Production prévisionnelle de plus de 1,8 million de litres d'huile d'olive    L'importance de la numérisation du domaine notarial soulignée    Les impacts des tensions géostratégiques au Moyen-Orient Iran/Israël et les facteurs déterminants du cours des hydrocarbures    Plus de 1.4 million de personnes déplacées    Prison ferme pour un homme qui avait menacé d'incendier des mosquées    «L'Occident cherche l'escalade» selon Sergueï Lavrov    US Biskra : Séparation à l'amiable avec l'entraîneur Zeghdoud    Le MCA goûte sa première défaite, le CSC en tête    Ligue 2 amateur (Centre-Ouest) : Chaude empoignade entre El Biar et Kouba    Importante caravane de solidarité en faveur des enfants nécessiteux et des personnes âgées    Réhabilitation du réseau d'éclairage public à la cité    1 kg de kif traité saisi, 01 suspect arrêté    Action en justice contre Kamel Daoud    La 4e édition du 25 au 29 novembre à Alger    Plus de 4 millions de visiteurs    Ligue 1 Mobilis: le MCO rate le coche face à l'USMK (0-0)    Réunion OPEP-Russie : l'importance de la stabilité des marchés pétroliers et énergétiques soulignée    CPI : les mandats d'arrêt à l'encontre des responsables sionistes sont "contraignants"    CAN-2025 U20 (Zone UNAF) 4e journée (Tunisie-Algérie) : victoire impérative pour les "Verts"    Sansal, le pantin du révisionnisme anti-algérien    Jeux Africains militaires–2024 : l'équipe nationale algérienne en finale    Ghaza : 25 Palestiniens tombés en martyrs dans des frappes de l'armée sioniste    Startups : Les mécanismes de financement devraient être diversifiés    Organisation du 20e Salon international des Travaux publics du 24 au 27 novembre    La Révolution du 1er novembre, un long processus de luttes et de sacrifices    70e anniversaire du déclenchement de la Révolution : la générale du spectacle "Tahaggart ... l'Epopée des sables" présentée à Alger    Nécessité de renforcer la coopération entre les Etats membres et d'intensifier le soutien pour atteindre les objectifs    Accidents de la circulation en zones urbaines: 11 morts et 418 blessés en une semaine    Le Conseil de la nation prend part à Montréal à la 70e session de l'Assemblée parlementaire de l'OTAN    Le ministre de la Santé met en avant les progrès accomplis par l'Algérie dans la lutte contre la résistance aux antimicrobiens    Le Général d'Armée Chanegriha préside la cérémonie d'installation officielle du Commandant de la 3ème Région militaire    Khenchela: 175 foyers de la commune d'El Mahmal raccordés au réseau du gaz naturel    Palestine: des dizaines de colons sionistes prennent d'assaut l'esplanade de la mosquée Al-Aqsa    Les ministres nommés ont pris leurs fonctions    «Dynamiser les investissements pour un développement global»    Le point de départ d'une nouvelle étape    L'Algérie happée par le maelström malien    Un jour ou l'autre.    En Algérie, la Cour constitutionnelle double, sans convaincre, le nombre de votants à la présidentielle    Tunisie. Une élection sans opposition pour Kaïs Saïed    Algérie : l'inquiétant fossé entre le régime et la population    BOUSBAA بوصبع : VICTIME OU COUPABLE ?    Des casernes au parlement : Naviguer les difficiles chemins de la gouvernance civile en Algérie    Les larmes de Imane    Algérie assoiffée : Une nation riche en pétrole, perdue dans le désert de ses priorités    Prise de Position : Solidarité avec l'entraîneur Belmadi malgré l'échec    Suite à la rumeur faisant état de 5 décès pour manque d'oxygène: L'EHU dément et installe une cellule de crise    Pôle urbain Ahmed Zabana: Ouverture prochaine d'une classe pour enfants trisomiques    







Merci d'avoir signalé!
Cette image sera automatiquement bloquée après qu'elle soit signalée par plusieurs personnes.



Algérie 2014 : à propos d'un contexte de crise
(2e partie)
Publié dans Le Soir d'Algérie le 25 - 03 - 2014


Par Nadji Safir, sociologue
([email protected])
Afin de mieux comprendre le contexte dans lequel est proposée à la société algérienne l'offre politique actuelle – notamment donc la surprenante candidature de l'actuel président de la République à un quatrième mandat —, il convient de saisir la nature profonde des rapports avec l'Etat.
De ce point de vue, fondamentalement, on est en présence d'un modèle structuré par les fortes dynamiques et synergies de deux formes de rente qui vont pénétrer et imprégner les logiques dominantes fonctionnant tant au sein de la société et de l'Etat que, bien évidemment, dans les rapports étroits qu'ils entretiennent :
- une première forme de rente, de nature historique et à finalité politique, potentiellement génératrice de capital symbolique de par ses logiques fondatrices et historiquement la première à avoir fonctionné dans la société algérienne moderne ; au lendemain de l'indépendance nationale, à compter donc de la fin des années 1960. Elle trouve son origine dans l'histoire de la résistance nationale face à l'oppression coloniale, notamment dans les deux phases contemporaines successives que furent le Mouvement national, puis la guerre de Libération nationale. Ces deux étapes historiques ont contribué à forger les mémoires et les imaginaires individuels et collectifs de générations entières de militants et de citoyens qui y ont consacré leur vie et demeurent très attachés à cet héritage constitutif de la conscience nationale. Ceci n'empêchait pas qu'en même temps, par leurs diverses pratiques sociales, notamment celles de nature politique, ils se transformaient, d'une manière ou d'une autre, en rentiers visant à tirer avantage de leur itinéraire passé pour consolider leur situation personnelle – symbolique et matérielle— dans la société, ainsi que leur positionnement dans le système politique. Or, au fur et à mesure que le temps passait et que l'on s'éloignait de la période fondatrice même de la guerre de Libération nationale, l'ensemble des logiques concernées se sont de plus en plus nettement transformées en une rente de situation considérée comme définitivement acquise par ses bénéficiaires directs. Et c'est également de ce point de vue, que le pouvoir politique lui-même, de manière institutionnelle, mais aussi en tant qu'il est composé d'individus singuliers, pour mieux asseoir au présent sa légitimité, a systématiquement utilisé – de fait, largement instrumentalisé dans une perspective politicienne — le passé. Et c'est ainsi que cette première forme de rente, apparaissant de plus en plus comme une simple caution symbolique, visant surtout à justifier le maintien et l'immobilisme du pouvoir politique en place, est en perte régulière de sens dans la société. D'autant qu'elle s'accompagne de la disparition progressive des porteurs directs de la mémoire des luttes du passé ainsi que de l'arrivée de nouvelles générations n'ayant pas elles-mêmes connu la situation coloniale. La moitié de la population a moins de 27 ans et donc est née après 1987— soit pratiquement après les «évènements» d'Octobre 1988 – est de moins en moins sensible à la centralité, souvent hypertrophiée, du discours officiel sur la légitimité historique qui, dès lors, perd beaucoup de son impact social ;
- une seconde forme de rente, de nature économique et à finalité sociale, potentiellement génératrice de capital matériel de par ses logiques fondatrices et apparue plus tardivement que la précédente – essentiellement à compter des années 1970 — fonctionne dans le contexte d'une économie dont le caractère rentier directement lié à l'exploitation des hydrocarbures et à leur valorisation sur leur marché mondial n'a cessé progressivement de s'affirmer. Et ce, pour atteindre, surtout depuis le début des années 2000, des proportions tout à fait excessives faisant de l'économie nationale un cas quasi caricatural d'économie rentière. Les données de base sont suffisamment connues pour ne pas être reprises ici ; il suffira d'en retenir l'essentiel : à savoir que, depuis maintenant quelques années, les hydrocarbures représentent, sensiblement, 35% du produit intérieur brut (PIB), 65% des recettes fiscales et 98% des recettes d'exportations. Dès lors, étant donné le contexte, la question de l'accès aux ressources rentières – sous forme matérielle et/ou financière — dont la gestion est assurée par le pouvoir politique central, seul en charge des modalités de leur redistribution, devient un enjeu décisif pour toutes les stratégies individuelles et collectives présentes dans la société. Et c'est ainsi que, d'une manière ou d'une autre, directement ou indirectement, tous les acteurs sociaux vont développer des stratégies afin de maximiser leurs avantages dans la compétition généralisée qui se déroule autour de l'accès aux ressources concernées, principale source de richesse fonctionnant dans la société.
En fait, au moment où beaucoup d'interrogations tournent autour du bilan des trois mandats déjà effectués par l'actuel président de la République, s'il est une donnée majeure à relever et qui caractériserait son actif, ce serait certainement celle d'un profond processus de «rentiérisation» qui a transformé, à la fois, la société et l'économie.
Il est permis d'affirmer que, dans une démarche, consciente initiée et entretenue par le pouvoir politique en place depuis 1999, les deux formes de rente déjà évoquées — de nature historique et à finalité politique et de nature économique et à finalité sociale – ont été systématiquement utilisées pour renforcer ses assises et légitimités sociales et politiques, et ce, comme jamais auparavant dans l'histoire du pays depuis 1962. Grâce à l'exceptionnelle conjoncture économique mondiale favorisant une hausse du prix des hydrocarbures qui, avec ses retombées directes en termes de ressources financières accumulées par le pays, a accordé au pouvoir politique — au-delà de toute mesure — les moyens de la politique qu'il voulait conduire. Et qui consistera en une redistribution des ressources rentières, notamment par d'importants transferts sociaux représentant près de 30% du PIB et dont, au plan social, le bilan réel, pour être positif – l'augmentation de l'espérance de vie et l'amélioration des performances du pays pour l'Indice de développement humain (IDH) le prouvent — n'en reste pas moins à évaluer et préciser de manière plus fine.
Notamment en raison de la forte opacité qui entoure la forte concentration des revenus accumulés par beaucoup de personnes exerçant leurs activités, soit dans la sphère de la distribution, soit dans celle du secteur informel, soit dans les deux à la fois, et qui ont considérablement prospéré depuis le début des années 2000. Car, en effet, au plan économique, l'une des principales victimes directes des politiques conduites aura été la logique de production, comme l'illustre le profond et grave processus de désindustrialisation qu'a connu le pays. Et dont avait très bien rendu compte le Recensement économique de 2011 dont les résultats — disponibles sur le site de l'Office national des statistiques (ONS) – avaient clairement établi que l'économie nationale était rongée en profondeur par les logiques de «bazar» en présence qui, par leur domination progressive, avaient fini par complètement la déstructurer. Il faisait ressortir que, sur près d'un million d'entreprises recensées, relevant majoritairement du secteur privé, 89% activaient dans le secteur tertiaire ; en fait, dans bien des cas, il s'agit de micro-entreprises souvent éphémères, plutôt inscrites dans les logiques de «l'économie de bazar» qui, précisément, prospère depuis les années 2000. Or, ces logiques de «bazarisation» — dont le bon sens populaire rend très bien compte par l'expression «import/import» — étaient une conséquence directe de celles correspondant à la «rentiérisation» consciemment mise en œuvre et qui reposait sur la seule volonté d'assurer, à tout prix, le maintien du pouvoir en place. Et c'est ainsi que, de plus en plus nombreux, sont apparus de nouveaux opérateurs économiques, fondamentalement articulés autour des diverses activités de la distribution, qui, progressivement, se sont constitués en groupes sociaux conscients, à la fois, de leurs intérêts communs et de la nécessité de les défendre par une action politique cohérente et organisée faisant pression sur le pouvoir politique.
C'est de cette logique sociale, animée par des groupes reposant sur le processus de «rentiérisation», qu'ils entendent bien défendre et faire durer comme axe central des politiques publiques, que va naître et émerger dans le champ de la politique, après celui de l'économie, le règne de la «chkara» — soit «l'argent sale» — pour reprendre une autre expression populaire, tout aussi pertinente que l'est «import/import». Cela dit, les logiques rentières – tout particulièrement celles liées aux ressources financières que procure la valorisation des hydrocarbures — essaiment et se répandent dans toutes les composantes de la société qui, légitimement, demandent à en bénéficier en partant du principe que, leur redistribution faisant partie du pacte social en vigueur, nul ne doit en être exclu. De manière générale, dans le contexte rentier dominant, tous les acteurs sociaux se structurent et articulent fondamentalement leur stratégie en essayant de se positionner de manière à capter, au service de leurs intérêts, d'une manière ou d'une autre, le maximum d'effets d'une ou, encore mieux, des deux rentes dominantes dont les logiques parcourent la société.
Etant donné les effets absolument déterminants des deux types de rente, en termes d'accumulation de capital symbolique et matériel, le clivage principal au sein de la société va s'instaurer entre ceux qui auront pu accéder aux ressources rentières — directement ou par le biais de leurs parentèles et clientèles — et ceux qui n'auront pu y accéder. En fait, dans la réalité, les situations ne sont pas aussi tranchées et les individus vont se retrouver sur une échelle continue allant progressivement d'un minimum à un maximum. De ce point de vue vont clairement se trouver «en haut de la pyramide» ceux qui peuvent cumuler un maximum de capacités d'accès aux avantages que procurent les deux rentes ; le meilleur exemple est certainement fourni par les niveaux les plus élevés des élites dirigeantes du pays — ainsi que leurs parentèles et clientèles — qui, par excellence, sont formés, en quelque sorte, par des «insiders». En sens inverse, une grande partie de la jeunesse, privée – ou ne bénéficiant que peu ou très peu – d'accès aux avantages que peuvent procurer les deux types de rente, peut être considérée comme plutôt formée «d'outsiders» pour reprendre une terminologie dans certaines études sociologiques et économiques sur l'emploi. En fait, «en bas de la pyramide», vont se trouver essentiellement des jeunes qui sont en situation de plus ou moins grande précarité eu égard à l'emploi, en tant que moyen privilégié permettant de disposer d'un revenu. Quelles que soient les diverses formes que cette précarité peut effectivement prendre : chômage, sous-emploi, emploi non permanent ou emploi dans l'économie informelle. Voire, en y incluant également celle d'un emploi plus ou moins relativement formalisé en tant que tel, mais faiblement rémunéré et justifiant la désignation de la personne concernée comme étant un «travailleur pauvre». Le vaste groupe social ainsi constitué, fondamentalement caractérisable par le fait d'être majoritairement composé de jeunes, peut être désigné, en tant qu'ensemble social significatif, par un nouveau concept, initialement apparu dans le contexte des sociétés européennes contemporaines : celui de précariat, correspondant à la fusion de celui de précarité/précaire avec, selon deux lectures possibles, salariat et/ou prolétariat. Sur la base des dernières données publiées par l'ONS – «Activité, emploi et chômage au 4e trimestre 2013» — et d'estimations personnelles, ce groupe devrait comprendre environ 5 millions de personnes, majoritairement jeunes et de sexe masculin. Et ce sont ces jeunes qui, fondamentalement, constituent la base sociale des diverses formes de contestation, de violence et d'incivilité qui, au quotidien, parcourent la société et par lesquelles ils expriment leur mécontentement et leur désarroi. La polarisation de tous les acteurs sociaux sur l'accès aux ressources rentières — y compris de la part de l'ensemble des salariés de l'ensemble du secteur public — a des conséquences directes et indirectes importantes et, tout particulièrement, pour ce qui concerne le lien entre effort fourni et revenu perçu. Qui, d'une manière ou d'une autre, est rompu ou, pour le moins, perd beaucoup de son sens puisqu'en dernière analyse le revenu réel perçu va dépendre des capacités de négociation de l'individu ou du groupe concerné, telles qu'évaluées dans le cadre de la compétition généralisée autour des ressources rentières. Qui vont de plus en plus souvent dépendre de divers facteurs extérieurs à leurs activités professionnelles «techniques», pouvant même inclure leurs capacités de nuisance à l'égard du pouvoir politique – au niveau central et/ou local – ou du reste de la société. Et donc, nécessairement, avoir de moins en moins de liens établis avec l'amélioration de leur productivité réelle.
De manière plus générale, le découplage entre effort fourni et revenu perçu insensiblement se transforme en un «état d'esprit» tellement prégnant qu'il finit même par atteindre des secteurs d'activité tels que le système d'éducation et de formation à tous ses niveaux, y compris pour ce qui concerne le cœur même de ses missions : la relation pédagogique. Et c'est ainsi que, depuis de nombreuses années, à travers tout le pays et dans les types d'établissement les plus divers, on peut relever des mouvements d'élèves ou d'étudiants allant toujours dans le même sens de la réduction au strict minimum des efforts qu'ils doivent fournir pour l'obtention d'un diplôme – ou la validation d'une année d'études – qui est toujours, a priori, considérée comme un droit acquis non négociable. A cet égard, il est tout aussi significatif que le phénomène de la corruption, largement répandu dans les secteurs d'activité économique, comme l'illustrent plusieurs scandales désormais publics – directement liés aux hydrocarbures ou non —, se soit aussi progressivement étendu à ceux de l'éducation et de la formation.
En dernière analyse, tout se passe comme si, suite à un ensemble de processus assimilables à des «métastases», la société dans son ensemble était atteinte d'une sorte de «cancer» trouvant son origine dans les logiques rentières à l'œuvre et dont l'une des principales conséquences était la dévalorisation, voire la négation même de l'effort, de la rigueur, de la quête d'excellence. Tout se passant comme si l'évolution du pays ne faisait que confirmer les thèses depuis longtemps répandues dans une abondante littérature spécialisée dans les domaines de l'économie, la sociologie et la science politique et relatives à l'existence d'une «malédiction des ressources naturelles».
En fait, à beaucoup d'égards, le pays en est devenu – notamment depuis le début des années 2000 – une des illustrations les plus typiques. Néanmoins, à la décharge du bilan de la gestion du pays assurée durant ces années, il convient de mentionner la nécessité qui s'imposait d'impérativement réduire, d'une manière ou d'une autre, le niveau élevé de violence lié au terrorisme qui affectait le pays depuis le début des années 1990. Et à cette fin, il est clair que les ressources financières liées à la rente économique ont été utilisées comme un moyen tout à fait privilégié, notamment dans le cadre de la mise en œuvre des différents textes, successivement adoptés à partir de 1995, et visant à assurer une réinsertion sociale des nombreux terroristes encore actifs et acceptant de déposer leurs armes.
Certes justifiée donc, en fonction de priorités et même d'urgences légitimes, mais dont le périmètre aurait dû rester bien circonscrit dans des limites clairement définies, la logique de redistribution de la rente économique s'est progressivement renforcée et étendue pour, finalement, se transformer en un principe cardinal fondant et irriguant toutes les politiques publiques. Et procédant en réalité d'une conception très particulière du processus de développement économique, réduit à sa seule matérialité, sous la forme d'ouvrages physiques concrets, aussi aisément finançables – par des ressources rentières – que réalisables par des entreprises étrangères. Et c'est ainsi que l'accent va être notamment mis sur la réalisation de routes et autoroutes, de barrages, d'établissements scolaires et universitaires, d'hôpitaux, de mosquées et de logements dont la nécessité ne fait certainement aucun doute. Mais qui, en eux-mêmes, n'ont aucun sens si, en même temps, ne sont pas conçues et mises en œuvre les politiques visant à l'indispensable maîtrise de l'ensemble des processus immatériels qui, seuls, vont en permettre une utilisation sociale efficiente et qui supposent la formation – non seulement technique, mais également citoyenne et éthique — de toutes les personnes appelées, à la fois, à les faire fonctionner et à en bénéficier. Processus immatériels qui, de surcroît, prennent encore plus d'importance dans le contexte d'une économie mondiale dominée par la connaissance comme productrice directe de valeur et dont des pans de plus en plus importants reposent précisément sur des processus immatériels. Par ailleurs, il convient de relever que l'attrait pour les ouvrages physiques est souvent d'autant plus fort que les marchés auxquels leur réalisation donne lieu sont souvent aussi l'occasion de détournements de fonds publics de la part de certains des opérateurs concernés.
En fait, la seule croissance du PIB qui, dans le cas de l'exploitation des hydrocarbures, signifie purement et simplement la destruction d'un stock physique non renouvelable, est, a priori, assimilable à un acte de consommation d'un capital appartenant aux générations actuelles, mais aussi futures. Donc, tout va dépendre du type d'utilisation qui sera fait des ressources financières générées par la valorisation des hydrocarbures. Si elles ne sont pas majoritairement investies dans des sources directes — ou indirectes, telles que l'éducation et la recherche scientifique — de création de nouvelles richesses, cela veut simplement dire que le pays est en train de consommer de manière improductive son capital. Or, de ce point de vue, toutes les données disponibles sur les indicateurs majeurs mesurant les capacités réellement opérationnelles d'une économie à fonctionner dans le contexte des échanges mondiaux – notamment ceux relatifs à la qualité des institutions et de leur fonctionnement – indiquent qu'ils sont, en règle générale, plutôt négatifs et permettent même de classer nettement l'Algérie parmi les pays les moins performants. Y compris pour ce qui concerne l'éducation et la recherche scientifique, meilleurs indicateurs des véritables potentialités d'une société contemporaine. Il suffira d'en citer un seul concernant le niveau de performance des élèves en mathématiques, après 4 et 8 années d'études : par rapport à une moyenne mondiale fixée à 500, les élèves algériens obtiennent 378 et 387 points ; d'ailleurs, les performances des élèves des autres pays arabes sont tout aussi faibles (enquête internationale de référence TIMSS à laquelle l'Algérie a participé une seule fois, en 2007). Et c'est donc bien ce contexte général d'une société parcourue par de puissantes et profondes logiques rentières et qu'il convient d'avoir toujours présentes à l'esprit qui permet de mieux comprendre les évolutions politiques en cours.
En effet, la candidature de l'actuel président de la République n'est rendue possible que parce que, fondamentalement destinée à une société parcourue par les logiques rentières, elle-même procède d'une double logique de rente. D'abord, celle d'une rente historique, à deux niveaux, en quelque sorte : au titre de la participation de l'actuel président de la République à la guerre de Libération nationale, puis à la gestion du pays comme ministre du président Boumediène dont, de surcroît, il est présenté comme l'héritier présomptif ; évoquant ainsi une période fonctionnant encore comme un «âge d'or» aux yeux de beaucoup d'Algériens d'une certaine génération. Ensuite, celle d'une rente économique en tant que, par l'ensemble des politiques poursuivies depuis 1999, il a systématiquement organisé la gestion de la rente liée à la valorisation des hydrocarbures et en a fait un instrument central de son mode d'exercice du pouvoir, en direction de toutes les catégories sociales et de toutes les institutions présentes dans la société, par des formes de redistribution adaptées à chaque population-cible. Dans ce type de démarche, l'objectif demeure toujours de gagner la fidélité des bénéficiaires dont la reconnaissance doit, nécessairement, en dernière analyse, s'exprimer à l'égard de la personne même en charge de l'autorité suprême coiffant l'ensemble du processus de redistribution – donc, le président de la République — et ce, obligatoirement, dans un rapport d'allégeance. Ceci dit, l'actuel président de la République exerce la charge suprême certes, mais au sein d'un pouvoir politique composé d'un ensemble complexe et organisé d'institutions, de mécanismes de prise de décisions, de discours, de pratiques et de personnes qui doivent être considérés dans leurs deux types de fonctionnement, formel et réel. De ce point de vue, la nature du pouvoir politique est caractérisable comme une bureaucratie d'Etat composée de plusieurs segments identifiables en fonction des différents domaines spécialisés dont ils ont «techniquement» la charge : administration, économie, défense, idéologie... Assumant un projet nationaliste, s'inscrivant formellement dans la continuité de l'action conduite par le FLN et couronnée par l'indépendance en 1962, cette bureaucratie, étant donné la nature même de l'économie du pays, mais aussi le poids considérable de l'histoire dans les logiques de légitimation, est qualifiable de doublement rentière et, dans les faits, fonctionne comme une «rentocratie». Et, en conséquence, les dynamiques fondamentales déterminant son action stratégique demeurent, en dernière analyse, fondées sur l'objectif systémique du contrôle de l'ensemble des conditions de fonctionnement social des deux types de ressources rentières constituant son assise.
Au sein de cette bureaucratie, il est un segment parfaitement identifiable et qui, de longue date, pour des raisons liées à l'histoire du pays, occupe une position largement hégémonique : celui que constitue la haute hiérarchie de l'institution militaire – incluant les services de sécurité qui y sont rattachés — dont la question du statut et du rôle en dehors de leurs domaines stricts de compétence est de plus en plus clairement posée dans le débat public. Mis en place au lendemain même de l'indépendance nationale en 1962, ces statut et rôle tout à fait particuliers tirent leurs fondements historiques du nécessaire recours à la violence physique imposé par la puissance coloniale aux militants du Mouvement national après les diverses impasses auxquelles avaient conduit toutes les formes de lutte pacifique, pourtant longtemps menées ; dès les années 1920, après les longues luttes du XIXe siècle.
L'initiative de la violence physique, une fois assumée par le FLN, le 1er Novembre 1954, comme seule issue historique possible, a rapidement conduit ses segments militaires – tels qu'organisés dans l'Armée de libération nationale – à progressivement s'autonomiser, en raison des contraintes de la lutte sur le terrain face à l'armée coloniale, par rapport aux segments strictement politiques, pourtant formellement en charge de la direction d'ensemble du mouvement. Et c'est ainsi que, de plus en plus, dans les faits, par des glissements successifs, le primat de la logique militaire et celui de la prééminence des hommes chargés de l'incarner vont devenir des principes majeurs affectant le fonctionnement des institutions nationales avant même 1962.
Sous leur forme extrême, ils sont à l'origine d'un épisode terriblement tragique et fortement symbolique : l'assassinat d'un dirigeant politique aussi éminent que Abane Ramdane par ses propres compagnons. Mais ils sont également identifiables derrière le refus de l'état-major de l'ALN d'obéir aux ordres du Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA) en juin 1962 qui, rapidement, sera suivi des combats fratricides de l'été 1962 dont l'issue permettra la mise en place du gouvernement Ben Bella en septembre 1962. Ou bien encore, suite à un brusque renversement d'alliances, dans le coup d'Etat militaire du 19 juin 1965 qui renversera le président Ben Bella.
A partir de cette date, se met en place un mode d'exercice du pouvoir relativement stable au sein duquel l'institution militaire – y compris les services de sécurité qui en dépendent – va jouer un rôle absolument décisif pour toutes les décisions à portée stratégique concernant la vie du pays, quel que soit le domaine concerné. De ce fait, ipso facto, reléguant au rang d'exécutants les différents segments civils de l'élite qui, en retour, n'ont aucun droit de regard sur ses propres domaines d'activité, la haute hiérarchie militaire – les «décideurs», selon un terme désormais passé à la postérité – s'inscrit en fait, elle aussi, dans une logique d'utilisation de la rente historique, puisqu'elle occupe abusivement une position prééminente que plus aucune lutte armée menée au quotidien ne peut justifier.
De ce point de vue, les différents débats en cours sur le rôle de l'institution militaire et des services de sécurité qui en dépendent sont fondamentalement sains et nécessaires, quelle que soit la nature des circonstances qui les ont générés et des personnes qui veulent les instrumentaliser.
Une réforme en profondeur des rapports entre la nation et son institution militaire qui ne doit fonctionner ni comme une institution vivant en autarcie, ni comme une caste au-dessus de tout questionnement, ni comme un unique centre de décision en dernier recours et, encore moins, comme un instrument au service de luttes de personnes ou de clans, est absolument nécessaire et ne pourra que renforcer les deux. Il est aberrant qu'à propos du président de la République, la Constitution – article 77, alinéa 2 – stipule : «Il est responsable de la Défense nationale» pour énoncer qu'il doit être titulaire du ministère de la Défense nationale ; alors que ce département ministériel, pour important qu'il soit, ne devrait pas l'être plus que l'Education nationale chargée de former les citoyens de demain. Il est tout aussi aberrant que le ministère de la Défense nationale ne puisse être dirigé par un «civil» ; ou bien que le responsable des services de sécurité dépendant de l'institution militaire ne puisse également en être un, et ce, dans une logique de circulation et de cohésion des élites qui ne peut profiter qu'aux intérêts supérieurs de la nation. Si, en raison de l'histoire contemporaine du pays, à l'issue d'un large débat national ouvert, il est estimé que l'institution militaire doit jouer un rôle particulier dans les fondements et le fonctionnement du système politique du pays, cela doit se faire de manière transparente et dans une approche globale visant à tisser des liens étroits avec la société, en général, et les différents autres segments de l'élite nationale, en particulier.
Quant aux services de sécurité dépendant de l'institution militaire, il est clair que leurs missions doivent être redéfinies de manière à ce qu'en respectant toutes les libertés publiques, ils ne consacrent leurs activités qu'à la prévention et à la lutte relatives aux risques et menaces pouvant réellement affecter la sécurité nationale.
N. S.


Cliquez ici pour lire l'article depuis sa source.