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“Comment je perçois la visite de Chirac�
Abdelaziz Rahabi à Liberté
Publié dans Liberté le 18 - 04 - 2004

Ancien ambassadeur, ancien ministre de la Communication, M. Rahabi explique le sens de la visite du président français en Algérie et expose les enseignements qu’il a tirés de la dernière élection présidentielle.
Liberté : Quelques jours après la réélection de M. Bouteflika, le président français vient d’effectuer une visite en Algérie, quel sens donnez-vous à cette visite ?
Abdelaziz Rahabi : Je ne vois pas de rapport direct entre la visite et l’élection présidentielle. Sinon, cela aurait été perçu comme une forme d’ingérence dans les affaires intérieures de l’Algérie, considérant les conditions dans lesquelles le président Bouteflika a été réélu. Il s’agit plutôt, à mon sens, d’une visite qui a une relation directe avec la perte d’influence de la France au Maghreb, notamment avec l’arrivée des socialistes au pouvoir en Espagne. Parce que la France est absente sur le plan économique en Algérie.
Elle représente à peine 7% des investissements directs étrangers dans le secteur des hydrocarbures derrière les États-Unis et l’Italie qui bénéficient respectivement de 35% et 14%. De même qu’elle est absente dans les grands projets d’équipement, entre autres, le métro d’Alger, l’aéroport, le chemin de fer et la fourniture de l’équipement militaire. Deuxième aspect important : l’arrivée de la gauche au pouvoir en Espagne qui va certainement provoquer la redistribution des cartes dans la région.
Comment ?
Aznar, du fait de son engagement aux côtés des USA en Irak, a pu imposer les thèses espagnoles sur la question du Sahara occidental en confiant au Conseil de sécurité de l’ONU, la responsabilité du règlement de cette question de décolonisation. Aujourd’hui, l’axe Paris-Madrid risque de défavoriser l’Algérie dans la mesure où M. Zapatero, le nouveau Premier ministre espagnol, autant que Chirac, pense que la stabilisation du Maroc passe par le règlement politique et négocié de la question sahraouie. En d’autres termes, on demande à l’Algérie de faire des concessions majeures sur la question du Sahara sans se préoccuper des conséquences de cette attitude sur les intérêts diplomatiques de l’Algérie.
Mais comment expliquez-vous cette nouvelle orientation ?
Les derniers attentats de Madrid et les nouvelles orientations de la politique extérieure espagnole confortent les thèses françaises selon lesquelles il faut stabiliser le Maroc pour, non seulement sauver la monarchie, mais prévenir l’Espagne du risque de déstabilisation. Il faut ajouter à cette question que la Libye s’est déjà engagée auprès de la France et du Maroc à inscrire le problème sahraoui à l’ordre du jour du prochain sommet de l’UMA.
Lors de sa visite en Algérie, le président Chirac a situé le problème du Sahara occidental dans un cadre bilatéral, algéro-marocain, et cela n’a pas suscité de réaction officielle de la part des autorités algériennes…
C’est ce que suggère M. Chirac depuis longtemps déjà . Sur cette question, il est naïf de croire qu’un chef d’État d’une grande puissance se déplace pour partager les joies d’un président fraîchement élu. Mais si en Algérie, on le croit toujours, c’est tout simplement parce qu’on ne retient des visites diplomatiques du chef de l’État que les aspects protocolaires, les honneurs et l’apparat. Pour revenir au sujet, en réalité, la déclaration du président français n’est pas surprenante, comme ne l’est pas, surtout, l’absence de réaction officielle à cette offre qui risque de provoquer une rupture du consensus autour de la politique étrangère de notre pays.
Pensez-vous que Jacques Chirac n’est venu à Alger que pour cela ?
Pour moi, c’est clair. Je n’ai pas relevé dans ses déclarations un appel de nature à consolider les rares acquis démocratiques en Algérie. C’est un voyage qui a l’apparence d’une visite de courtoisie mais qui constitue un moment fort et délicat pour la question sahraouie.
Pour revenir à l’élection du 8 avril, quel enseignement en tirez-vous ?
J’ai tiré essentiellement trois enseignements. Le premier : je suis conforté dans ma conviction que l’armée n’accompagnera pas la transition démocratique en Algérie. Il n’y a pas eu de tels exemples dans le monde arabe.
L’Algérie ne fera pas exception, et la société civile a tort de faire le parallèle avec les expériences espagnole et portugaise en la matière.
Le deuxième : quand l’armée donne l’apparence de se retirer du champ politique, elle délègue provisoirement ses pouvoirs à l’administration et à la police politique.
Le troisième : je suis complètement sidéré par le niveau de mystification.
On fait croire à notre peuple qu’il ne peut pas prétendre à mieux tant dans ses conditions de vie quotidienne que dans le choix des hommes qui doivent gérer ses affaires et ce, en actionnant uniquement deux leviers, la fermeture des champs politique et médiatique.
Cela a fait croire aux gens, par exemple, que la paix n’est pas revenue grâce aux sacrifices de 200 000 citoyens mais par la grâce d’un homme providentiel.
Que faire, donc, devant cette nouvelle situation ?
Continuer à travailler, continuer à expliquer qu’il y a des alternatives sérieuses à l’imposture, au mensonge et à la corruption et que celles-ci ne sont possibles que dans des conditions de liberté, de transparence et de justice. C’est un combat de générations. Il n’est pas celui des opportunistes et des rentiers.
S. R.


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