Par Ammar Belhimer [email protected] Une nouvelle et récente publication de la Banque mondiale vient nourrir notre algéro-scepticisme et alimenter notre critique, déjà acerbe, des politiques économiques dans un contexte général de gadoue néocapitaliste dans laquelle nous nous sommes enlisés de notre propre chef. «Dans moins d'une génération, le monde en développement dominera l'épargne et les investissements mondiaux. » Sans nous, faut-il préciser, en toute objectivité. A défaut d'être émergente, l'économie algérienne est, au mieux, divergente. C'est ce qui ressort du dernier rapport intitulé Capital for the Future : Saving and Investment in an Interdependent World (Les capitaux de demain : épargne et investissement dans un monde interdépendant)(*). Le document projette l'évolution probable des tendances en matière d'investissement, d'épargne et de mouvement de capitaux au cours des vingt prochaines années. Il prévoit que la part des pays en développement dans les investissements mondiaux va tripler d'ici 2030, au profit principalement de ceux d'Asie de l'Est et d'Amérique latine. Le montant de ces flux financiers avoisinera les 158 000 milliards de dollars (en dollars de 2010). «Le rattrapage des retards de productivité, l'intégration croissante dans les marchés mondiaux, la poursuite de bonnes politiques macroéconomiques ainsi que les progrès accomplis dans l'éducation et la santé sont autant de facteurs d'accélération de la croissance qui créent d'énormes opportunités d'investissement, lesquelles entraînent à leur tour une modification de l'équilibre économique mondial en faveur des pays en développement », résume le document. Ce dernier projette deux scénarios, en fonction : - de la vitesse de rattrapage entre les niveaux de revenu par habitant des pays développés et des pays en développement (là où la rente pétrolière assure des performances molles), - et du rythme des transformations structurelles des deux blocs, s'agissant particulièrement du développement du secteur financier et de l'amélioration des institutions (là où nous accusons des déficits chroniques avérés). Ce rattrapage est plus ou moins rapide selon le scénario, mais dans les deux cas, les services représenteront plus de 60% de l'emploi total dans les pays en développement et plus de 50% du commerce mondial à l'horizon 2030. Une mutation induite par l'augmentation de la demande en services d'infrastructure, elle-même impulsée par l'évolution démographique. Ces besoins de financement d'infrastructures du monde en développement d'ici 2030 représentent pas moins de 14 600 milliards de dollars. Une autre tendance marquante se dessine également : le vieillissement des populations d'Asie de l'Est, d'Europe de l'Est et d'Asie centrale, avec, corrélativement, une baisse particulièrement marquée des taux d'épargne privée. Le vieillissement des populations a pour incidence première l'alourdissement des charges des soins de santé et des retraites. Selon le scénario de convergence progressive, en 2030, la Chine représentera à elle seule 30% des investissements mondiaux, tandis que le Brésil, l'Inde et la Russie y contribueront ensemble à hauteur de 13%. Le tournant est là : «En volume, les investissements atteindront 15 000 milliards (en dollars de 2010) dans les pays en développement contre 10 000 milliards pour les pays à revenu élevé. La Chine et l'Inde seront aussi en tête du classement des plus gros investisseurs du monde en développement, ces deux pays représentant ensemble 38 % des investissements bruts mondiaux en 2030 et près de la moitié des investissements mondiaux dans le secteur manufacturier.» Quid de notre région ? Elle a engrangé d'importantes ressources financières qui, tels des bas de laine, continueront de soutenir l'investissement, mais le vieillissement de la population affectera fatalement l'épargne. Une étude du FMI(**) accentue le trait noir des sombres perspectives qui attendent la région : «Une croissance modeste est prévue dans toute la région (...) Un fléchissement de la croissance vigoureuse des pays exportateurs de pétrole de la région est attendu cette année : les augmentations de la production devraient être ralenties étant donné la faiblesse de la demande mondiale de pétrole. » Ce que le rapport n'aborde pas, ce sont les implications politiques des performances économiques des pays les plus dynamiques : les BRICS (le Brésil, la Russie, l'Inde, la Chine et l'Afrique du Sud – depuis 2010) qui font entendre depuis peu une voix dissonante, anti-occidentale. Leur bloc compte aujourd'hui deux membres permanents du Conseil de sécurité et trois puissances nucléaires. Il a un point commun : le rejet de la domination occidentale sur le monde. Ils activent pour la démocratisation des mécanismes de décision au sein de l'ONU et pour l'amélioration des termes de l'échange au profit des pays les plus pauvres au sein de l'Organisation mondiale du commerce (OMC). Exactement comme le faisait notre pays à ses heures de gloire, dans les années 1970, en faveur de la décolonisation et pour un nouvel ordre économique international. Nous avons été éjectés de la sphère de décision internationale en raison de l'arbitraire qui s'est installé aux commandes avec son lot de médiocrité, d'incompétence et de rapine. Les BRICS ont repris le flambeau. Une structure de coordination, le G20, a été créée en 2003. En 2009, le premier sommet des BRIC — qui n'étaient encore que quatre — organisé par la Russie, avait revendiqué une représentation plus importante dans les institutions financières internationales. En 2011, le sommet de Sanya, en Chine, a demandé une réforme en profondeur de l'ONU, y compris de son Conseil de sécurité. Tout récemment, le sommet de Durban a réitéré la demande. Poussant plus loin leur effort commun, les cinq BRICS ont décidé de créer une Banque de développement pour suppléer aux carences de la Banque mondiale. De même qu'ils projettent de consacrer une partie de leurs réserves de change pour créer un fonds qui ferait contrepoids au FMI.