Page vingt-trois d'un quotidien national à tirage très limité, niché au milieu des petites annonces, un encart d'à peine un seizième de page annonce une vente aux enchères. Dans le lot, il y a un peu de tout. Deux véhicules dont la description ne donne aucun indice sur leur état sinon l'existence pour l'un des deux de la carte grise, un lot de micro-ordinateurs et d'imprimantes réformés, du mobilier de bureau ainsi que divers PDR pour le commun des pièces de rechange. En bas, presque en filigrane, le commissaire-priseur n'a pris aucun soin pour préciser que la vente n'est sans aucune garantie et que les adjudicataires doivent s'acquitter in situ et comptant de 21% du montant de la mise. Ventes aux enchères : un marché silencieux en Algérie qui draine bien des intérêts. Des particuliers aux spécialistes qui s'organisent en réseaux pour rafler les plus belles pièces se cache tout un monde. Parole aux acteurs. «Je ne remettrai plus jamais les pieds dans une salle de ventes» Avec ses maigres économies, Karim S., débutant sa carrière professionnelle chez un opérateur de télécoms, croyait tenir la bonne ficelle pour s'offrir sa première voiture. Une vente aux enchères ! Et pourquoi pas tenter l'expérience puisque avec les prix inaccessibles du neuf et les délais de livraison aléatoires, une vente à la criée semble être un bon plan. Il l'a déjà vu sur écran à l'étranger et cela paraît intéressant. C'est au hasard de la lecture matinale de la presse que Karim tombe sur «la voiture de ses rêves». «L'année de la première mise en circulation me paraissait intéressante, il y avait la fameuse mention ACG (avec carte grise) et l'état général après visite était correct», nous affirme notre interlocuteur résolu à en faire sienne. Le jour venu, il se déplaça à l'adresse indiquée, une salle de cinéma fermée de la banlieue est d'Alger, et là, surprise... point de vente. Le commissaire-priseur l'informa que la vente est reportée de dix jours mais cette fois-ci elle se tiendra au lieu même de son office. Sans sourciller, Karim revient plus déterminé que jamais à arracher la voiture. «Le local de la vente était en fait un minuscule garage au rez-de-chaussée d'une villa. A peine 40 m2 où se tassaient des dizaines de personnes venues presque toutes pour la même raison : la voiture.» C'est que les voitures d'occasion figurent parmi les produits les plus prisés lors des ventes aux enchères. «Il y a peut-être de belles opportunités mais ce que j'y vis ce jour-là m'a coupé toute envie de revenir. Des surenchérisseurs organisés en réseaux se passent le mot dès qu'ils voient un intrus.» Et là, les techniques sont nombreuses allant parfois jusqu'à la complicité avec des commissaires-priseurs. Karim, lui, est reparti bredouille. L'enchère de la voiture qu'il convoitait a frisé le prix de l'occasion sur le marché classique. Pas très intéressant quand on met sur la balance le risque probable d'autant que la vente est sans garantie. Il jure, par contre, de ne plus jamais remettre les pieds dans une salle de vente aux enchères tant que la transparence requise n'y est pas, selon ses propres termes. «Pas de garantie, accords tacites, réseautage et complicité» Un commissaire-priseur ayant requis l'anonymat nous a confié que par la force des fréquentations des salles, il a tissé des liens amicaux avec des adjudicateurs professionnels qui ont fini en relations d'affaires. «J'y ai tout intérêt», nous affirme-t-il. Et comment ! Notre interlocuteur explique qu'«il défend les intérêts des entreprises qui lui confient leurs liquidations de stocks ou produits réformés. Je suis rémunéré au pourcentage, donc j'ai tout intérêt à maximiser le revenu et il y a sur le marché des acheteurs professionnels qui ont la connaissance de l'évolution du marché pour savoir apprécier un lot à sa juste valeur». Avant d'enchaîner : «Nous sommes d'abord des intermédiaires entre un offreur et un demandeur.» Simple à dire. Mais parfois, «les liens amicaux» s'expriment au-delà de ce cadre pour laisser place à des pratiques très douteuses pour ne pas dire sans éthique. Hamid vit de la revente du matériel informatique d'occasion Il achète des lots entiers, les retape et les remet dans le circuit à travers les magasins spécialisés, le bouche-à-oreille ou encore à travers les petites annonces dans les sites internet. Ecoutons-le nous livrer quelques-uns des secrets pour s'adjuger des lots : «L'une des techniques les plus utilisées est de vous emmener dans de folles enchères. Dès que nous repérons un intrus s'intéressant à l'un des lots convoités, nous nous donnons le mot pour le conduire dans de folles enchères. J'ai vu pas mal de personnes se faire dépouiller sur des lots qui, au départ, n'intéressaient personne. Après, généralement, ils ne reviennent jamais.» Il y a aussi des ententes entre les participants qui, par la force des fréquentations des mêmes salles de vente, ont fini par se connaître. Certains sont spécialisés dans les voitures, d'autres dans la pièce de rechange pour le matériel lourd. Il y a ceux qui s'intéressent aux déchets, ferreux notamment, alors que d'autres se rabattent sur les équipements électriques et informatiques. «A chacun son périmètre», explique Hamid. Autre technique, le retrait du lot pour enchère insuffisante. Car dans les faits, rien n'oblige un commissaire-priseur à faire une large publicité pour sa vente, encore moins à proposer tous les lots. Une dernière technique est celle de l'enchère anonyme, autrement dit les enchères par enveloppe. Ce procédé est prévu pour les intéressés qui ne peuvent pas être présents le jour de la vente directe. Selon les circonstances, l'enveloppe peut être acceptée si elle vient d'un habitué des ventes ou alors rejetée, et là, rien n'est plus facile à trouver qu'un vice de forme. La corporation discrète des commissaires-priseurs à travers celui à qui nous avons parlé se défend de verser dans de telles pratiques car allant à l'encontre de ses propres intérêts et ceux de ses clients. Mais là également, qui dit mieux ? Qui dit vrai ?