Que reste-t-il de la nuisance des djihadistes d'Aqmi en Basse-Kabylie, tout particulièrement les plus redoutables phalanges — El Arkam et El Ansars — qui ont fait couler le sang de milliers de personnes, commis d'énormes destructions et ralenti au moins de deux décennies le développement de l'ouest de Kabylie ? Pour trouver une réponse proche de la réalité, il est nécessaire de survoler l'actualité de quelques régions et de localités du Rocher-noir comme la vallée du bas Sebaou, le nord de Bordj Ménaïel, le mont de Djerrah dans le centre de la wilaya, la région est de Dellys et les environs de Zemmouri. Pour des raisons sociologiques, géographiques et dans certains cas pour des visées sur l'économie locale, le GSPC puis Aqmi ont fait des localités indiquées des points d'ancrage de son activité criminelle. Pour rappel, la katibat El Ansars a été créée dans les années 1990 par l'un des fondateurs, en 1998, du GSPC (Groupe salafiste pour la prédication et le combat) Abdelhamid Saâdaoui. Il est originaire de Aïn El Hamra dans le nord de Bordj Ménaïel. Il a été abattu en 2007 à Oued Aïssi (T. Ouzou) par une unité spéciale des services secrets. Cette phalange écumait l'est de Boumerdès et une partie du nord de la wilaya de Tizi-Ouzou (Mizrana). Elle était au moment de son apogée dans l'activisme islamiste dans la zone 2 du GSPC (centre du pays) — la fin des années 1990 — celle qui avait le plus gros effectif. On lui impute, entre autres deux terribles attentats kamikazes. L'un avait ciblé l'unité de la Marine nationale de Dellys et le second, l'Ecole des officiers de la Gendarmerie nationale des Issers. A elles seules, ces deux attaques se sont soldées par une centaine de morts. Mais la plus redoutable, la plus efficace donc la plus sanguinaire aurait été la seconde katibat dont le territoire va du mont de Djerrah dans le sud de la petite ville de Ammal à Zemmouri dans le centre-nord de Boumerdès en passant par Aït Amrane, Thénia et Si Mustapha. Cette phalange a commis, à elle seule, sept attentats kamikazes uniquement dans la wilaya de Boumerdès. De plus, elle constitue, depuis la disparition de la katibat El Feth (ouest de Boumerdès), une véritable rampe de lancement pour les groupes armés qui commettaient les attentats dans la capitale, notamment la sinistre seriat El Hourra qui avait longtemps terrorisé la capitale avec des véhicules piégés. Les émirs d'El-Arkam auraient prêté main forte aux terroristes qui ont commis l'attaque contre le Palais du gouvernement. Le simple citoyen va donc se poser la question : que reste-t-il de la nuisance de ces katibates ? Nos avons choisi pour cette fois-ci de demander l'avis du citoyen de Boumerdès. La paix retrouvée En plus de notre suivi tout le long du mois de Ramadhan de la situation sécuritaire dans la région de Boumerdès, nous avons passé la journée d'hier au téléphone pour joindre un grand nombre de simples citoyens et de personnalités de la société civile des localités citées plus haut. Nos questions ont été les mêmes pour tous. Avez-vous eu vent d'un mouvement des terroristes dans votre localité ? Que pensez-vous de la situation sécuritaire dans votre localité ? «Chaque nuit du Ramadhan, nous nous déplaçons jusqu'à Azeffoun et dans la wilaya de Béjaïa pour veiller», atteste aâmmi Saïd un ancien GLD, d'Afir dans l'est de la ville Dellys. «C'est formidable. C'est la première fois que je me rends, de nuit, à Bordj Ménaïel depuis six ans. Je me suis déplacé jusqu'à Aïn El Hamra toujours de nuit pour assister à une fête familiale animée par une zorna», s'enthousiasme Rabah, un entrepreneur plusieurs fois victime du terrorisme. «Les gens cherchent maintenant à reprendre le travail dans les champs situés en amont du mont de Djerrah. Les jeunes d'Aït Amrane et de Tiza (Ammal ndlr) s'apprêtent à aller, ces jours-ci, en montagne pour faire la cueillette du caroube», rappelle le président de l'association Assirem. «Depuis plus de six mois, nous n'avons plus entendu quoique ce soit sur la présence de terroristes à Dellys. Il y a par contre plus de monde cet été dans notre ville et la circulation y est infernale», dit cet autre président d'association spécialisée dans la recherche marine. C'est globalement les mêmes réponses que nous avons eues de Zemmouri et Baghlia. Par contre, un ancien GLD de Sidi-Daoud nous a fait part de la présence de terroristes, mais en errance dans l'arrière-pays de cette commune. Hanab Djamel, la quarantaine, qui est monté au maquis au début des années 1990. «Avec deux ou trois acolytes, ils ont fait la tournée dans la montagne à la recherche de fellahs isolés à racketter, surtout en ce moment la veille des vendanges. Ils ne commettent pas d'attentats car ils n'en ont plus les moyens.» Il y a également cette affaire des fellahs de Leghata, racketés par un groupe armé qui tempère quelque peu l'optimisme général. Cependant, il est évident que les terroristes d'Aqmi sont nettement en recul à Boumerdès. Cette situation confirme quelque peu l'assertion d'un officier qui nous disait il y a de cela quelques mois : «Les terroristes ont fui vers la wilaya de Tizi-Ouzou où ils ont regroupé ce qui leur reste comme capacités de nuisance». Pourquoi la wilaya de Tizi Ouzou et pourquoi en ce moment même ? C'est la question que ne manquent pas de nous poser nombre de citoyens. L'énigme du groupe errant Dans ce tableau plein d'optimisme, il y a un fait qui ternit cet enthousiasme. C'est en rapport avec la dernière tentative menée à l'aube de l'Aïd El Fitr au habhab contre un poste militaire implanté dans le mont de Bouzegza (sud de Boudouaou). La tentative a fort heureusement échoué et trois terroristes ont été capturés, indiquent nos sources. Les services de sécurité ont, par ailleurs, récupéré toujours selon nos sources, le habhab et deux fusils d'assaut type «kalachnikov», est-ce le groupe qui a été en partie décimé en janvier dernier qui s'est recomposé pour mener cette attaque ? Pour rappel, en janvier 2013, un groupe de 16 éléments a été déniché dans les environs de la ville de Keddara. A la suite de l'offensive des services de l'ordre, neuf terroristes ont été éliminés. Un dixième aurait été éliminé plus tard à Sour El-Ghozlane dans la wilaya de Bouira. Pour revenir à l'attaque du poste, un citoyen de la localité n'a pas manqué de nous rappeler que les terroristes jouissent encore du soutien dans la région de Keddara au pied de Bouzegza, notamment auprès des familles d'éléments abattus par les services de sécurité. «Les couffins du Ramadhan, les pensions et autres aides continuent à descendre de la montagne pour secourir les familles des terroristes abattus», dit-il amèrement. Toujours au sujet de cette attaque, une source nous a avancé, hier, une version qui demande confirmation. Ce serait un groupe errant entre Blida, Bouira et Boumerdès qui a monté cette attaque. Ce groupe, important, dit-on, a été vu la première fois à La Chiffa dans l'ouest de Blida où il avait fait une incursion dans une base vie à la recherche d'expatriés chinois travaillant dans cette localité. Comme il n'a trouvé aucun étranger, il a quitté les lieux sans commettre de dégâts. Ce même groupe aurait été vu une seconde fois aux alentours de la ville de Tablat. Il aurait fait, selon notre source qui a une relation avec la base vie signalée plus haut, une autre incursion sur la RN5 au niveau des gorges de Ammal (ex-Palestro) dans la wilaya de Boumerdès. Si l'information s'avère juste, on peut considérer que ce groupe a bénéficié des orientations des terroristes qui ont échappé en janvier et du soutien que signale le plus le citoyen. On peut considérer, en outre, et c'est plus important, qu'Aqmi ne disposant plus de capacités militaires pour mener des attaques contre les services de sécurité et la population, regroupe ce qui lui reste comme éléments pour constituer des groupes errants à l'affût de la moindre occasion pour attaquer. Les émirs survivants joueront ainsi sur la mobilité pour échapper aux ratissages.