Dans le long processus de construction de la mémoire d'une nation, il y a des dates-repères, quelquefois dramatiques, qui reviennent régulièrement. 2003 en est une pour l'Algérie. Cette année occupe une place particulière dans la mémoire des Algériens. Pour l'évocation de la date en question, on peut lui attribuer une appellation et dire, pour reprendre le jargon populaire ; aâm ezzenzla (année du séisme) comme on disait aâm el guerra année de la guerre), aâm ettyphis (année du typhus) ou aâm echerr (année de la faim). En effet, le tremblement de terre de 2003 qui a ébranlé trois wilayas du Centre du pays Boumerdès, Alger et Tizi- Ouzou) – à forte densité humaine – a ceci de particulier : les répliques ont duré quasiment une année. De plus, à peine il a commencé à entrevoir la sortie du cauchemar que lui a imposé depuis plus d'une décennie, l'islamisme politique, lequel s'est attaqué, avec haine et acharnement, à l'élite du pays, ses valeurs, ses institutions et son économie, le peuple algérien affrontait durant un laps de temps court dans la vie d'une nation deux catastrophes qui ont causé morts et désolation : les inondations de Bab El Oued 2001) et le tremblement de terre de Boumerdès. Le drame Ce mercredi 21 mai 2003 était une journée inhabituellement chaude, presque caniculaire. C'était une journée de printemps, mois du renouveau, d'espérance, de bonheur et aussi une période propice aux serments des amoureux qui préparaient leur plus beau jour. Il était 19 heures 44 minutes, d'un jour presque ordinaire. Les amateurs de la balle ronde commençaient à rentrer chez eux pour suivre la finale d'une coupe d'Europe dont l'un des finalistes était le Bayern de Munich. Les mamans commençaient à appeler leurs progénitures avant la pénombre. A Dellys la fête d'un mariage battait son plein. Brusquement, des entrailles de la terre parvenaient de terribles grondements, le sol ondulait, les maisons chancelaient, le rivage de la Méditerranée se vidait de son eau turquoise, le crépuscule tombait subitement sur les cités et les villages. Le temps s'est figé et l'humain constatait son impuissance devant la puissance de la nature. Un long silence drapait l'atmosphère. Puis des nuages de poussière montaient, les cris de douleur. La Faucheuse se livrait à une course macabre pour prélever sa dîme. A Déllys, des hommes, des femmes et des enfants chantaient et dansaient pour le bonheur d'un homme et d'une femme qui venaient de s'unir pour la vie. Le malheur s'est abattu sur eux comme le pied d'un cyclope qui écraserait un oisillon. 80 d'entre eux ainsi que les deux mariés ne verront plus jamais le soleil briller sur leur ville millénaire. Zaky et Louiza, de la cité Ibn Khaldoun de Boumerdès emporteront à jamais leur beauté angélique et laisseront une douleur incommensurable dans le cœur meurtri de leurs mamans. Les régions de la Basse-Kabylie et de l'est de l'Algérois venaient d'être secouées par un terrible séisme et l'Algérie subissait dans sa chair une catastrophe majeure, celle causée par la nature et les cycles de la vie. Lourd bilan Le tremblement de terre du 21 mai 2003 d'une magnitude, estimation des experts, à 7,2 sur l'échelle de Richter qui en comprend 9, a été localisé, en mer, à 7 kilomètres au nord de l'embouchure de oued Issers dans la commune de Zemmouri (wilaya de Boumerdès). 26 communes d'Alger et 4 de Tizi-Ouzou ont été touchées, mais ce sont les 24 municipalités de la wilaya de Boumerdès qui en compte 32, plus proches de l'épicentre du séisme comme Zemmouri, Dellys, Sidi Daoud, Bordj- Ménaïel, Thénia et surtout le chef-lieu de wilaya qui ont le plus souffert de la secousse principale et de ses nombreuses répliques atteignant parfois 6 points sur l'échelle de Richter. Le sinistre bilan faisait état de 2 300 morts et plus de 12 000 blessés. Des dizaines de milliers de bâtisses publiques ou privées ont été partiellement ou totalement détruites. Le gouvernement avait estimé les dégâts à 5 milliards de dollars. La colère Quelques heures après le drame national, les citoyens, surtout les nombreuses familles sinistrées sont entrés dans une grande colère. D'une part l'Etat, tétanisé par l'ampleur de la catastrophe a mis du temps à réagir pour aider les familles sans toit et, d'autre part, la population a découvert avec effroi qu'une grande partie des logements récemment construits étaient bâtis avec de graves malfaçons. Des entrepreneurs sévissaient en toute impunité depuis des décennies dans un système d'urbanisme et de construction gangrené par la corruption. Les pouvoirs publics ont essayé de juger quelques petits entrepreneurs, des cadres et responsables d'entreprises publiques mais le procès a été vite oublié. Le pouvoir politique a, par ce procès, mené une action de diversion pour cacher son incurie alors qu'il devait, au nom de l'Etat, éditer des normes de constructions parasismiques et, surtout, faire respecter la réglementation en matière d'urbanisme et de construction. A Zemmouri par exemple, des logements construits par des tâcherons pour l'Office de promotion et de gestion immobilière (OPGI) se sont effondrés, le 21 mai 2003, quelques jours seulement après la remise des clés aux familles On s'était aperçu ensuite que les constructions anarchiques, les malfaçons, le manque d'entretien et les modifications illégales dans les structures des habitations ont été les principales causes des effondrement des édifices et par conséquent responsables de nombreuses victimes. Le fameux immeuble numéro 10 de Réghaïa qui a laissé un très lourd bilan de morts avait fait l'objet de modifications des structures du bâtiment de 10 étages.