Vingt ans sont déjà passés depuis l'ignoble assassinat de l'écrivain algérien Tahar Djaout par des intégristes islamistes pressés d'éliminer cet intellectuel qui dérangeait par sa plume acerbe leur projet obscurantiste. Son évocation les 25 et 26 mai à la Maison de la Culture Mouloud Mammeri de Tizi-Ouzou par ses amis, ses proches et les gens de lettres qui l'ont connu pour parler de sa vie, son œuvre et sa trajectoire d'intellectuel profondément attaché à son pays ont aussi révélé les qualités de cœur et l'humanisme de cet homme qui avait mis toute sa verve intellectuelle au service de son pays. Au-delà de l'écrivain, du poète et du journaliste qu'il était, on découvre, à la faveur des témoignages de ceux qui l'ont côtoyé dans son intimité ou dans son travail un citoyen modeste et modèle, un homme qui porte son pays dans son cœur. Tahar n'était pas contre l'Islam. Il a cotisé pour la construction de la mosquée d'Oulkhou et participé aux travaux. Son amour pour la nature et les oiseaux pour la terre Algérie est décliné chaque jour en vers et en prose. Un jour, il avait insisté pour qu'on enterrât le cadavre d'un passereau découvert mort. Premier journaliste à avoir fait les frais de l'intégrisme pour porter un coup de grâce à l'intelligence et au courage qu'il incarnait, il avait milité sans relâche dans la transparence pour la démocratie et la liberté et c'est à ce titre qu'il symbolisait la résistance. Les termes de son entretien audio avec son confrère Mohand Arezki Himeur à l'avant-veille de son assassinat, et diffusé sur la BBC le jour de l'attentat, sont d'une actualité brûlante. Ses analyses sont, vingt ans après sa mort, celles d'un penseur visionnaire et d'un humaniste. Le temps lui a donné raison quand il disait que c'est l'idéologie arabo-islamique du FLN qui a enfanté l'islamisme et que la lutte contre l'intégrisme était un mal nécessaire sauf qu'il fallait le combattre avec les armes d'un Etat de droit et par l'arsenal des droits de l'homme. Tout comme il avait salué le sursaut d'intelligence de ceux qui ont stoppé le processus électoral qui allait mener le FIS dissous et son idéologie totalitaire au pouvoir. La main basse du courant arabo-islamique sur l'école et le mise en concurrence de l'anglais dès la 4ème année primaire pour contrer les intellectuels francophones et supplanter le français, concession du ministre de l'époque au courant idéologique, relevait selon lui d'un non-sens dans un pays trilingue qui a donné naissance à des écrivains de dimension universelle. Son ami Gasmi Ali raconte comment Tahar avait travaillé d'arrachepied la veille de son assassinat pour préparer la maquette de l'hebdomadaire et le salaire du personnel de la rédaction et des travailleurs. Tahar était toujours présent à Tajmaat du village, devisant avec les sages et échangeant poliment avec ceux de son âge sans jamais chercher à imposer ses points de vue d'intellectuel avisé. Son enfance aux champs, ses jeux, sa frustration de ne pas aller à l'école du village surchargée, sa soif de savoir et sa passion de la lecture lui ont permis d' apprendre à lire en un mois. Fervent de l'histoire de l'antiquité amazighe, il dévorait les ouvrages universels. Dans ses œuvres, note son ami, il raconte, poétise et philosophe mais revient toujours sur la vie de son village et de personnages vivants. Le vigile de Oulkhou a parlé aussi de la guerre et de ses horreurs comme la torture infligée à son père mais dont il ne parlait jamais. Comme un historien, il écrivait sans passion sur des sujets de passion. Plus critique et littéraire, le témoignage de Youcef Merahi qui a entamé un travail de recherche sur le défunt ,évoque la passion, le désir de dire et le génie littéraire de Djaout. Pour le conférencier Djaout n'était pas un journaliste, mais un créateur qui a mis son talent d'écrivain et de poète au service du journalisme. Tout comme Djaad, il pense que si Djaout avait de quoi vivre, il n'aurait pas fait de journalisme. Très éclectique dans ses sorties nationales et internationales, il a raconté, comme pas un, son voyage à Aden. Personnalité très riche de ses idées, écrivain, poète, journaliste, nouvelliste, il s'était aussi initié à la recherche. Son interview avec Mammeri est incontournable. Selon Merahi qui trouve que Les Rets de l'Oiseleurest le plus beau recueil de poésie avec Hzem El Ghoula de Rachid Mimouni. Fondamentalement poète, Tahar Djaout utilisait de la poésie dans sa prose et de la prose dans sa poésie.