Par Hassane Zerrouky C'est sous ce slogan trompeur parce qu'instrumentalisant la religion à des fins politiques jusqu'à l'absurde que les Frères musulmans, à l'instar des partis au Maghreb et dans les pays arabes et musulmans, avaient raflé la mise en Egypte en 2011-2012, remportant successivement les élections législatives et présidentielle, avant que le président Morsi ne fasse approuver par référendum une Constitution contestée par l'opposition ! Et si l'Occident capitaliste – n'ayons pas peur des mots – a joué la carte de l'Islam politique, parce qu'il sert fondamentalement ses intérêts stratégiques, un homme, l'économiste égyptien de gauche Samir Amin, avait vu juste quand il affirmait que les Frères musulmans, qu'il appelle le «parti des milliardaires», dirigé alors par le milliardaire Kheirat al Chater, ne pouvaient en rien répondre aux attentes des égyptiens les plus démunis. Car c'est sur le terrain social que les islamistes se sont cassé les dents comme on le verra plus loin. Certes, Hosni Moubarak n'a pas laissé à ses successeurs une situation sociopolitique reluisante. Mais les caisses de l'Etat n'étaient pas vides, et au plan économique, la situation bien que difficile, n'était pas aussi désastreuse qu'elle l'est aujourd'hui. Ce faisant, le Parti de la liberté et de la justice (PLJ), la vitrine politique des Frères musulmans, aurait très bien pu partir de l'acquis existant pour avancer. Mais il ne le pouvait pas parce que les Frères musulmans – ce parti de milliardaires — et Moubarak partageaient en commun une même vision néolibérale du développement. Le chômage, qui était de 9% fin 2010, est passé à 13% courant 2013. Les prix des denrées de base ont augmenté de 30% en moins d'un an. Le pouvoir d'achat a baissé du fait de la dépréciation de la valeur de la livre égyptienne. La pauvreté touche 40% de la population. Et ce, sans compter les pénuries de pain, de fioul, de gaz et d'essence sur fond de queues interminables avec bagarres devant les boulangeries et les stations d'essence, avec en plus une multiplication des coupures de courant ! La vérité, c'est qu'il était facile aux islamistes quand ils étaient dans l'opposition de faire croire aux pauvres qu'une fois au pouvoir, ils allaient régler les problèmes selon les règles de l'Islam et moraliser la société. Or, faire la charité comme le font ponctuellement et à grand renfort de publicité religieuse les organisations caritatives liées aux Frères musulmans et aux salafistes est une chose, mais mettre en œuvre une politique sociale durable au profit du plus grand nombre, en est une autre. En effet, une vraie politique sociale implique la mise en œuvre d'une stratégie de développement s'attaquant à la réduction des inégalités sociales, du chômage et de la pauvreté, à un engagement de l'Etat dans tous les domaines, une stratégie aux antipodes de la vision islamiste. Car les islamistes sont des partisans du tout libéral, du désengagement de l'Etat et de la dérégulation de l'économie, toutes choses dont rêvent les ultralibéraux occidentaux. Et avant de solliciter l'aide du FMI, Mohamed Morsi et ses amis ont bénéficié de l'aide du Qatar qui a octroyé une aide de 5 milliards de dollars à l'Egypte. Cela n'a pas suffi. Il ne restait que le FMI, prêt à accorder une aide de 4,7 milliards de dollars, voire plus à la condition que l'Egypte réduise ses dépenses sociales et s'impose une cure d'austérité socialement douloureuse pour les plus démunis ! Face à ces problèmes, Mohamed Morsi et les Frères musulmans ont cru s'en sortir en usant d'une arme déjà utilisée par Sadate et Moubarak : l'autoritarisme et la diversion. Ainsi en est-il de ses tentatives de mise au pas des juges, des médias – plus de 600 plaintes déposées contre les journalistes autant qu'en trente ans de gouvernance sous Moubarak –, le fait de renforcer l'emprise des islamistes à tous les niveaux de l'Etat comme la nomination des gouverneurs (11 sur 27). L'un d'entre eux, ancien du djihad islamique, nommé à Louxor là où, en 1997, à la tête d'un groupe armé, il avait assassiné plus de 50 touristes occidentaux, a, on le sait, été contraint de démissionner sous la pression populaire. Un projet de loi liberticide sur les ONG et le fait de vouloir régenter la société en cherchant à étendre la Charia n'ont fait qu'attiser les ressentiments contre lui. Aussi, ni de soudaines menaces de guerre envers l'Ethiopie, coupable de construire un barrage sur le Nil, ni la rupture spectaculaire avec Damas n'ont permis d'enrayer la chute des islamistes au sein de l'opinion. Le résultat est là : un an après, la désillusion le dispute à la déprime. Raillé, moqué et surtout contesté, Mohamed Morsi n'a aucun bilan positif pour sa défense.