Entretien réalisé par Tarek Hafid Les membres du Conseil de sécurité de l'ONU ont adopté deux résolutions qui concernent directement le «Sahara-Sahel». Parfait connaisseur du dossier sahraoui et de la situation sécuritaire au Sahel, le professeur Yahia Zoubir, enseignant en relations internationales et directeur de recherche en géopolitique à Euromed Management Marseille, décrypte la ligne de conduite des Etats-Unis et de la France dans la région. Le Soir d'Algérie : Les Etats-Unis ont finalement fait marche arrière en retirant leur proposition d'élargir le mandat de la Minurso à la surveillance des violations des droits de l'Homme au Sahara occidental. Concrètement, qu'est-ce qui explique ce revirement ? Yahia Zoubir : Les Etats-Unis ont effectivement fait marche arrière. Ils avaient l'occasion de prouver que l'administration de Barack Obama considérait réellement que cette question s'appliquait aussi bien à ses ennemis qu'à ses amis. Malheureusement, ce revirement prouve que la règle de deux poids, deux mesures demeure la norme. Mais est-ce surprenant ? Non. On a vu que les questions de sécurité priment sur les questions de droit... voyez ce qui se passe à Bahreïn. Tout le soutien au soi-disant «printemps arabe» n'est qu'une simple reformulation du réalisme de la politique des Etats-Unis dans la région : la protection de ses intérêts aux dépens du droit international et des intérêts des peuples qui veulent s'émanciper du joug du colonialisme. Il est utile de revenir à cette proposition américaine d'élargissement du mandat de la Minurso. Qu'est-ce qui a poussé les Etats-Unis à lancer une initiative ? Est-ce un changement radical de la gestion du dossier sahraoui depuis l'arrivée de John Kerry à la barre du Département d'Etat ? Les ONG telles que la fondation Robert Kennedy, Amnesty International, Human Rights Watch, ainsi que les rapports des Nations Unies et du Département d'Etat ont fait état des violations des droits humains des Sahraouis. Les Etats-Unis ont peut-être voulu mettre en garde le Maroc qu'ils peuvent, s'ils le souhaitaient, faire pression sur lui afin qu'il se plie aux exigences de la communauté internationale. Certains observateurs estiment également que Washington n'a pas du tout apprécié le retrait de confiance de Rabat à l'encontre d'un de ses plus éminents diplomates, Christopher Ross en l'occurrence... Oui, mais cela n'est pas trop important car après tout, Christopher Ross travaille pour les Etats-Unis mais n'est pas un officiel américain dans cette affaire. En fait, ils n'ont pas apprécié qu'un diplomate américain de ce niveau soit traité comme le représentant d'une république bananière ! Mais il semble que les lobbyistes pro-marocains, que ce soit aux Etats-Unis ou en France, sont encore très efficaces. Absolument. Sauf que dans ce cas précis, ce ne sont pas tant les lobbys que la politique américaine actuelle qui a été prise en compte. La question sécuritaire est primordiale et le Maroc est un des acteurs régionaux dans la lutte antiterroriste. On aurait pensé que les relations sécuritaires entre les Etats-Unis et l'Algérie auraient pu faire changer le rapport de force et faire que l'Algérie soit un partenaire plus crédible. Or, la diplomatie algérienne est en panne depuis des années. Le Maroc reste le pivot dans la région. Il faut le répéter, le Maroc est seul sur la place. Sa diplomatie est plus efficace que celle de l'Algérie. Hélas, la diplomatie est quasi inexistante sur cette question. De plus, les Etats-Unis ne voulaient pas de cette annulation des manœuvres militaires avec le Maroc. Je suis cependant persuadé que les Etats-Unis ont lancé un message clair au Maroc quant à la question des droits humains. Ce n'est certainement pas Mohammed VI qui peut faire plier les Etats-Unis. Pour l'heure, il n'a qu'un rôle de sous-traitant dans la soi-disant guerre contre le terrorisme. Quel rôle joue le Maroc ? Le Maroc a de tout temps servi les intérêts des Occidentaux. Cet alignement dure d'avant la guerre froide. Le roi Mohammed V avait décidé que la sécurité du Maroc devait être assurée par les Occidentaux, notamment les Etats-Unis et la France par la suite. En échange de cette protection, le royaume n'a pas hésité à servir de sous-traitant dans certains conflits en Afrique dans les années 1970 aux pays occidentaux (guerre civile en Angola aux côtés de l'Unita ou au Zaïre, soutien à Mobutu). Cette politique du Maroc explique en grande partie le soutien dont il a bénéficié de la part des Etats-Unis et de la France dans son occupation illégale du Sahara occidental. Ne pensez-vous pas que cette question de la surveillance et de la protection des droits de l'Homme au Sahara occidental est un faux débat puisque l'objectif premier de la Minurso est d'organiser un référendum d'autodétermination ? Evidemment. Mais, comment voulez-vous forcer le Maroc à accepter de se plier aux exigences pour la tenue d'un référendum alors qu'on ne parvient même pas à confier à la Minurso la tâche d'assurer la protection des droits humains des Sahraouis. Le Conseil de sécurité de l'ONU a également adopté une résolution portant création d'une force de «stabilisation» au Mali. Pourquoi les membres du Conseil de sécurité ont-ils décidé d'impliquer les Nations Unies dans ce conflit ? Pourquoi maintenant ? Il ne fait aucun doute que la France n'est pas prête à maintenir une présence efficace au Nord-Mali. Elle a certes réduit la puissance des groupes terroristes (Aqmi, Ansar Dine et Mujao), mais on ne sait pas où se trouve le gros de ces groupes. Une autre raison est que la Misma (Mission internationale de soutien au Mali, sous conduite africaine) est incapable de réunir les forces nécessaires et de ramener la paix dans cette partie du Mali. L'armée malienne est, quant à elle, totalement inefficace et mal équipée pour aspirer combattre les groupes armés. Le rôle de la Minusma sera donc militaire mais aussi politique... Ce sera plus une force onusienne qu'autre chose. Mais la décision d'envoyer des troupes onusiennes est à la fois militaire et politique. Quels sont les pays susceptibles de participer à cette force de 12 600 hommes ? Je pense qu'on sollicitera tout d'abord les pays africains, notamment le Nigeria, mais aussi des forces occidentales qui estiment que la lutte contre les groupes terroristes dans la région du Sahara-Sahel sert leurs intérêts (ressources minières, contrecarrer l'influence de la Chine...). Jeudi dernier, la France a donc réussi à tirer son épingle du jeu à travers les deux résolutions du Conseil de sécurité. Au Mali, elle passe le relais à l'ONU et dans le dossier du Sahara occidental, elle a évité de se retrouver dans une situation de voter une résolution qui porterait atteinte à son allié marocain. Oui, elle a pour le moment réussi à tirer son épingle du jeu au Mali. Concernant le Sahara occidental, la France a fait face à une situation difficile car si les Etats- Unis étaient restés fermes quant à l'inclusion de la protection des droits humains dans le mandat de la Minurso, elle aurait eu à s'abstenir en cas de vote au Conseil de sécurité et ainsi lâcher son allié marocain. L'illusion que se font beaucoup est que la France socialiste s'alignerait sur le droit international concernant le Sahara occidental. Le Maroc est pour la France ce qu'est Israël pour les Etats-Unis. Toute la classe politique française, mis à part quelques communistes, soutient le Maroc pour de nombreuses raisons qui relèvent de l'Histoire mais aussi du réalisme politique. La situation sécuritaire au Sahel semble avoir changé depuis l'intervention de la France au Mali. Faut-il s'attendre à un redéploiement des groupes terroristes dans d'autres pays. Au Niger ou en Libye, notamment ? Il ne fait aucun doute que ces pays seront le terrain propice pour les groupes terroristes. Il est presque certain que l'intervention française au Mali avait aussi pour but de protéger le Mali qui sera le prochain maillon faible dans la région. En Libye, les milices font la loi et le régime libyen a peu de prise sur eux. Il ne peut en ce moment contrôler leurs capacités de nuisance. Je crois qu'on est parti pour une longue période d'instabilité dans la région. On le doit beaucoup à l'intervention en Libye. Mais la France est aujourd'hui en danger en Libye, pays qu'elle a participé à «libérer» du joug de Mouamar Kadhafi. L'attentat qui a ciblé son ambassade à Tripoli est un signal fort... Que ce soit en Libye ou aujourd'hui en Syrie, les djihadistes utilisent l'Occident pour les aider à défaire les régimes «taghout» en place. Une fois le régime tombé, ils mettent à exécution leur stratégie antioccidentale. En d'autres termes, il existe une alliance qui ne dit pas son nom entre les djihadistes et l'Occident. Une fois l'ennemi commun éliminé, les djihadistes s'attaquent à certains intérêts occidentaux. Mais plus que l'intervention en Libye, c'est l'intervention au Nord-Mali qui a généré la colère des djihadistes contre la France. Donc il n'est pas surprenant qu'ils s'attaqueront aux intérêts de la France là où ils en ont l'occasion. Une information rapportée par le journal Al Qods Al Arabifait état du déploiement d'une unité d'élite de l'armée américaine en Espagne. Sa mission serait d'intervenir en Algérie en cas de détérioration de la situation politique. Quels sont les objectifs réels d'une telle initiative ? Je ne pense pas que ce déploiement concerne uniquement l'Algérie. Il semble que ce sont les régions du Maghreb et du Sahara-Sahel qui sont concernées depuis les révoltes arabes et les répercussions de la guerre en Libye. Certes, la situation en Algérie est préoccupante. Cela est dû à l'incertitude politique que la problématique de la succession ou un quatrième mandat présidentiel ont générée.