L'évacuation, samedi dernier, de Abdelaziz Bouteflika vers l'hôpital militaire français, le Val-de-Grâce à Paris, plonge le pays dans une situation pour le moins inédite : à moins d'une année des présidentielles, l'homme aurait certainement tout souhaité sauf à être rattrapé par ce coup du sort qui réduit presque à néant une stratégie minutieusement menée depuis des mois pour s'imposer au-delà d'avril 2014. Kamel Amarni - Alger (Le Soir) - N'est-ce pas, en effet, que toute la vie politique en Algérie ne se résumait plus, depuis plusieurs mois, à savoir si, oui ou non, Bouteflika briguerait un quatrième mandant ? Tout, absolument tout et tous d'ailleurs, est (était ?) suspendu à la décision de celui qui tient le pays depuis plus de quatorze ans. Arrivé au pouvoir le 15 avril 1999 un peu comme l'ont fait tous ses prédécesseurs, c'est-à-dire grâce à l'armée, Bouteflika s'y maintiendra par deux coups de force successifs. Le premier en 2004 lorsque, pour empêcher Ali Benflis, alors secrétaire général du Front de libération nationale, de lui succéder, il ira jusqu'à commanditer un putsch contre le parti. D'autorité, il clonera (c'est le mot) le FLN auquel il substituera le «mouvement de redressement» que le ministère de l'Intérieur et une décision de justice de «nuit» s'empresseront de reconnaître. La suite, tout le monde la connaît. En 2008, deuxième coup de force. Il interviendra cette fois-ci, comme ce genre de putsch intervient dans les pays du tiers monde, via une révision constitutionnelle qui, en l'espèce, sautera le verrou de la limitation des mandats présidentiels à seulement deux, une disposition introduite par Liamine Zeroual dans la Constitution de 1996. Bouteflika pouvait dès lors postuler à un troisième mandat qu'il obtiendra le 9 avril 2009 sans avoir à mener le moindre combat, faute de concurrents. Tous les candidats sérieux, échaudés par la traumatisante épreuve de 2004, avaient en effet préféré ne plus se lancer dans une course perdue d'avance. En ce printemps 2013, cette posture d'extrême vigilance est toujours de mise chez ces mêmes candidats réellement présidentiables. Bouteflika, qui aura 77 ans en 2014 et qui se sait d'autant plus diminué par son état de santé et les bouleversements spectaculaires que connaît le monde depuis janvier 2011, semble avoir entrepris, depuis septembre 2012, de peaufiner une autre stratégie de maintien au pouvoir, par défaut cette fois-ci. Ce qui explique l'éviction de Ahmed Ouyahia du gouvernement d'abord, du RND ensuite, suivi peu de temps après par Abdelaziz Belkhadem, sommé à son tour de quitter le FLN après l'avoir été du gouvernement en même temps que Ouyahia. Curieusement aussi, ces deux partis, sur lesquels le pouvoir s'appuie depuis 1997, sont toujours empêchés de régler leurs crises respectives. Bien évidemment, Bouteflika voulait gagner du temps pour n'agir qu'au moment opportun, lorsqu'il aura assuré toutes les conditions qui lui permettraient d'imposer sa candidature. Bouteflika, qui ne s'est jamais réellement remis de sa lourde maladie qui avait nécessité sa première évacuation en urgence sur l'hôpital du Valde- Grâce en novembre 2005, n'est plus vraiment le même que celui qui écrasait la vie politique et médiatique nationale sans partage de avril 1999 jusqu'à fin 2005. N'empêche, il réussira à honorer tous les rendez-vous importants et à assurer une présence protocolaire du moins qui avait fini par dérouter tous les observateurs nationaux et internationaux. Bien sûr, les initiés savaient bien que Bouteflika était sous traitement avec des séjours réguliers au Val-de-Grâce et un autre hôpital de Genève en plus d'un staff médical hautement compétent qui le suit constamment sur Alger. La raison d'Etat, ici et ailleurs, en France et en Suisse notamment aura permis que tout cela soit tenu loin des feux de la rampe. Mais pas une évacuation comme celle de samedi dernier vers l'hôpital du Val-de-Grâce. Certes, le communiqué officiel endossé par le professeur Bougherbel se veut rassurant. Il est également aléatoire de se prononcer sur l'état de santé réel de Bouteflika, l'hôpital où il se trouve étant, ne l'oublions pas, une enceinte militaire. Mais ce qui est certain, par contre, est que «cet accident ischémique» et l'évacuation rendue publique constituent une publicité désastreuse et, fort probablement, le véritable coup de grâce pour le 4e mandat.