Par Hassane Zerrouky En décidant de lever l'embargo sur les armes à destination des insurgés syriens, l'Union européenne, sous la pression de ses deux va-t-en guerre que sont la France et la Grande-Bretagne, a pris une décision lourde de conséquences. Loin de contraindre le régime de Béchar à négocier son éventuel retrait de la scène syrienne et peser sur le rapport de force, cette mesure va certainement aggraver la situation. Paris et Londres, qui n'ont jamais cru à une solution politique du conflit et qui se sont mis en tête, depuis le début de la guerre civile syrienne, de renverser le régime de Béchar al-Assad, ne visent rien de moins qu'à torpiller la conférence internationale de Genève voulue par les Américains et les Russes. Damas, on le sait, a décidé de se rendre à Genève, alors que la Coalition de l'opposition syrienne, victime de ses divisions et otage de la lutte d'influence entre le Qatar, l'Arabie saoudite et la Turquie, n'arrive toujours pas à unir ses rangs et à se décider si elle va participer ou non à cette conférence internationale. La conférence de Genève, dite «Genève II», risque donc de connaître le même sort que la précédente rencontre de juin 2012 qui avait adopté un plan de paix auquel le Qatar avait prédit un échec avant même qu'il n'entre en application. Le même Qatar, décidément, avait également prédit l'échec de la mission de Kofi Annan en février 2012 avant même qu'il n'entame sa mission. Mais comme on est dans un monde où une info chasse l'autre, on a tendance à oublier les responsabilités des uns et des autres, notamment celles de certains acteurs régionaux, pour se focaliser sur l'actualité, sur le présent. Il n'en reste pas moins que le conflit syrien a déjà consommé deux émissaires onusiens, Kofi Annan d'abord et Lakhdar Brahimi ensuite, dont la mission a été enterrée lorsque la Ligue arabe, sous la pression des pétromonarchies du Golfe, a décidé d'attribuer le siège réservé à la Syrie à l'opposition syrienne. Et ce, même si Lakhdar Brahimi s'est dit prêt à reprendre son bâton de pèlerin de la paix au cas où «Genève II» aboutirait à un résultat encourageant. Mais comme les miracles n'existent pas en politique... Voyant que la situation prenait une autre tournure, et échaudée par l'expérience libyenne, la Russie, qui a des intérêts à défendre dans une région où l'ex-URSS était déjà présente, a annoncé qu'elle livrerait des missiles SA-300 au régime syrien. «Nous pensons que cette livraison est un facteur stabilisateur et qu'à bien des égards, de telles mesures retiennent certaines têtes brûlées de s'aventurer sur des scénarios qui pourraient donner à ce conflit un caractère international avec la participation de forces extérieures», a estimé hier le vice-ministre des Affaires étrangères, Sergueï Riabkov, dans une claire allusion à une éventuelle intervention militaire de l'Otan. Celle-ci est probable. Paris, qui avait critiqué la juge Carla del Ponte accusant les insurgés syriens d'usage d'armes chimiques, retourne l'accusation contre l'armée syrienne en se basant sur un reportage du journal Le Monde. Personnellement, en regardant la vidéo diffusée sur le site du Monde, je m'attendais à voir des centaines de cadavres de gens gazés comme ce fut le cas à Hallajba dans le Kurdistan irakien en 1991 ! Mais bon, cette histoire d'armes chimiques rappelle un précédent fâcheux : l'Irak. En 2003, Colin Powell, qui aujourd'hui accuse la CIA de l'avoir trompé, avait brandi devant le Conseil de sécurité de l'ONU des «preuves» et des images satellites prouvant que le régime de Saddam possédait des armes chimiques afin de justifier la guerre américaine qui se préparait contre l'Irak. Le mensonge a porté et l'Irak a été détruit ! Il risque d'en aller de même pour la Syrie, et ce, quelle que soit l'aversion que nous avons envers le régime dictatorial de Béchar al-Assad. Un renversement par la force comme le préconisent Londres et Paris en concertation avec Washington ne se traduira pas par une victoire de la démocratie. Seuls Djebhat Nosra et ses alliés islamistes, actuellement dominants au sein de la «résistance » armée syrienne, et par ricochet Israël, tireront profit de la situation qui se dessine. Mais bon, Fabius et son homologue britannique William Hague s'en contrefoutent de ce qui se passera ensuite. Leurs déclarations rassurantes sur la transition syrienne après la chute de Béchar — on l'a déjà vu dans le cas libyen — ne trompent personne.