Par Leïla Aslaoui-Hemmadi Il y a quelques jours (1er juillet 2013), des représentants du Conseil de la paix et sécurité de l'Union africaine se sont retrouvés à Alger autour du thème : «Réconciliation nationale : facteur crucial pour la sécurité et la stabilité en Afrique». Prévu depuis longtemps, ou organisé dans l'urgence par le ministère des Affaires étrangères dans le but de combler le vide politique et l'immobilisme qui siéent à notre pays sans Président depuis plus de deux mois, l'événement ne mériterait pas de commentaires et de réactions n'était le discours enflammé de Mourad Médelci, ministre des Affaires étrangères, sur la réconciliation nationale version algérienne. Que celui-ci ait vanté, glorifié, porté aux nues la loi de l'impunité décrétant en 2005 (29 septembre 2005) l'absolution des terroristes islamistes sans qu'ils fussent poursuivis, jugés et condamnés était attendu. En effet, outre le fait que Médelci est connu pour son caractère accommodant avec ses chefs, il convient également de souligner qu'il avait parfaitement «le droit» de se montrer enthousiaste car que sait-il du terrorisme islamiste ? Les islamistes ont-ils assassiné un de ses enfants, une épouse, un frère policier ou militaire, un ami, un voisin ? Non ! Médelci pouvait dès lors vendre en toute impunité à ses frères africains la loi sur l'impunité. Par contre, lorsqu'il déclare que cette loi fut une «expérience réussie», il convient de souligner que l'argumentaire à ce niveau-là ne résiste pas à l'examen. Qu'a donc démontré et prouvé Médelci ? 1) Que la réconciliation, a-t-il déclaré, fut un choix souverain et une exigence du peuple qui s'est prononcé par référendum du 29 septembre 2005. 2) Que la concorde civile puis la réconciliation (en réalité amnistie générale) ont permis la repentance de milliers de terroristes et la dissolution de leurs groupes. 3) Qu'enfin l'Algérie a rassemblé tous ses enfants. Bien entendu qui dit expérience dit démonstration, preuves, témoignages, argumentation. Le ministre a balayé toutes ces choses d'un revers de main pour ne laisser place qu'à la langue de bois. 1) Qui ignore encore qu'en guise de référendum il y eut, comme à l'accoutumée, une élection frauduleuse et que jamais au grand jamais il n'y eut 98 % de votants ? 2) De quelle repentance s'agit-il ? Quel terroriste islamiste a-t-il déclaré publiquement regretter ses crimes ? Lequel a-t-il imploré le pardon des victimes ? L'un d'entre eux s'est dit fier d'avoir égorgé un militaire et de lui avoir pris son arme. C'est l'unique «repentance» dont nous nous souviendrons. 3- De quelle «expérience réussie» s'agit-il ? Est-ce la levée des poursuites judiciaires à l'intérieur comme à l'extérieur du pays à l'encontre de tous ceux qui ont été impliqués dans des crimes et délits, les terroristes islamistes ? Est-ce l'annulation des décisions de justice prises à leur encontre ? Est-ce l'amnistie accordée à ces criminels de la pire espèce ? Est-ce leur réhabilitation pleine et entière y compris au sein de leurs secteurs d'emploi ? Sont-ce les privilèges financiers à eux accordés ? C'est donc cela l'expérience de Médelci qui a osé comparer la loi de l'impunité à l'expérience de l'Afrique du Sud dont l'objectif de la mise en place de la Commission «vérité et justice» était essentiellement la reconnaissance de la culpabilité des assassins afin de repartir sur de nouvelles bases. Cela a permis d'écouter et d'entendre l'autre. Les islamistes algériens, hier terroristes aujourd'hui héros, ont-ils eu à confesser leurs crimes ? Non parce qu'ils ont été blanchis et pardonnés, parce que leurs exactions dans les montagnes et ailleurs n'étaient que des «années sabbatiques». Est-ce donc cela une «expérience réussie» ? Le mal a-t-il été extirpé ? Que sera l'Algérie des enfants des deux côtés demain lorsqu'aujourd'hui l'on a décrété que le passé serait recouvert d'un glacis appelé amnésie forcée ? De quelle «expérience réussie», s'agit-il lorsqu'on a décidé de pardonner à la place des familles des victimes ? Comment Médelci ose-t-il parler d'exigence du peuple (en parlant de pardon) alors même qu'il n'y aura jamais de pardon tant que les plaies continueront à suinter ? Comment a-t-il osé parler de dissolution de groupes de terroristes alors même qu'après la loi sur l'impunité des attentats à la bombe ciblant le siège de l'ONU et le Conseil constitutionnel ont eu lieu engendrant de nombreux blessés et des morts ? Pour leurs mémoires et celles des autres victimes, Mourad Médelci aurait pu, à défaut de dire des choses judicieuses et vraies, se taire. Pardonner suppose que les fautes ont été reconnues, que la mémoire collective est bien vivante. La réconciliation n'est pas l'absolution et l'impunité. C'est une démarche et un long parcours où tous ceux qui ont les mains tachées de sang (l'assassin, le guetteur, celui qui a servi de soutien logistique, le commanditaire) doivent dire la vérité et pour cela ils doivent être jugés. Sans justice, il n'y aura jamais de guérison et de pardon. Pour quelles raisons ceux qui ont éventré hier des femmes enceintes, enfourné des bébés, décapité militaires, policiers, gendarmes, penseurs, intellectuels, journalistes, artistes, violé de jeunes femmes se promènent-ils libres dans la cité, offensant doublement les familles des victimes ou les victimes elles-mêmes ? Est-ce cela une «expérience réussie» et une «exigence du peuple» ? La réconciliation nationale n'aurait eu de sens que si l'Etat — et c'étaient son devoir et sa responsabilité — avait entendu prévenir par des mécanismes appropriés toute récidive de violence. Au lieu de cela «l'expérience réussie» de Mourad Médelci a engrangé cette violence sous couvert d'impunité. Alors «quels enfants a-t-on rassemblés ?» (déclaration de Médelci). Dans une Algérie souffrante où en 2013 un journaliste (directeur de Mon Journal) est interdit de sortie du territoire national pour avoir dit avant les autorités que le Président était malade, peut-on parler de réconciliation ? Mieux que cela ! Ce même journaliste est poursuivi pour atteinte à «la sûreté de l'Etat». C'est cela l'expérience réussie de Médelci. Ceux qui hier ont tenté par tous les moyens de plonger notre pays dans le chaos et ont pris les armes contre la République sont blanchis. Un journaliste qui a informé l'opinion sur l'état de santé du président de la République est interdit de quitter le territoire national et inculpé «d'atteinte à la sûreté de l'Etat». Rien que cela ! Dans une Algérie où en 2013 des candidats au baccalauréat utilisent la triche pour arriver à leurs fins parce que leurs «héros» sont désormais Chakib Khelil et consorts, il est clair que «l'expérience» de Médelci est une réussite. Dans une Algérie où les droits de la défense sont piétinés par l'Etat au point de contraindre des avocats à exprimer leur désapprobation dans la rue, il y a lieu de s'inquiéter sérieusement sur le devenir de la justice. Dans une Algérie où le plus petit rassemblement est férocement réprimé, il est à douter de la réussite de l'expérience de Médelci. Mais n'est-il pas celui qui nous avait déclaré le 10 juin qu'il recevait quotidiennement ses directives de son président ? A son peuple celui-ci n'a pas dit un mot... pas même un petit mot. Alors à quoi aura servi le show de Médelci ? A rien. Il est vrai qu'il a déclaré un jour dans un palais de justice qu'il avait manqué d'intelligence dans une affaire judiciaire célèbre. J'ai envie d'ajouter que c'est décidément souvent que Mourad Médelci manque d'intelligence. Sinon il se tairait et son silence serait le bienvenu. Notamment dans ce cas précis où, une fois de plus, un responsable a piétiné la mémoire de nos morts pour lesquels nous ne tournerons pas la page et ne pardonnerons pas.