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L�entretien de la semaine PROFESSEUR NOURIA BENYAKHLEF, SP�CIALISTE EN PSYCHIATRIE, EHS DRIDHOCINE, AU SOIR MAGAZINE :
�Les enfants d�une m�me fratrie n�ont pas tous les m�mes parents�
Dans cet entretien, Mme Nouria Benyakhlef analyse la particularit� du lien qui unit les parents � leurs enfants. Elle insiste sur le fait que les parents n��l�vent jamais deux enfants de la m�me mani�re et cela ne veut pas dire qu�ils les aiment diff�remment. Soirmagazine: Est-il normal qu'un parent ait une pr�f�rence pour l'un de ses enfants ? Mme Nouria Benyakhlef : Cette particularit� du lien qui unit les parents � leurs enfants est rarement prise en compte. Et l�est d�autant moins que, pour d�finir et r�sumer leurs rapports, on s�en tient g�n�ralement � la notion �d�amour�. Notion qui est bien loin de pouvoir rendre compte de leur complexit� et qui pr�sente de plus un autre inconv�nient : celui de rendre aux parents l�existence de diff�rences entre leurs enfants encore plus difficile � admettre. Leur affirmation imm�diate quand ils les constatent � �mais on les a pourtant �lev�s de la m�me fa�on !� � est en effet conjuratoire. Elle montre � quel point ils auraient peur de penser qu�ils les ont �lev�s �diff�remment�. Pourquoi ? Parce que, tout �tant parl� en termes �d�amour�, ils se trouveraient renvoy�s d�s lors � du �quantitatif�, � des notions d��aimer plus� et d��aimer moins�, donc � de la culpabilit�. Une culpabilit� d�autant plus douloureuse qu�elle entre en g�n�ral � inconsciemment � en r�sonance avec les souffrances qu�ils ont eux-m�mes �prouv�es dans leur enfance, du fait de �pr�f�rences� qu�ils ont subies ou qu�ils s�accusent d�avoir faites. A partir de quand le regard sur cette pr�f�rence commence-t-il � changer ? Les parents n��l�vent jamais deux enfants de la m�me fa�on, et cela ne veut pas dire qu�ils les aiment diff�remment. Cela signifie qu�ils ont avec chacun d�eux une relation diff�rente, qu�ils tissent avec chacun d�eux des liens � conscients et inconscients � qui sont, � chaque fois, particuliers, et ce, pour plusieurs raisons : � Parce que chaque enfant est diff�rent. Par son physique, son sexe, son capital g�n�tique, etc., mais aussi par ce qui �mane de lui. Il peut ainsi, d�s ses premi�res heures, sembler volontaire ou passif, int�ress� par ce qui l�entoure ou repli� sur lui-m�me. Et la vision subjective de l�entourage n�est pas seule en cause, car un enfant, � sa naissance, a d�j� une histoire. Son psychisme porte d�j� la marque de ce qu�il a v�cu pendant la grossesse, lors de sa naissance et m�me des conditions de sa conception. Ces �particularit�s� vont �tre, pour chacun de ses parents, source d��vocations � conscientes et inconscientes : �C�est incroyable comme il a l�air d�cid�. Il me rappelle mon p�re !� De ce fait, chacun d�eux va �l�adopter� diff�remment, avoir d�embl�e avec lui un rapport singulier. � Parce que chaque parent est diff�rent � chaque naissance : � A la fois consciemment : il n�est pas dans la m�me �phase� de sa vie ; � et inconsciemment : chaque parent vit inconsciemment quelque chose de diff�rent avec chaque enfant. �C�est avec celui-l� que j�ai vraiment pris conscience de la paternit�, dira un p�re ; �cet enfant-l�, je n�ai pas vraiment eu l�impression d�en accoucher�, dira une m�re ; et revit inconsciemment quelque chose de sa propre histoire, en fonction du sexe de l�enfant ou de sa place dans la fratrie : �Je me suis tout de suite angoiss� pour lui, parce qu�il �tait l�a�n� comme moi.� � Enfin, parce que le couple n�est pas �le m�me� pour chaque enfant. Chaque enfant repr�sente pour chaque couple parental un projet �autre� par rapport au pr�c�dent. Il arrive � un moment diff�rent de son �volution (affective, sexuelle, etc.) �Nous �tions si heureux quand on a d�cid� de l�avoir !� Une place �autre� lui est donc � chaque fois faite. La relation � chaque enfant est donc unique. Elle est faite � chaque fois de �positif�, mais aussi de �n�gatif�, c�est-�-dire d'angoisses inconscientes qui, si elles sont trop importantes, peuvent m�me rendre, pour un parent, l�attachement � son enfant difficile, voire impossible suscitant alors chez lui, le plus souvent, une horreur de lui-m�me insupportable � vivre. En d�autres termes, on peut aimer ses enfants de la m�me fa�on... Les parents croient � un amour �gal, mais c�est impossible, explique la psychanalyste Claude Halmos. Et tant mieux. Parce que chaque enfant est singulier, et aimer diff�remment ne veut pas dire aimer moins. Mais en m�me temps, il y a un lien singulier avec chaque enfant. Donc, il ne s�agit pas de pr�f�rence... Parler en effet de ce lien en n�ayant pour le caract�riser que la notion, au demeurant assez vague, d�amour revient � en nier la complexit�. Or, le lien � son enfant est parmi les plus complexes qu�un adulte puisse tisser. Pour deux raisons. D�abord, parce qu�il est pour lui le lieu de toutes les �projections�, de toutes les �r�p�titions�, d�autant plus difficiles � rep�rer qu�elles renvoient souvent � des p�riodes tr�s archa�ques de son histoire. Dans la relation � son enfant � proche s�il en est parmi ses proches �, l�adulte retrouve souvent, sans le savoir, ce qui fut l�essence m�me des attachements les plus importants, les plus intimes et les plus enfouis de son enfance, la trace des premiers �autres� de sa vie qui ont fa�onn� aussi bien son esprit que sa sensibilit� et son corps. En fait, et m�me si le parent ne s�en rend pas compte, le lien qu�il tisse avec chacun d�entre eux est � chaque fois singulier, unique. Ses caract�ristiques varient d�abord en fonction du sexe de �l�aim�. Le lien qui unit une m�re � sa fille adolescente n�est pas le m�me que celui qui la lie au fils avec qui elle d�couvre les difficult�s de �l��tre gar�on�� Ce lien varie �galement en fonction de l��ge de l�enfant � on n�aime pas de la m�me fa�on un grand gaillard de 25 ans et un petit gar�on de 18 mois �, mais aussi de sa personnalit�, de son caract�re, dont chaque trait se noue d�une certaine fa�on avec chacun des traits de celui de chaque parent et fait la toile de fond d�une relation � chaque fois particuli�re. Oui, dans le couple �parent-enfant�, les diff�rences sont aussi dans le camp des parents. Fran�oise Dolto le r�p�tait souvent : les enfants d�une m�me fratrie n�ont pas tous les m�mes parents. Pourquoi ? Parce que chacun arrive � un moment particulier de la vie de son p�re et de sa m�re. La femme qui accouche � 35 ans de son troisi�me enfant n�est plus celle qui, � 18 ans, a donn� naissance � son premier. Comment imaginer qu�elle puisse tisser avec l�un et l�autre des liens similaires ? A travers votre r�ponse, on peut conclure quand m�me qu�il y a une pr�f�rence. A quoi tient-elle ? Et comment s�exprime-t-elle ? Dans la conduite de la vie quotidienne, nous sommes facilement port�s � faire, disons, des pr�f�rences. C'est � peu pr�s in�vitable. D'abord, nous ne naissons pas tous avec le m�me h�ritage, loin de l�. Chaque enfant au moment de sa conception ne re�oit pas les m�mes g�nes que ceux de ses fr�res et s�urs. En second lieu, ces variations de sentiments � non pas d'amour � tiennent au sexe. Il est bien connu qu'une m�re a plut�t un faible pour son gar�on et le p�re pour sa fille. Les pr�f�rences tiennent aussi � l'ordre de succession. L'a�n� ou le plus jeune reste souvent le pr�f�r�. Un gar�on qui succ�de � plusieurs filles ou une fille � plusieurs gar�ons b�n�ficiera plus facilement de quelque indulgence. Elles tiennent encore aux circonstances de la maisonn�e. Un enfant qui arrive en p�riode de prosp�rit� mat�rielle sera plus facilement accept� que celui qui nous cr�e de nouvelles charges. De plus, les parents �voluent beaucoup d'un enfant � l'autre. L'�ge et l'exp�rience les modifient, pour certaines choses en mieux pour d'autres en pire, ce qui leur fait donner � chaque enfant une �ducation diff�rente. Des �v�nements surviennent �galement dans la famille et qui touchent chacun de fa�on diff�rente selon l'�ge. Certains subissent les bonnes influences, d'autres les pires. Cela d�pend des parties de lui-m�me qui sont en papier de soie et se froissent au moindre effleurement et de celles qui sont en bronze et restent impassibles. On observe couramment que la m�re a souvent de la difficult� � aimer autant le second que le premier. La m�re s'attache beaucoup � son a�n�, comme il est tout naturel, et ce serait une b�tise que de le lui reprocher, mais cet amour est souvent tel que la m�re n'est plus assez disponible pour en aimer un autre. Il vient d�ranger le premier. On sait qu'un petit enfant peut �tre jaloux de la naissance d'un autre. Il ne supporte pas le partage. Eh bien, il y a des m�res qui ne supportent pas de partager leur premier amour avec un second. Pour d�cider d'avoir un autre enfant, il faudrait que la m�re soit d�j� capable d'un d�tachement de l'a�n�, que la premi�re passion amoureuse se soit un peu dissip�e, ce qui lui permettrait de donner au suivant un amour tout neuf.