Le Premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, veut profiter de sa large victoire électorale pour renforcer son emprise sur le pays et lorgner vers la présidentielle, laissant augurer de nouvelles tensions dans un pays déjà divisé par les scandales. Malgré de graves accusations de corruption et les «fuites» d'écoutes téléphoniques compromettantes, le parti de M. Erdogan a nettement surpassé tous ses rivaux aux élections municipales, en recueillant dimanche plus de 45% des suffrages, à peine en recul sur les 50% obtenus lors de son triomphe aux législatives de 2011. Son Parti de la justice et du développement (AKP), qui a remporté toutes les élections depuis 2002, a même réalisé le grand chelem en conservant Istanbul facilement et Ankara, après une lutte au couteau. Dopé par ce vote de confiance, l'homme fort de Turquie est aussitôt reparti en campagne contre ses ennemis, adeptes «du mensonge, de la diffamation, du chantage et du montage», qu'il a promis de faire sortir de leurs «cachettes». «Il n'y aura pas d'Etat dans l'Etat, l'heure est venue de les éliminer», a lancé dimanche soir M. Erdogan devant ses troupes, «ils paieront le prix». Dans sa ligne de mire, ses ex-alliés de l'organisation de l'imam Fethullah Gülen. Le Premier ministre accuse les fidèles du prédicateur, qui vit aux Etats-Unis, d'avoir constitué un «Etat parallèle» et de comploter contre lui. Loin du message d'apaisement post-électoral, cette «déclaration de guerre» a confirmé la volonté de M. Erdogan de perpétuer son règne à la tête du pays, avec en ligne de mire les prochaines échéances électorales. «Grand gagnant des élections, il va probablement se présenter à la présidentielle cet été», a pronostiqué le politologue Soner Cagaptay, du Washington Institute. A cause d'une règle de son parti qui lui interdira de se représenter en 2015, le Premier ministre lorgne depuis des mois sur le poste de chef de l'Etat, attribué en août pour la première fois au suffrage universel direct. Son succès au «référendum» de dimanche devrait l'inciter à préférer la présidentielle à un quatrième mandat au gouvernement, moyennant une réforme des statuts de l'AKP. «Les manifestations (de juin dernier), les accusations de corruption, les fuites sur les turpitudes de sa famille, les menaces d'un recul économique, n'ont eu aucun impact sur lui», a relevé Brent Sasley, de l'Université du Texas, «il va se sentir invicible». Bousculé pendant la fronde antigouvernementale du printemps dernier, M. Erdogan est à nouveau sérieusement contesté depuis plusieurs mois dans la rue, dans les médias et sur les réseaux sociaux, accusé de corruption et de dérive autoritaire. «Le ton de son discours (de dimanche) suggère qu'il ne va pas abandonner sa stratégie de confrontation», a estimé l'économiste Deniz Ciçek, de la Finansbank, «il y a fort à parier que ce climat politique électrique va continuer jusqu'à la présidentielle». Sonnés par défaite, les chefs de l'opposition ont relevé lundi le gant jeté par M. Erdogan. «Il menace la démocratie», a affirmé le président du Parti républicain du peuple (CHP), Kemal Kiliçdaroglu, «nous nous battrons jusqu'au bout». «Les élections de dimanche n'ont pas effacé les accusations de corruption et le travail de la justice», a renchéri son homologue du Parti de l'action nationaliste (MHP), Devlet Bahçeli. L'Union européenne (UE), qui a dénoncé le blocage de Twitter et de YouTube imposé avant les élections en Turquie, s'est encore inquiétée lundi de la situation en Turquie. Ankara «doit tenir compte de tous les citoyens, y compris ceux qui n'ont pas voté pour la majorité», a déclaré un porte-parole de la commission à Bruxelles. Les marchés financiers ont salué la victoire de l'AKP, la livre turque (LT) atteignant ses plus hauts niveaux depuis des semaines à 2,15 LT pour un dollar et 2,96 LT pour un euro. «Le climat politique en Turquie va rester tendu dans les prochains mois et continuer à peser sur les marchés financiers», a toutefois averti Reinhard Cluse, de la banque suisse UBS.