A quelque chose malheur est bon, dit un vieux dicton. Ce malheur, sous forme d'accident domestique, arriva un jour à Djamila, une jeune fille fraîchement diplômée de l'université qui souriait à la vie comme le soleil à la terre. Une malencontreuse chute, d'apparence banale, comme on en fait assez souvent mais qui provoqua un traumatisme à cette fille aussi douce que la brise de l'été. De cette chute, elle ne se relèvera plus : paralysie des membres inférieurs. Un calvaire qui dura des mois pour cet ange qui se voyait freinée dans ses ambitions et contrariée dans ses projets. La voilà privée des simples gestes de la vie quotidienne, elle qui aimait tant bouger, voltiger sous le soleil doux comme le papillon des jardins qui, insouciant, sait donner tout son sens à sa courte vie, comme l'abeille qui tire le meilleur nectar de ces fleurs parfumées comme seul sait en faire le printemps synonyme du réveil de la nature. La voilà clouée au lit et prisonnière de rêves, transformés en cauchemars par ce coup du sort, des rêves qu'elle ne pourrait réaliser maintenant qu'elle a perdu l'usage de ses jambes. Le fauteuil roulant devient son antre, son moyen de locomotion dans le petit espace de la maison familiale devenue son monde, son territoire et son univers. Scientifique invétérée (elle est ingénieur en électronique), Djamila est aussi douée d'une grande sensibilité. La fibre poétique des «matheux», quand elle se réveille, est telle ces torrents impétueux qui charrient autant de tendresse que ne peut contenir le monde entier, autant de générosité et de bonté que peut contenir ce monde rétréci et soudain devenu trop petit pour elle qui aimait tant les grands espaces. Djamila n'est pas comme cette fille chantée par Lounis Aït-Menguellet dans sa tendre jeunesse quand, fantasmant, il pleurait sa vaine attente de Djamila pour lui dire combien il serait heureux de la voir apparaître un jour et malheureux de la voir disparaître. Car, dans son remake Thiregwa, trente ans plus tard, Lounis révélait la liberté, la sensibilité et l'imagination du poète qui s'autorise des rêves fous en ramenant à la réalité ces jeunes qui croyaient en l'histoire de Djamila «qui est passée un jour sans qu'on ne vit son visage». La Djamila dont il est question est bien réelle, bien vivante, car elle est hymne à la vie. Qui mieux qu'elle sait explorer la profondeur de l'âme ? Dans le petit espace qui lui sert désormais de cadre de vie, elle s'est construit tout un monde irréel, fantasque mais frappant de vérité. N'étant pas du genre à abdiquer, elle transcende sa vie de handicapée pour en faire une source d'existence, mais aussi d'humanité. Qui mieux qu'elle pourrait comprendre le drame des handicapés, elle qui, hier encore, gambadait, insouciante, comme un jeune chevreuil sur les plaines verdoyantes, ne craignant ni le loup ni le lion avant de se réveiller à sa triste réalité. Elle rêvait de guérison et à la meilleure façon de se rendre utile à cette frange de la société si jamais un miracle se produisait un jour, déjà qu'avant son accident elle a été toujours sensible au drame de ces personnes qui n'ont pas choisi de naître handicapées. Les larmes d'impuissance furent les seules à l'accompagner dans son désir de les voir courir, s'épanouir et vivre heureux comme leurs semblables. Elle fit le serment que, si un jour elle retrouvait l'usage de ses membres, elle se consacrerait corps et âme à ces enfants qui ont perdu le sourire et qu'elle le leur rendra maintenant qu'elle sait pourquoi ils souffrent et comprend pourquoi ils ont perdu tout espoir. Elle s'est promis de rendre visite aux malades, de les accompagner dans leur douleur et de les réconforter dans leurs souffrances. Elle s'est juré de s'investir dans tout ce qui pourrait alléger leur souffrance et de les aider à s'intégrer dans la société qu'elle incitera à leur ouvrir les bras et à les accueillir dignement. Maintenant qu'elle est handicapée, elle comprend mieux la raison de sa réussite mais aussi de ses échecs. Elle rêvait ainsi de mieux réfléchir aux observations du jury lors de la présentation de son mémoire de fin d'études pour en sortir un autre fabuleux mémoire qu'elle proposerait à un autre réexamen afin de montrer combien sa paralysie a fait bouger les choses autour d'elle et se mouvoir son imagination naissante, mais aussi de saisir à la postérité cet amour de la vie que lui a légué son défunt père qu'elle aimait par-dessus tout. Un père dont elle a hérité la sagesse et la force mentale, lui qui fit, de son vivant, face courageusement à une grave maladie. Et le miracle se produisit le jour où elle retrouva l'usage de ses membres. Un miracle synonyme de cadeau du Bon Dieu pour tout le courage dont elle a fait montre durant sa traversée du désert. Une expérience dure mais enrichissante au plan humain. Tout est arrivé si vite. Djamila n'a jamais douté ou désespéré de la vie dût-elle rester clouée à son fauteuil roulant jusqu'à la mort. La mort ? Elle ne s'en souciait guère, l'associant à la vie. Et elle concrétisa dans cette deuxième vie tout ce dont elle a rêvé paralysée. Durant toute la durée de son handicap, elle ne s'est jamais découragée ni abdiqué, priant pour elle et pour les autres. Mieux, elle a longuement réfléchi à la meilleure façon de rendre le sourire aux enfants non épargnés par leur terrible sort. C'est par un jeu subtile de tableaux et de dessins mêlant symbolique et poésie qu'elle transmet son message d'espoir à tous ces enfants auxquels elle dédie présentement sa vie. Elle leur écrit des poèmes, des contes et leur peint de jolis tableaux aux couleurs chatoyantes. Elle ne rate aucune occasion pour leur témoigner sa gratitude pour tout ce qu'ils lui inspirent comme courage et espoir. Aux malades, elle ouvre son cœur pour leur offrir ce qu'il a de plus beau. Elle sillonne les hôpitaux pour rendre visite aux malades lourds s'inquiétant des conditions de leur prise en charge, n'hésitant pas à dénoncer toute négligence et à encourager toute initiative allant dans le sens de leur guérison. Sa débordante créativité se prête à plusieurs lectures. L'essentiel est à chercher dans les soubresauts qui agitent l'univers de tous ces êtres qui tirent leur force de leur fragilité. Et à tous ces jeunes handicapés, elle donne son amour, aux malades ses bénédictions et à son mémoire elle redonne une seconde vie. A son défunt père et à tous ces êtres fragilisés par la vie, elle a réalisé une sublime fresque poétique sur la symbolique du soleil, des fleurs et des oiseaux. Mais de ces oiseaux qu'on surprend à chanter jour et nuit en saison douce perchés sur les plus hautes branches pour se mettre à l'abri des prédateurs et porter haut et loin leurs douces mélodies printanières afin de perpétuer cette saison. La saison de Djamila..