Enfin un ouvrage qui vient à point nommé pour redonner du souffle à la production éditoriale qui a pour vocation de nourrir le débat d'idées ! Tant il est vrai que, en la matière, il y a un vide sidéral que ne peuvent masquer les différentes contributions publiées dans la presse écrite. Comment je vois l'Algérie ; constat et perspectives fait partie de cette catégorie de livres qu'on trouve très rarement dans les librairies. Le genre d'ouvrage qui apporte un éclairage sur les temps passé et présent, tout en contribuant à la critique prospective, c'est-à-dire à soumettre des éléments de prévision et de construction. C'est le moindre des devoirs pour un intellectuel, l'Algérie étant obligée de se projeter dans l'avenir pour être en phase avec les transitions et enjeux futurs. Pour le lecteur en quête de ce genre de publication, la découverte est doublement bénéfique. Il y a d'abord celle de l'auteur. Déjà, la courte biographie avec photo indique que Fayçal Houma est éditeur de livres (les éditions El Maârifa, c'est lui !). «Algérien de la troisième génération post-indépendance, né en 1967 à Alger», précise le texte. Son credo : «Contribuer à faire disparaître le paternalisme politique, social et culturel enduré au quotidien par les Algériennes et Algériens.» Nous voilà, bien avant l'entame, au cœur du débat sur la liberté, la citoyenneté et l'Algérie de demain ! Il y a ensuite la conviction de ne pas avoir affaire à un «technicien» de l'écriture ni à un bonimenteur prisonnier de son univers narcissique. Une impression confortée par cet avertissement au lecteur : «J'ai écrit cet ouvrage avec les mots du cœur, c'est-à-dire sincèrement et simplement. Je ne prétends pas avoir la verve des littérateurs.» Cette leçon d'humilité est soulignée dans le passage suivant : «Mon unique souci a été de faire passer un message de vérité, de lucidité et d'espoir aux générations montantes.» Et de conclure par ces mots qui révéleront, tout au long du livre, l'observateur majeur de sa société : «Puisse cette modeste contribution servir ceux qui voudraient voir changer ‘'la maison Algérie'' en mieux, loin de tous les calculs politiciens.» En signant la préface, Kamel Bouchama ne s'est pas trompé lorsqu'il souligne qu'il y a là une bonne moisson d'idées et de faits. La préface met l'eau à la bouche.Fayçal Houma, lui, met le feu à l'intérêt du lecteur tout de suite après, dans le préambule. Pour ouvrir son sujet, l'auteur attaque avec cette image forte : «L'Algérie est le pays des paradoxes. Durant longtemps (...), alors que le pays vivait des années post-indépendance difficiles, l'Algérien positivait tout ce qui se réalisait (...). Le parti était unique, la pensée était unique, l'information parvenait d'un seul canal et, malgré cela, il était fier de son Algérie. Il était inconcevable pour l'Algérien de critiquer son pays. Aujourd'hui hélas, et n'ayons pas peur de le dire, l'Algérien a changé. Le pessimisme a envahi la société.» Le reste du texte (une douzaine de pages) diagnostique les symptômes et les origines du mal, explique ce qui pousse «l'Algérien à adopter une position défensive frisant la cocasserie et le ridicule». Surtout, l'auteur esquisse des éléments de solution, ce qu'il y a lieu de faire pour édifier un «Etat société au sein d'un régime républicain, démocratique et social». Fayçal Houma propose ici comme une sorte de manifeste où il résume sa vision de l'Algérie d'hier, d'aujourd'hui et de demain. Un constat et des perspectives tracés à grands traits. Par la suite, l'architecte va construire, pierre par pierre et tout au long de son ouvrage, cet édifice où il fera bon vivre. Encore une fois, que le lecteur se rassure : «La maison Algérie», telle que vue par Fayçal Houma, est bien structurée, bâtie sur des bases solides, fonctionnelle, confortable et judicieusement aménagée. Et parce que l'auteur a fait l'école de la vie, son livre pétille de détails significatifs, de comparaisons, de métaphores, d'images fortes et de raisonnements logiques inspirés par le bon sens populaire surtout. «Le bon sens, disait Bergson, c'est la continuité mouvante de notre attention à la vie.» En l'occurrence, Fayçal Houma propose une grille de décryptage souvent impertinente. Sa lecture des événements, des hommes et des lieux est en contrechamp de ce que donnent à consommer certains experts autoproproclamés, eux qui se bercent de l'illusion de participer à la bataille des idées. En relisant (et faisant relire) le penseur Malek Bennabi, par exemple, l'auteur rappelle notamment que «les idées ne sont pas un vain mot et qu'elles doivent être transcrites et vécues au niveau de la vie quotidienne à travers l'ensemble de ces menus détails qui font justement toute la différence entre le civilisé et le non-civilisé.» Tout est question de connaissance, de savoir et de culture. Dans son carnet de bord, minutieusement détaillé, l'auteur effectue de multiples allers et retours, en allant du général au particulier, tout en traçant la feuille de route de l'Algérie future. Tout est soigneusement décortiqué ; l'Algérie apparaît dans ses multiples facettes, depuis les temps anciens et jusqu'aux horizons vus au loin. Le scanner de Fayçal Houma reconstitue de très nombreuses données. Par exemple le Mouvement national, la génération de Novembre, les présidents de l'Algérie, le mode de gouvernance, la rente, la corruption, les partis politiques, la communication, les nouvelles technologies, etc. Et il y a aussi (et surtout) les solutions innovantes pour construire le nouvel édifice. Pour que les jeunes générations reprennent vite le flambeau transmis par les martyrs de la Révolution de Novembre 1954, et voir naître enfin la réelle indépendance du pays. Un livre à mettre entre toutes les mains. Hocine Tamou Fayçal Houma Comment je vois l'Algérie ; constat et perspectives, éditions El Maârifa, Alger 2013, 304 pages.