouve toujours la m�me �fiert�, non pas d'avoir mon nom au bas du papier, mais pour avoir �permis�, peut-�tre, quelque part, au cin�aste de crier sa col�re et de pousser un coup de gueule. Je garde de lui le souvenir d�un homme g�n�reux, sympathique, celui d�un artiste cin�aste humble, souriant, attentionn�, au regard g�n�reux et lumineux. Jaloux de son ind�pendance artistique et intellectuelle. Un artiste accompli. Au fil de notre discussion, il m�avait �confi� quelque chose � propos du film L�Opium et le B�ton, r�alis� par Ahmed Rachdi. Il m�avait gentiment demand� de ne pas ins�rer l�information dans mon papier. J�ai respect� son v�u. Je remuerai ciel et terre pour retrouver le papier en question, le faire partager. Lui rendre hommage apr�s sa mort comme je l'ai fait de son vivant. Mes sinc�res condol�ances � sa famille.